A. Fetet : La plaidoirie maladroite de M. Darcos 

Maître formateur, Antoine Fetet reprend certains propos ministériels tenus sur France 3.



L’intervention de M. Darcos au journal télévisé de France 3, le jeudi 27 mars[1], a dévoilé le fond de la pensée ministérielle : une conception  behavioriste de l’école dont il fait, avec fierté, la principale qualité du projet de programme. Mais si on peut lui accorder ici l’excuse de la naïveté, il n’en va pas de même quand il manie délibérément la désinformation sur les performances de notre école ou lanterne l’opinion sur les auteurs des programmes.

Voici la transcription de quelques passages significatifs, accompagnés de commentaires :

 « Moi je crois que l'école primaire, qui s'est beaucoup fondée sur la confiance dans l'enfant, sur le pédagogisme, a échoué, il faut dire les choses clairement. Aujourd'hui lorsqu'on regarde les comparaisons internationales, alors que la France dépense beaucoup plus que ses partenaires, elle est classée dans les tout derniers de tous les classements. »


Le Ministre, et c’est regrettable, pratique ici la désinformation :


- Dans les grandes études internationales (PISA et  PIRLS), la France ne se situe absolument pas dans les "tout derniers", mais plutôt dans la moyenne des pays de l'OCDE.  Plus encore, selon Liliane Sprenger-Charolles, il y a tant de biais dans les évaluations PIRLS en lecture qu’en réalité, les résultats des élèves français, plutôt qu’un fléchissement, marquent vraisemblablement un progrès (voir les commentaires d’André Ouzoulias sur ce point dans deux textes récents). 
- La France consacre par élève, au niveau primaire, une dépense moyenne équivalente à la moyenne OCDE . Elle se classe à la douzième position des pays observés.
Pour l’enseignement préprimaire, La France se situe au neuvième rang des dix-sept pays observés. Elle affecte une dépense par élève à ce niveau d'enseignement  proche de la moyenne OCDE[2].

 « On a oublié que les enfants ont besoin de mécanismes, d'automatismes, ils ont besoin d'entraînement. On leur a fait décrire le vélo au lieu de leur (sic) faire monter dessus »


C'est très exactement le reproche que l'on peut faire, justement, au projet de programmes : par exemple,  le retour à une conception massivement scolastique de l’apprentissage de la grammaire conduira les enseignants à privilégier la description de fragments de langue plutôt que d’amener les enfants à utiliser celle-ci de plus en plus habilement !

Quant aux entraînements, personne n’en nie la nécessité. La question est plutôt : que faut-il entraîner, comment, quand et dans quelle relation avec les apprentissages conceptuels et culturels ? Évidemment les réponses, dans chaque discipline, sont moins simples que la formule triviale utilisée par le Ministre. Dans la bouche d’un enseignant, elle fait peine à entendre. Et les téléspectateurs ont dû se sentir considérés comme des simples d’esprit.

"Nous ne retirerons pas ces programmes, il n'y a pas de raison de le faire, ils ont été faits par des scientifiques [...] Ces programmes ont été faits par des gens tout à fait capables, tout à fait sérieux,»


Qui sont-ils, ces scientifiques qui ont conçu ces programmes ? Il est frappant de voir à quel point le Ministre semble seul à porter ce projet. Pourquoi ces experts ne viennent-ils pas défendre leur vision de l’enseignement, leurs choix didactiques ?


Le 20 février, lorsqu'il a présenté son projet à Périgueux, Xavier Darcos a expliqué :  "parmi les personnalités qui ont été consultées ou se sont associées à la rédaction des programmes, je peux citer, entre autres, Pierre Léna, Antoine Compagnon, Alain Bentolila, Stanislas Dehaene, Marie-Christine Bellosta ou Danièle Sallenave."


En fait, et contrairement à ce qu'a affirmé le Ministre dans le même discours, l'Inspection Générale a été écartée de la rédaction du projet, alors qu'il s'agit là d'une mission qui lui est consubstantielle.  Quelle a été, par exemple, la participation effective  de Viviane Bouysse, qui figure parmi les IGEN cités par le Ministre ? Mme Bouysse a accompagné la mise en œuvre des programmes 2002 avec une ténacité remarquable. Débattant avec Marc le Bris pour le Nouvel Observateur en septembre 2007[3], elle déclarait alors que les positions des antipédagogistes étaient caricaturales, et sur un grand nombre de questions (formation initiale, rôle de l’entraînement et de l’automatisation dans les apprentissages, prise en compte des travaux de la recherche), faisait preuve d’une position mesurée et équilibrée, sans nier les difficultés de l’école mais sans proposer pour autant un retour en arrière. Des voix comme la sienne manquent cruellement dans le débat actuel. 


