Rapport Bentolila : Ce qu'en pense une directrice 

"Il faudrait que les pédagogues et philosophes de renom se penchent un peu sur ce que peut être la réalité d’un petit enfant et qu’ils cessent de considérer leur monde comme étant la référence de ce qui existe en France". Dominique Théret est directrice d'une école maternelle et élémentaire du nord de la France. S'appuyant sur cette expérience, elle réagit au rapport Bentolila sur la maternelle.

 

La première réaction qui me vient après lecture de ce rapport est la méconnaissance de ce qui se passe dans les classes de maternelle. Ce n’est certes pas en lisant les rapports d’inspections de deux ou trois circonscriptions ou en assistant à quelques séances dans une classe que l’on peut saisir toute la complexité de cette école, véritable entrée dans le système scolaire et la vie en société.        

 

Quelle part pour l’école maternelle ?

La couper de l’école élémentaire en supprimant la passerelle que représente la section de grands démontre bien que les enseignants de cette classe n’ont pas été consultés. Les enfants deviennent alors des élèves, c’est au cours de cette année qu’ils prennent réellement conscience des enjeux de l’école et de la nécessité de s’engager dans un apprentissage pas toujours ludique de la lecture.

Cela ne se fait pas pour tous à un instant précis. La conscience de l’élève s’éveille tout au long de l’année scolaire, pour certains cela va très vite et pour d’autres il faudra  attendre un peu. Pour quelques rares élèves encore, cela ne se fait pas.

 

L’obligation scolaire à trois ans est, pour moi…

 … un non sens. Beaucoup de petits sont souvent absents au cours de la première année parce que c’est leur premier contact avec le monde extérieur non protégé. Les virus sont nombreux dans ces microsociétés où nous nous côtoyons dans des espaces réduits et certains enfants ne résistent pas au bain de microbes dans lequel ils trempent tous les jours.

Si l’école est obligatoire, il va falloir améliorer l’accueil : multiplier les lits pour le temps de repos de l’après-midi, assurer les remplacements en cas d’absence de l’enseignant. On ne peut imposer sans donner les moyens de recevoir.

Dans mon école, les parents des élèves scolarisés en maternelle téléphonent lorsque leur enfant est malade. Et si l’absence se prolonge sans explication, c’est nous qui  appelons pour en connaître les raisons. La fréquentation est régulière parce que nous insistons bien sur l’importance d’une scolarisation régulière pour que les enfants puissent progresser dans leurs apprentissages… surtout auprès des familles en grande difficulté.

 

Des ateliers pour construire…

Je suis toujours assez scandalisée par la mauvaise application de la pédagogie par ateliers et par sa non compréhension. Alors que cette démarche de travail me semble être celle qui permet aux enfants de progresser  plus vite parce qu’ils ont la possibilité d’être tous accompagnés dans leur réflexion, je m’aperçois de plus en plus qu’elle est peu ou mal appliquée.

 

Qu’un rapport soit encore nécessaire pour expliquer la manière de construire et de conduire une séance, que l’on puisse supposer que la pédagogie par ateliers amène les enfants à ne bénéficier que d’une demi heure d’apprentissage par semaine me conduit à me poser certaines questions : pourquoi est-ce que je passe autant de temps sur ma préparation de classe ? Pourquoi est-ce que je me creuse la tête à trouver des activités qui permettent aux élèves en dirigé d’être en situation de recherche et à ceux en autonomie de ne pas perdre leur temps ?

 

La meilleure façon de « découvrir les vertus du silence » est souvent de montrer aux enfants qu’il est bien plus agréable de travailler dans le respect de l’autre, afin de pouvoir se concentrer sur ce que l’on vous demande. D’ailleurs, il n’est pas rare que des enfants se plaignent du niveau sonore trop élevé et  réclament un peu de calme de la part des autres.

 

M. Bentolila s’est forgé une opinion d’après l’avis d’autres personnes, qui, même si ce sont des professionnels de l’éducation dont le seul souci est l’enfant et sa réussite, ne connaissent pas la réalité de la prise en charge d’une trentaine d’élèves.

