Le point de vue de Roland Goigoux 

Le café pédagogique : que pensez-vous des nouveaux programmes ?

Roland Goigoux : Je ferai six remarques, aussi disparates que ce texte est hétéroclite.

 

1. Le texte proposé est un texte bâclé.

En guise de retour à l’école d’antan, le texte présenté par Xavier Darcos est surtout la consécration du cahier de brouillon ! Ce texte, rédigé sous la pression temporelle de la communication politique sarkozienne, cache mal les traces des « copier-coller » issus des médiocres rapports publiés depuis quelques mois dans le sillage de Gilles de Robien et caractérisés surtout par leur mépris à l’égard du travail enseignant.

Hypocrite, le texte prétend laisser la liberté pédagogique aux enseignants mais il  distille toute une série d’obligations (par exemple la « leçon de mots » chère à Bentolila) qui contredisent le principe énoncé et qui survalorisent une pédagogie de la docilité (les élèves doivent avant tout apprendre à être sages) et de la mémorisation : des récitations, des règles, des dates, des noms d’œuvres d’art, etc.

Hétéroclite, le texte est la juxtaposition de paragraphes influencés par divers groupes de pression[1]. Ainsi l’application de règles et d’algorithmes recommandée pour le français et les mathématiques n’est plus de mise pour l’enseignement des sciences où on fait soudain l’apologie du tâtonnement expérimental : observation, questionnement, expérimentation et argumentation ! La valorisation inattendue de « la curiosité, de la créativité et de l’esprit critique » tranche avec la tonalité du reste du texte qui exige de l’élève à l’école maternelle qu’il « attende son tour de parole », qu’il « écoute en silence le récit lu par le maître » (en petite section !), qu’il parle mais « en respectant le thème abordé » et qu’il apprenne surtout à appliquer « les consignes données par l’enseignant » !

Ces programmes concoctés dans le plus grand secret constituent une importante régression par rapport à ceux de 2002 qui avaient été le fruit d’une concertation poussée et qui constituaient une ressource pour le travail enseignant. L’identification de certaines faiblesses avérées  (par exemple en compréhension de textes ou en orthographe ; cf. les travaux de Danièle Manesse et son interview dans le Monde il y a 3 jours) aurait pu conduire à des inflexions visant des améliorations modestes mais réalistes. Au lieu de cela, le choix est fait d’une rupture brutale : il exaspère déjà les enseignants, las de ces incessants mouvements de balanciers qui font table rase du passé et de leurs efforts quotidiens. Comme s’ils ne se préoccupaient pas déjà des apprentissages fondamentaux !

 

2. Il s’inscrit dans un contexte de déplacement des problèmes scolaires vers la seule école primaire.

Le collège, autrefois « maillon faible » du système éducatif est exonéré de toute responsabilité et il est dispensé de chercher les moyens de lutter contre l’échec scolaire. Que vaut une politique qui n’incite pas chacun des acteurs à repousser les limites de son impuissance ?

Au  « C’est trop tard ! » des professeurs de collège,  le ministre répond : « les élèves en difficulté doivent bénéficier d’une aide personnalisée et différenciée dès que les premières difficultés apparaissent et avant qu’elles ne soient durablement installées ». (C’est moi qui souligne.) Même si l’idée est de bon sens, sa mise en avant systématique dans la communication ministérielle fait peser sur le primaire une responsabilité écrasante que les familles seront invitées à lui rappeler. N’oublions pas qu’une partie de la droite au pouvoir ne fait aucune confiance à l’administration de l’Éducation nationale et aux corps d’inspection suspectés de « pédagogisme » : elle considère que le principal levier du changement sera la pression exercée de l’extérieur sur les enseignants, en particulier par les parents d’élèves et les collectivités locales (cf. les propositions du député Alain Gest sur le choix des manuels scolaires par les maires). Ces programmes bientôt accompagnés de référentiels de compétences (progressions annuelles et outils d’évaluation standardisés) sont destinés à donner des armes aux familles afin de leur permettre de demander des comptes aux maîtres. La publication des performances de chaque école sera un élément de cette mise sous pression des enseignants et de la mise en concurrence des écoles primaires, publiques et privées.