Concernant les maths, les langues vivantes (les langues et cultures régionales semblent d’ailleurs avoir  disparu corps et biens), la géographie et l'histoire, il n'y a dans cette liste aucun spécialiste de ces disciplines.


Concernant les sciences, X. Darcos parle de Pierre Léna, mais selon certaines sources, celui-ci dément avoir été consulté sur les textes. Est-ce un hasard si M. Charpak, à l’origine en France de l’opération "la main à la pâte", n'est pas cité ?


Si Antoine Compagnon, Marie-Christine Bellosta  et Danièle Sallenave sont des personnalités hautement estimables, leurs carrières respectives n’en font pas du jour au lendemain des spécialistes de l’école primaire. Restent donc Alain Bentolila et Stanislas Dehaene. Du reste, beaucoup de lecteurs ont cru reconnaître la patte d'Alain Bentolila dans la rédaction de l'énorme pavé sur la grammaire, du CE1 au CM2…


Pour autant, dans l'esprit de beaucoup de  téléspectateurs, il est probable que cette référence du Ministre aux scientifiques a été comprise tout autrement : le projet aurait reçu un large assentiment de la communauté scientifique, qui aurait délégué un noyau d'elle-même auprès du ministre. Or, cela ne semble pas être le cas d'un certain nombre de psychologues, de sociologues et chercheurs en sciences de l'éducation qui, au contraire, ont signé "l'appel des 19", comme J-E Gombert, S. Cèbe, M. Brigaudiot, A Florin, B. Suchaut, etc. Afin d'éviter de mauvais procès et pour couper court aux rumeurs infondées, le ministère devrait donc donner une information officielle : outre Alain Bentolila et Stanislas Dehaene, quels sont les chercheurs qui ont participé à l'élaboration de ce projet ? Les résultats de leurs recherches sont-ils publiés ? Dans quelles universités travaillent-ils ? Sur quels domaines ? Quelle est leur connaissance de l'école primaire ? Si le ministère ne répondait pas, on saurait à quoi s'en tenir…

Quoiqu'il en soit, on voudrait qu'Alain Bentolila et Stanislas Dehaene ne restent pas silencieux et qu'ils participent au débat actuel sur le projet de X. Darcos auquel ils ont collaboré. Et on aimerait lire leur point de vue. Cela permettrait peut-être de mieux saisir la logique du projet.

 

« [Les programmes] ont été faits dans l'intérêt des enfants, et d'ailleurs je constate que les familles sont tout à fait d'accord puisque, au fond, ces programmes, ils répondent à l'attente des familles, parce que font-elles, les familles, aujourd'hui, lorsque l'enfant ne va pas bien ? Eh bien elles achètent dans le périscolaire ou par des biais divers, des méthodes beaucoup plus traditionnelles, beaucoup plus mécaniques qui permettent aux enfants en difficulté de s'en sortir ».

 

Ce passage laisse songeur…

D’abord, quelle est la proportion exacte de familles qui se tourne vers le parascolaire, vers des « méthodes traditionnelles et mécaniques » ? Où sont les chiffres ? Où sont les preuves ? Le ministre utilise ici une argumentation bien bancale…

Il est presque sûr, en tout cas, qu’à force d’entendre clamer la faillite de notre école publique, de plus en plus de familles finissent par se convaincre que celle-ci a abandonné les bonnes vieilles méthodes et cherchent à se rassurer en achetant un Boscher ou en payant des cours particuliers. M. Darcos aura ainsi contribué, sur Soir 3, à soutenir ce marché, participant à ce que les psychosociologues appellent une « prophétie autoréalisatrice ».


Mais plus éclairant encore, au détour d'une phrase, le Ministre assume le caractère behavioriste de son projet de programmes en parlant « des méthodes beaucoup plus mécaniques qui permettent aux enfants en difficulté de s’en sortir ». Qui peut croire que la centration exclusive sur des savoirs purement techniques,  mécaniquement enseignés, mécaniquement mémorisés, formera une génération d'intellectuels ? C'est le contraire qui est à craindre. On n’édifiera pas ainsi le « socle commun de connaissances et de compétences», c’est certain. On n’aura pas même ses fondations…


Antoine Fetet

 

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Par fgiroud , le dimanche 30 mars 2008.

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