 

Une attitude comme celle-là va désespérer ceux qui sont en constante recherche, puisque ce qu’ils accomplissent dans leur classe n’est pas reconnu, mais n’incitera pas ceux qui travaillent en frontal à changer leur méthode, puisque la pédagogie par ateliers est ici présentée comme peu efficace et de toute façon bien trop difficile à mettre en application.

 

Quant au  passage aux toilettes… chez nous, ce sont les parents qui y conduisent leurs enfants avant de les amener en classe après les avoir déshabillés et qui leur remettent leur manteau à la sortie. L’accueil est aligné sur celui des classes élémentaires et il n’est pas rare de voir les enfants en activité dès leur entrée en classe à 13h20. 

 

La distribution du lait évolue dans le courant de l’année et les tableaux de choix permettent à tous les élèves d’apprendre à reconnaître les prénoms de la classe en majuscule, script et cursive, à comparer les quantités et à communiquer dans des situations vécues où les enfants apprennent à s’organiser.

 

Et la sieste en petite section est surveillée par une ATSEM, ce qui permet aux classes de travailler l’après-midi avec des effectifs allégés.

 

 

… et des programmes déjà bâtis

Les programmes sont établis en conseil de cycle, je sais ce que ma collègue travaille comme compétences en moyenne section et nous nous accordons sur celles à étudier en petite section. Tout comme ma collègue de CP sait quelles sont les compétences de cycle 2 abordées dans la grande section.

 

Il y a bien longtemps que l’école maternelle n’est plus perçue comme une grande garderie, tout au moins chez nous. Le temps de la gentille instit blonde qui peut travailler avec les petits parce qu’elle a un joli sourire est révolu depuis bien longtemps, sauf peut-être pour les dinosaures de la profession, qui n’en ont plus d’ailleurs pour très longtemps… à moins qu’ils ne soient eux-mêmes remplacés par de jeunes pédants qui parlent de ce qu’ils ne connaissent pas.

 

 

Des maux aux mots

            Les conseils autour de l’acquisition du langage, de la communication et de l’entrée dans la littérature me peinent profondément : comment M. Bentolila pense-t-il que nous occupions nos journées ? A-t-il envisagé la dépense d’énergie nécessaire à la conduite d’une classe ? S’il ne nous fallait que  maintenir l’ordre et demander aux enfants de produire des traces écrites, je pense que la vie de classe paraîtrait bien plus facile à bon nombre de « maîtresses ».

 

Je le répète, rien de ce qu’il propose ne me semble nouveau… à part peut-être « le trésor des mots de la classe », que nous n’enfermons pas dans un coffret pour être soustrait à la vue de tous mais qui sont au contraire exposés et utilisés le plus souvent possible pour faire partie de la vie courante.

Quant à envisager des modules de formation pour travailler la lecture à haute voix, cela me semble bien insultant puisque l’on considère qu’elle fait partie des compétences à acquérir à la fin du cycle 3.

 

Les textes abordés en maternelle sont maintenant aussi diversifiés que dans les autres cycles. On y découvre de beaux textes dans les contes, albums et poèmes lus en classe. On apprend à se servir des écrits fonctionnels qui n’ont pas l’heur de plaire à M. Bentolila et pourtant, de savoir lire une fiche de fabrication ou une recette, peut se révéler très utile… et pas seulement à l’école. On apprend à différencier la phrase du mot et de la lettre. On cherche les sons qui se ressemblent, à l’oral, parce qu’à l’écrit, c’est bien trop facile.

 

Par contre, on recherche « l'unité-mot » à l’écrit. A l’oral, le découpage en mot ne peut se percevoir que si l’on ne sait pas construire de phrases. Voyez le cas de l’âne :

« J’ai vu un âne. 

-       Il est beau le nane.

-       On dit l’âne.

-       Moi aussi j’ai vu un lane. »

Et l’organisation grammaticale d’une phrase ne doit pas empiéter sur la construction poétique. Chez Ponti, les gâteaux d’Annie Versaire peuvent manger des petites filles et même des poussins. Et la maman des poissons de Bobby Lapointe continuera à faire des yeux ronds avec ou sans citron.

 

Faut-il laisser les enfants baigner dans un no man’s land poétique, triste reflet de la politique actuellement mise en place ?