Chargé d’enseignement au CIES de Lyon (une sorte d’IUFM pour futurs enseignants-chercheurs de l’université), je constate que nos jeunes collègues du supérieur sont eux aussi convaincus que l’échec des premiers cycles universitaires n’a rien à voir avec les pratiques pédagogiques de l’université, ni même avec celles du lycée ou du collège : tout leur semble joué à l’issue du primaire voire, comme l’affirmait le HCÉ en août 2007, à la fin de la maternelle ! Bref, au déterminisme sociologique, on est en train de substituer un déterminisme pédagogique qui fait porter la responsabilité des échecs aux enseignants du primaire dont on déplore qu’ils soient mal formés et mal encadrés. Coupables, ils ne sont donc pas entièrement responsables : il est politiquement correct de leur témoigner une confiance de façade tout en les faisant passer pour des crétins aisément manipulables par les idéologues de la pédagogie. La logique du bouc émissaire n’est pas loin : qu’importe que la carte de l’illettrisme recouvre étroitement celle de la grande pauvreté, on continue à incriminer les instits et la méthode globale !

De ce point de vue le discours simpliste de Darcos qui prétend diviser par trois l’échec scolaire par la simple modification des programmes accrédite la thèse d’un fiasco pédagogique qui ne peut être que celui des instituteurs. Il témoigne aussi d’une certaine condescendance envers leur travail suspecté de s’égarer dans l’accessoire, voire l’anecdotique.

 

3. Ce texte est la base d’une nouvelle politique de pilotage du système éducatif par l’évaluation.

Sans revenir sur les dérives que pourront engendrer la mise en concurrence des écoles et le développement de l’école privée qu’elle facilitera (cf. le plan « Banlieues » qui a permis au gouvernement de justifier un nouveau financement de l’enseignement privé sous prétexte qu’il était le plus capable d’innovation !), il me semble important de mentionner deux autres conséquences.

La première concerne la gestion des ressources humaines. Le préambule des programmes indique que liberté pédagogique des enseignants implique une responsabilité : « s'assurer et rendre compte des acquis des élèves ». Cette évaluation régulière sera un « instrument de comparaison des effets des pratiques pédagogiques » donc de l’efficacité du travail enseignant. Elle ouvre la porte au salaire au mérite dont rêve la droite dans le cadre de la modernisation de l’administration publique.

La seconde concerne le contenu même des programmes. Si les enseignants sont évalués sur la base des acquis de leurs élèves, ils seront tentés de privilégier les compétences ciblées par les évaluations ministérielles. Tout va donc se jouer dans la fabrication de ces évaluations standardisées qui, bien plus encore que les programmes, vont indiquer aux enseignants ce qu’on attend d’eux. C’est ce que j’appelle le pilotage par l’aval (les compétences évaluées) qui se substitue progressivement au pilotage par l’amont (les contenus à enseigner). Le risque est grand dès lors d’enseigner ce qui est évaluable, voire seulement ce qui sera évalué. C’est le plus sûr moyen d’accentuer encore la priorité donnée à certaines composantes du français et des mathématiques au détriment de toutes les autres disciplines très peu évaluées jusqu’à présent. C’est aussi une manière d’insister sur l’aspect déclaratif des savoirs au détriment de leur usage dans le raisonnement. Il est aisé de réciter une liste de dates de l’histoire de France, plus délicat de faire la preuve de sa compréhension d’un document historique. Il est facile d’évaluer une performance orthographique, plus difficile de juger une compétence à rédiger un texte (3 lignes sont consacrées à la « rédaction » contre 60 à la grammaire !). C’est ainsi qu’on valorise un programme encyclopédique d’histoire des arts au détriment de la pratique artistique des élèves eux-mêmes. Et la récitation plutôt que les pratiques de lecture et d’écriture de poésies mises en œuvre aujourd’hui par les professeurs des écoles. La culture, dans le droit fil de la politique actuelle en ce domaine, semble exclusivement tournée vers la connaissance du patrimoine du passé.

