Les formes d’aide qui enferment l’aide ? 

Parmi les moments forts des « rencontres sur l’accompagnement », des «démarches ». C’est la marque de fabrique du GFEN. Outre les temps de conférence, des moments-clés pour « vivre » dans sa chair le rapport au savoir, mettre en jeu son estime de soi ou se plonger dans l’étonnant moment d’une démarche de recherche collective. Avec un objectif : faire que ce moment reste gravé comme un souvenir fort, un moment où on a incorporé un souvenir, un choc, une rupture.
Au fil des deux jours, quelques une au hasard, avec la limite de l‘exercice du compte-rendu : une « démarche », ça ne se raconte pas, ça se vit…
Gérard Médioni : une expérience avec des souris...
Gérard Médioni7Quand on veut aider, parfois on fait le contraire… Afin de « bien y réfléchir », Gérard Médioni propose à la trentaine d’enseignants, accompagnateurs, rééducateurs, formateurs présents dans son atelier de vivre des situations concrètes. Il propose donc tout de go à la salle une « expérience sur les souris », comme le feraient des étudiants dans un laboratoire de psychologie. Plus d’un participant est perplexe après la consigne : « Dix minutes pour inventer un dispositif expérimental pour mettre en évidence les capacités d’apprentissages d’un lot de souris blanches…». Contrainte supplémentaire ? C’est à quatre par groupe qu’il va falloir inventer l’expérience…




schemaCertains groupes imaginent des dispositifs visant à mémoriser de parcours avec les yeux, d’autres cherchent à attirer les mammifères avec des sons ou de la musique. Certains montent des usines à gaz, quand d’autres font des choses très simples.
Mais l’animateur dévoile soudain la tromperie : pour certains groupes, la consigne écrite précisait que les souris étaient« géniales », quand les autres étaient censés travailler avec des souris « moins douées ». Du coup, que s’est-il passé dans la tête des groupes en train d’imaginer des dispositifs d’apprentissage ? Il semble bien qu’on ait cherché sans le savoir à modifier « l’attente » qu’on avait envers les souris. Certains le reconnaissent comme une intention explicite, d’autres s’en défendent… Le temps passe, les débats sont vifs.souris
Pour l’animateur, il faut maintenant remonter sur « ce qui s’est passé » dans le travail des groupes : certains ont intégré l’idée qu’à des souris « pas douées », on ne pouvait pas demander de choses compliquées. D’autres au contraire se sont dits qu’elles pouvaient apprendre « plein de choses » puisqu’elles étaient géniales.
Vient le temps de la théorisation : « effectivement, dit une participante, dans mon école, quand un élève est en difficulté, on cherche d’abord à lui « simplifier la tâche ». Parfois au risque de « l’assigner à résidence », de faire baisser le niveau d’exigence, poursuit l’animateur… Cet « effet Pygmalion » s’applique à l’enseignant, dans la tête desquels il est parfois difficile d’être conscient de ces mécanismes, mais au-delà pour trouver les leviers pour agir…



du facile pour les faibles ?Une participante interpelle le groupe : « Encore faut-il que les enseignants reconnaissent que la difficulté existe ! ». Dans sa ZEP, elle regrette de constater qu’elle peine trop souvent à mobiliser ses collègues.

On échange sur la nécessité d’évaluer les difficultés, mais aussi trouver les démarches qui vont permettre « d’habiter » les projets en donnant sens à ce qui se passe dans la situation, qu’on soit en classe. « Au lieu d’émietter les contenus en petits morceaux qui n’ont aucun goût, conclut l’animateur, identifions les grands nœuds conceptuels sur lequels il faut travailler, et faisons le même pari que Rosenthal, qui montra dans les années 1960 qu’en désignant aléatoirement des élèves comme « bons » ou « mauvais » aux yeux des enseignants, il faisait se réaliser la prophétie… »



Christine Passerieux : le défi de l’annonce…
Et si au lieu de simplifier, on essayer de défier ? Mais pas dans n’importe quelle condition…
Pour y travailler, Christine Passerieux propose aux participants une situation dont elle juge qu’elle est valable de la petite section aux adultes : récréer un texte. « Cette situation ne produit jamais d’échec » lance-t-elle à la salle avec un regard de défi. « Il s’agit de se mettre collectivement dans la position de l’écrivain qui doit choisir, un mot, une tournure, un rythme pour écrire un texte. D’abord seul, puis à plusieurs, on va lire un texte, sans prendre aucune note, avant d’essayet d’en retrouver le plus possible… Et je vous parie qu’on va réécrire le texte au mot près. ».

