Jean-Yves Rochex : "aider les élèves pour qu'ils se mettent en règle avec l'Ecole, ou pour qu'ils se mobilisent intellectuellement ?"
"Dans
une perspective où l’enseignement primaire est de plus en plus
considéré comme propédeutique à l’enseignement secondaire, les études
dont nous disposons sur l’efficacité des dispositifs d’accompagnement
scolaire sont relativement décevants, si on en croit ce que dit
Glasman. Ils remplissent des fonctions de « socialisation », mais ils
n'entraînent pas forcément des améliorations significatives des
compétences scolaires. On constate aussi que ce ne sont pas forcément
les élèves les plus en difficulté qui les fréquentent le plus, et que
leurs effets sont d’autant plus positifs qu'ils concernent des élèves
qui ne sont pas trop en difficultés."
Les
malentendus des devoirsCela
amène Jean-Yves Rochex à s’interroger sur le sens de ces dispositifs :
outils de pacification ou de démocratisation ? "Il faut donc aller voir de près
ce qui s’y fait exactement." Or, ce que font exactement
les élèves quand ils font le "travail à la maison » est peu étudié.
Quand on regarde les pratiques d’aides « ordinaires », comme le fait
Christine Félix, et qu’on cherche les possibles malentendus, on
s’aperçoit que les bons
élèves se différencient surtout par le fait qu’ils
n’étudient pas les mêmes objets de savoir : pour les bons élèves, le
travail à la maison est «auxiliaire », complémentaire du
travail réalisé en classe, ce qui leur permet de solliciter une «
mémoire pratique » que les élèves vont pouvoir utiliser « en faisant
feu de tout bois » : refaire les exercices faits en classe, reprendre
des éléments du cours qu’on apprend par cœur… A contrario, les élèves en
difficulté ne font pas le lien entre le
travail fait à lécole et les devoirs de la maison : comme en classe,
ils ont une vision diachronique du travail d’étude, une tâche chassant
la précédente ent étant «surassujetti
aux contraintes les plus formelles du travail scolaire »,
en difficulté pour « unifier » la succession des tâches autour d’un
objet de savoir. Ils se construisent un milieu pour agir « trop
imprécis », comme s’ils se fixaient comme obectif de refaire à eux tout
seuls ce qui n’a pas pu être fait en classe, ce qui est évidemment une
tâche impossible.
La réussite immédiate contre la
compréhension ?
Quand on regarde les pratiques
d’aides, et bien qu’on ait peu de recherches quantitatives sur la
question, on observe de manière récurrente que c’et la prédominance
d’une logique de
réussite au détriment d’une logique de compréhension (ou
d’apprentissage). On fait un choix de tâches (en les reconfigurant) qui
rétrécissent, qui balisent étroitement le milieu pour agir et
travailler afin que l’élève arrive au résultat attendu. Mais on leur « mâche le boulot »
pour y parvenir, ce qui fait que le travail intellectuel n’est pas
nécessairement du même ordre : on explique, on montre, plutôt qu’on
modifie les données ou qu’on cherche à faire identifier à l’élève
les « objets pertinents pour faire ». "Cettte « narrow-pédagogie »
amène un très faible travail d’écriture, d’explicitation, au cours
duquel on revient peu sur ce qui s’est passé dans la tâche, où on fait
peu émerger les enjeux de savoir et les manières de faire possibles",
poursuit le sociologue."On aide les élèves à se « mettre en
règle » plutôt qu’à ce « mobiliser intellectuellement » avec
des contenus de savoir avec lesquels on n’est jamais quitte » Est-ce
que l’accompagnement a un objectif de remédiation, ou est-ce que ça
participe à une visée plus large d’acculturation, qui vise à modifier,
à élargir leur rapport au monde, au lagage, au savoir… ?En tout cas, dans tous les dispositif
ou les prescriptions actuelles (OCDE, PISA, DESCO), on est toujours
dans l’objectif de remédiation
L'excellence de certains ?
Quel mode de partage du travail,
de synergie dialectique entre les différents lieux ? Quels risques de
juxtaposition, de profusion, si on organise pas le débat entre les
espaces ? Le risque est réel que l’inflation de l’aide déresponsabilise
à bon compte l’institution, voire épouse les logiques de « repérage »
ou de « naturalisation de la difficulté scolaire » en mettant sur le
dos des élèves et des familles la responsabilité de l’échec. On a un
mouvement auquel participe ce processus, mais qui ne lui est pas
propre, d’individualisation
extrême de la manière dont on pense les parcours et les activités
scolaires, d’externalisation
des dispositifs de lutte contre l’inégalité scolaire. Le débat sur «
l’excellence pour certains élèves de ZEP » sonne comme un renoncement
aux objectifs de démocratisation
au nom de deux objectifs : élargissement de la base de recrutement des
élites et « socle minimum » pour les autres (encore que, dit J.-Y.
Rochex, l’idée de minimum n’est pas à jeter aux orties en soi, comme
l’idée de salaire minimum…)Comment
on pense la globalité de l’enfant, dans le sillage de Wallon
? Ni refuser la différentiation, ni déscolariser l’exigence
scolaire, l’interpellation de l’enfant en tant qu’élève.L’exarcerbation
des logiques formalistes et le déclin des logiques solidaires ne
risquent-elles pas de renforcer l’emprise dogmatique de l’Ecole ?Il
faut renouer avec des dynamiques de construction
de pouvoirs sociaux collectifs dans les quartiers, qui
pourraientt être un appui pour l’Ecole sans renforcer le pouvoir
dogmatique de l’Ecole, en pédagogisant le corps social...Le travail d’étude ? Mais à quoi servent les
devoirs ? Pourquoi on continue à donner des devoirs ?"Je pense qu’il est nécessaire que
l’Ecole et ses professionnels prennent mieux en charge le travail
d’étude, d’une organisation travail d’enseignement/travail d’étude
(c’est à dire un apprentissage qui exige un travail d’étude : on apprend à parler sans étudier
l’oral, on n’apprend pas l’écrit sans le travailler et le décortiquer…"Il
est donc nécessaire que circulent des objets scolaires dans l’espace
scolaire qui aident les familles notamment populaires à comprendre ce
qui se passe dans l’espace scolaire. Il ne suffit pas de 'leur en
parler" : L’espace social n’est pas fait que de parole, sauf à être
dans une conception idéaliste de l’espace social…
Par COFFEEASSO\ppicard3 , le mercredi 09 avril 2008.
|