 

4. L’appauvrissement général que proposent ces programmes est particulièrement net à l’école maternelle[2].

Le langage oral est réduit au lexique et à la syntaxe, en contradiction totale avec toutes les connaissances dont on dispose sur son acquisition par l’enfant. Un enfant apprend à parler dans le dialogue avec des adultes dont la parole favorise et soutient son intention de communication, pas en mémorisant des listes de mots. Il apprend à parler parce que les adultes se montrent intéressés par ce qu’il dit, pas en le renvoyant à « un respect du thème qu’ils ont proposé ».

Le triptyque des programmes 2002 (communication, accompagnement de l’action, évocation) qui avait balisé tant de pistes pédagogiques concrètes définissait la progressivité de cet enseignement : il s’agissait de développer les compétences orales qui préparent à la maîtrise de la langue écrite (passer progressivement du dialogue au monologue) en faisant de la narration (langage d’évocation) le fil rouge de la pédagogie de l’oral. Plus rien de tout cela ne subsiste : la pédagogie du langage n’a plus d’épine dorsale et la formation des nouveaux enseignants va douloureusement s’en ressentir ! 

L’enseignement du langage écrit quant à lui ne repose plus que sur trois ensembles d’activités (phonologie, compréhension du principe alphabétique et calligraphie) : on écarte la lecture de mots entiers, la mise en correspondance entre chaîne orale et chaîne écrite (par exemple pointer du doigt les 4 mots « Le petit chaperon rouge » tout en les prononçant) et les ateliers d’écriture dans lesquels les élèves se risquaient à une écriture tâtonnée. Finie la démarche par essais et erreurs, il suffit désormais d’apprendre à copier ! (Apprentissage indispensable mais insuffisant pour découvrir le principe alphabétique ; cf. infra.) Ce n’est plus un retour aux fondamentaux de la connaissance, c’est l’ignorance des fondamentaux de l’apprentissage.

 

5. Chassée de l’école primaire après le recul du sinistre de Robien en novembre 2006, la méthode syllabique revient en douce par la fenêtre de l’école maternelle.

Un document de travail annexé aux programmes, « Les repères pour organiser la progressivité des apprentissages de l’école maternelle », éclairent les flous du texte ministériel et en révèlent quelques ambitions occultes. Ainsi par exemple pour l’enseignement du langage écrit à l’école maternelle, « le principe alphabétique » évoqué évasivement dans le texte des programmes est ici défini : « une lettre transcrit un son ». Cette définition, erronée dans un système orthographique comme le nôtre, est évidemment différente de celle des programmes de 2002 qui demandaient aux maîtres de faire comprendre aux élèves l’existence de relations entre les sons (phonèmes) et les lettres (graphèmes) sans leur laisser croire que cette relation était biunivoque. Et sans leur faire mémoriser précocement les règles de correspondance graphèmes - phonèmes, mission assignée au cours préparatoire. Il s’agissait de comprendre un principe, essentiellement grâce aux activités d’écriture qui impliquent le passage des phonèmes vers les graphèmes.

L’« erreur » ministérielle, évidemment, n’en est pas une : il s’agit d’une approximation volontaire illustrant une vision de la progressivité qui sert de trame à ces nouveaux programmes : aller du simple au complexe. Une lettre = un son. L’équation est simple ; qu’importe qu’elle soit fausse ! Il sera bien temps au cours préparatoire d’expliquer aux enfants que les vérités de l’école maternelle étaient des demi-mensonges. Et d’avouer aux maîtres que le projet ministériel, contradictoire avec la promesse de liberté pédagogique, était de valoriser les principes de la méthode syllabique construite à partir de cette approximation. Ceux-ci, illustrés par la méthode La planète des alphas sponsorisée par France 2 au printemps dernier, reposent sur une planification en 3 étapes : 1° étude des graphèmes dits « élémentaires » : une lettre = un phonème ; 2° étude des graphèmes « complexes » : ou, an, on, in… ; 3° étude des différentes orthographes d’un même phonème (au, eau pour [o]) et des règles positionnelles. En d’autres termes, les nouveaux programmes ne proposent rien moins que d’introduire la première étape des méthodes syllabiques en grande section d’école maternelle. Ils vont même jusqu’à recommander La planète des alphas, sans la nommer, en valorisant l’une de ses originalités : « au-delà des comptines, l’enseignant pourra s’appuyer sur l’écoute d’un conte ludique qui introduit les sons des lettres ». Nos élèves apprendront donc que le Robinet qui coule fait RRRRRRR….