Le texte est dévoilé au tableau, et une fous la lecture silencieuse faite, l’inquiétude monte… Chacun est appelé à écrire individuellement tout ce dont il se souvient… « Je ne me rappelle plus de rien » chuchote une dame à sa voisine. Certains notent des bribes, tentent désespérément de se remémorer les mots du tableau…
 

Quelques minutes, et quelques regards interrogateurs plus loin, Christine lance à la cantonade un « vous voulez plus de temps ? ». Inutile… Chacun est arrivé au bout de ce qu’il sait seul. Vient donc le temps de la deuxième consigne : « Chaque groupe doit se metttre d’accord, ensemble, sur une version ». Chacun se met à rassembler les bribes, à raconter les petits morceaux de film qui sont dans sa tête. Au bout d’un quart d’heure, une première épreuve naît. « C’est pas mal » dit tout fort une participants, « étonnée de tout ce qu’on a retraduit malgré le bruit ».
 

Puis, c’est la mise en commun entre les groupes, phase où l’animatrice devient le réceptable de tous les échanges. L’animatrice est au tableau, et annonce qu’elle va valider les phrases proposées par les groupes. Le premier mot, « si », est accueilli sous les applaudissements. Mais dès la première ligne, premiers empaillages entre les groupes : les formulations varient, s’opposent, se négocient... La charge est rude pour l’animatrice : réguler les paroles, faire que chacun s’écoute, demander des explications complémentaires, mettre en attente le plus décidés, scruter d’un œil inquiet les bavards, rassurer les plus inquiets… Il faut que la parole soit donnée à son tour, qu’elle puisse arriver à faire sentir les ressorts poétiques du textes, faire entendre les jeux de langues, les temps employés…


C’est long et c’est difficile, mais le texte se découvre petit à petit. On s’accroche sur ce qui résiste, et on s’aperçoit petit à petit qu’on n’a pas tous compris la même chose : certains interviennent sur le sens, d’autre sur la musicalité des mots. « Je me suis aperçue du poids du collectif pour m’aider à prendre confiance, à mesurer que je n’étais pas seule en difficulté » revient une participante dans la dernière phase du travail. En effet, à l’issue de la démarche, l’animatrice revient avec les participants sur ce qui s’est passé, sur ce qui a contribué à mobiliser les uns ou les autres, de manière très diverse : ici, c’est la phase individuelle qui a dérangé, quand d’autres se sont engagés dès le départ dans la tâche. A l’inverse, la phase collective est désinvestie par certains, quand la plupart se sont mobilisés pour faire valoir leur points de vue… Et l’animatrice rappelle à ses élèves d’un jour que c’est à la fin de l’écriture du poème que la tension est maximale dans le groupe, que l’écoute s’est renforcée imperceptiblement, lorsque est venu le moment de dire si la fin du texte était porteuse d’espoir ou au contraire désespérée. « C’est quand la tension du sens impose l’engagement dans l’activité, que les élèves vous oublient, tout entiers tendus vers la résolution du problème » explique une participante à la fin de l’atelier, n’en revenant pas de la force de la mobilisation collective. Effectivement, à plusieurs, on va plus loin. A condition que l’expertise de l’enseignant sache l’organiser avec la rigueur nécessaire.


Déjà deux heures trente qu’on y est, et le temps a filé sans qu’on y prenne garde.

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Par ppicard3 , le mercredi 09 avril 2008.

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