A quoi sert un sondage bidon sinon à la propagande ? Enseignant, rédacteur des Cahiers pédagogiques, auteur de nombreux ouvrages pédagogiques  qui invitent à l'expérimentation de terrain, Jean-Michel Zakhartchouk a testé la consultation enligne sur les programmes du primaire lancée par le ministère. Il dénonce une "manipulation".

Nouveaux programmes du primaire : drôle d’enquête !

Je ne sais pas combien l’institut Opinionway demande aux contribuables pour organiser le sondage qu’on peut trouver sur le site du Ministère de l’Education nationale concernant les nouveaux programmes de l’école primaire, mais voilà le genre d’économies que l’on pourrait faire pour renflouer les caisses dites « vides »[1].

Passons rapidement sur l’orientation des questions qui conduisent le sondé à répondre dans le sens voulu par les instigateurs de la consultation [2] Qui peut en effet être vraiment contre le recentrage sur les « savoirs essentiels », sauf à contester la façon dont le problème est posé (à quoi s’oppose ce soi-disant « recentrage », que veut dire ici « lire » par exemple, pourquoi « dire » ne serait-il pas aussi important que « compter », etc.) ? Le sondé doit faire un effort particulier pour répondre, comme il le faudrait pourtant, « dans le mauvais sens » : il risque d’apparaître comme quelqu’un d’opposé aux « savoirs essentiels ».

Evoquons aussi  le peu de sérieux qu’il y a à demander de répondre en 255 signes, espaces compris, à la question : Avez-vous des remarques ou suggestions à faire concernant l'évolution de l'enseignement à l'école primaire ? On se demande comment ces réponses ouvertes peuvent être exploitées, et par qui, selon quelle méthode ?

Mais, j’aimerais surtout ici l’attention sur quelque chose de plus grave : la possibilité de répondre plusieurs fois, et de manière différente aux questions. J’ai fait pour ma part l’expérience et il n’y a eu aucun blocage de ma réponse. J’ai répondu de façon sincère et rigoureuse une fois, deux fois, apparemment mes réponses ont été enregistrées. Puis j’ai recommencé de manière plus fantaisiste pour voir, réponses toujours enregistrées.
On imagine un commando de défenseurs d’une école hyper traditionnelle envoyant des centaines de messages, ou l’inverse d’ailleurs, des pédagogues en colère décidant de passer leur week-end à envoyer des messages de contestation.

Où est le sérieux de cette enquête qui, pourtant, aboutira, n’en doutons pas, au constat d’une opinion très favorable à cette réforme et permettra au ministre de dire qu’il a l’opinion derrière lui (sauf peut-être en Dordogne …) ?

J’aimerais qu’on dénonce ce genre de procédés. On peut ou non apprécier le recours à un institut de sondage, mais celui-ci n’est justifié que si l’enquête s’entoure de conditions minimales d’effectuation. Ici, on n’a même pas le blocage de messages provenant d’un même expéditeur (adresse e-mail), ce qui est pourtant une pratique courante des sites des grands journaux d’information. Toutes les manipulations sont possibles et si l’on voulait donner une image caricaturale de la « démocratie d’opinion », on ne ferait pas mieux…

Tout cela augure mal d’une contre-réforme, qui nie en totalité l’esprit, la structure et le contenu du « socle commun de compétences » voulu pourtant par M. Fillon et promulgué en avril 2007,  contre-reforme qui va faire reculer l’école primaire, contre-réforme qui risque d’être soutenue par un consensus largement fabriqué par la désinformation et par ce dispositif douteux d’enquête indigne d’un grand service public.

Jean-Michel Zakhartchouk

enseignant et co-auteur de Réussir le passage de l’école au collège, CRDP d’Amiens et Cahiers pédagogiques

Liens :

Sur le Café, article de JM Zakhartchouk sur les IDD

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/idd_zakhartchouk.aspx

Sur le Café, article de JM Zakhartchouk sur la formation culturelle pour tous

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/05042007[...]