Dans les nouveaux programmes, l’écriture est elle-même assujettie à l’apprentissage de la valeur sonore des lettres : on exige que les élèves apprennent à tracer une lettre en écriture cursive « après avoir appris le son qui est transcrit par cette lettre » et que l’activité de copie porte sur des  « mots simples dont les correspondances entre lettres et sons ont été étudiées ». Alors que les programmes 2002 insistaient, à juste titre, sur le nom des lettres, les nouveaux programmes font de l’apprentissage de leur valeur sonore une priorité. Au point de viser en fin de grande section la capacité à « faire correspondre avec exactitude lettre et son, en particulier, les voyelles a, e, i, o, u, é et les consonnes f, s, ch, v, z, j, p, t, c (= k), b, d, g (dur), l, m, n et r» Soit vingt-deux correspondances entre lettres et sons en fin de grande section d’école maternelle, plus qu’au premier trimestre de l’actuel cours préparatoire. Une pure folie ! Une rupture totale avec les préconisations antérieures et les pratiques des enseignants d’école maternelle.

Un projet de primarisation de l’école maternelle se dévoile ici, au risque évident de creuser les inégalités en imposant aux enseignants un rythme d’étude si exigeant que très rapidement une partie de leurs élèves décrochera et grossira les bataillons des « élèves en difficulté ». C’est ainsi que l’on cherchera à remédier avant même d’avoir véritablement et patiemment enseigné !

 

6. Instruction civique : savoir reconnaître le buste de Marianne

Nul besoin d’ajouter aux commentaires déjà publiés par le Café pédagogique sur l’idéologie de l’ordre moral  ou sur le vouvoiement au CP, tout simplement ridicule. Dans ce domaine également le déclaratif et le dressage comportemental prennent le pas sur l’éducation à la citoyenneté. Tous les efforts des enseignants pour apprendre aux élèves à vivre ensemble sont caricaturés ; même l’éducation à la santé est réduite à une injonction à se brosser les dents !

Une extrême confusion règne sur les objectifs éducatifs assignés à l’école. Il n’est pas acceptable, par exemple, d’affirmer qu’à la fin de l’école maternelle, « l’enfant devra être capable de  […] : éprouver de la confiance en soi ; contrôler ses émotions ». De telles formulations qui confondent souvent buts et moyens pour les atteindre ne relèvent de programmes scolaires : quel enseignant saura enseigner et évaluer la confiance en soi ? Et qui d’entre nous peut prétendre avoir une telle maîtrise de soi ? Même notre Président de République ne le peut pas, si j’en juge par son dernier dérapage  au Salon de l’agriculture.

Devrait-il être renvoyé à l’école maternelle ?

 

Clermont-Ferrand, le 25 février 2008

 



[1] Les programmes affirment définir pour chaque domaine d’enseignement les connaissances et compétences à atteindre pour chaque cycle et «  la progression annuelle à suivre pour les atteindre en français et en mathématiques ». Mais les documents de planification annuelle annexés, probablement rédigés par d’autres conseillers, prétendent n’être là que pour donner des points de repères aux équipes pédagogiques : « ils ne constituent pas des référentiels pour une évaluation normative des élèves à la fin de chaque section ». Comprenne qui pourra.

 

[2] La scolarisation des enfants de 2 à 3 ans n’est pas évoquée. « La fonction d'accueil de l'école maternelle disparaît-elle, la prise en charge des tout petits, jusqu'ici prioritaire dans les quartiers difficiles est-elle abandonnée ? » s'interroge l'AGEEM.

 

Par ppicard3 , le mardi 26 février 2008.

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