 

 

Communiquons

Le constat de l’échec de l’école, maternelle, élémentaire, collège, lycée ou fac tient moins  à une analyse superficielle de la situation au travers de quelques rapports d’inspection qu’à un malaise profond de la société actuelle. L’école n’est jamais que le miroir de la vie de dehors.

 

Les élèves doivent apprendre à communiquer, je suis d’accord. Mais il faudrait peut-être qu’ils puissent se référer à des modèles. Or, peu d’adultes y parviennent. Combien sont capables d’écouter ce que les autres ont à dire sans leur couper la parole ? Combien savent intervenir dans une discussion sans répéter ce que l’on vient de dire ? Combien peuvent admettre que leur histoire n’est pas la seule qui doive être prise en compte ?

 

La communication n’existe plus quand on l’enferme dans des ateliers. Elle doit être présente partout, que ce soit dans la cour de récréation ou pour résoudre un problème mathématique. Envisage-t-on d’entendre un jour : «stop, on arrête tout, maintenant on communique» ? Après tout, pourquoi pas, si on considère que les mots font des bruits… Mais cela n’est-il pas en contradiction avec « les vertus du silence » ?

 

 

Les problèmes ne viennent pas toujours d’ailleurs

Il reste un grand problème qui n’est pas abordé dans ce rapport, c’est celui des élèves en grande difficulté. Certes, les enfants de migrants sont pris en compte ; dans d’autres lieux on se préoccupera des peuples voyageurs. De nombreuses actions sont mises en place pour la scolarisation des enfants tziganes et des non francophones. Mais rien n’est réellement fait pour les enfants en très grande difficulté issus du quart-monde. Peu ou pas de soutien. Pas de solution sauf celle du maintien.

 

”L’arabe, le kabyle, le bambara, le soninké, le turc, le lingala…”  sont valorisés… et le ch’ti ? A supposer que ces parents migrants maîtrisent l’écrit de leur langue maternelle. Si M. Bentolila s’éloignait un peu des grandes métropoles lorsqu’il voyage en Afrique du Nord par exemple, il s’apercevrait que beaucoup d’adultes ne savent pas lire, seule la langue orale est maîtrisée. L’éloignement de l’école, la nécessité d’apporter de l’argent à la maison n’a pas permis aux classes les plus défavorisées qui migrent en espérant des conditions de vie meilleures de s’inscrire dans une culture littéraire.

 

Si leur situation dans leur pays d’origine leur permettait d’être intégrés, ils ne seraient, de toute façon, pas venus en France. On ne parle pas d’enfants de migrants si les parents sont profs ou médecins… La scolarisation des petits japonais lorsque Toyota s’est installé près de Valenciennes n’a pas soulevé autant d’interrogations…

 

Sur la place Jamaa El F'Na à Marrakech, les conteurs sont entourés d’adultes masculins, on n’y voit ni une femme, ni un enfant (à part les touristes étrangers).

 

Les enfants des familles non migrantes en grande difficulté se retrouvent devant les mêmes besoins sans pour autant bénéficier d’autant d’attentions. La langue parlée à la maison y est aussi éloignée qu’une langue étrangère et le monde domestique n’a rien à voir avec ce que propose l’école.

 

La « bourse des talents » est certes une idée très généreuse mais comment faire avec les familles en très grande pauvreté ? Nous avons réussi à en intégrer certaines parce qu’une maman s’est présentée aux élections de parents d’élèves. Il a fallu travailler auprès de quelques parents qui avaient des difficultés à accepter cette personne pleine d’herpès, vivant dans une maison où les animaux ont tous les droits, dans une cour qui ressemble à une casse automobile.

 

Dans notre école, la grande majorité des élèves en très grande difficulté sont tous blancs, non issus de l’immigration et français depuis la nuit des temps. Drogue, alcoolisme et violence sont les valeurs qui y sont le plus souvent représentés…

 

La fracture de notre société n’est plus ethnique, elle est sociale. Et si des étudiants peuvent intervenir dans des familles bambara, soninké ou turque où ils seront accueillis comme des ouvertures vers le pays d’accueil et où ils pourront trouver un échange, je doute fort qu’ils puissent résister à la réalité brutale des familles en état de très grande pauvreté où les besoins de base ne sont même pas assurés.



Il est vrai que la maternelle est une école difficile. La majorité des stagiaires que j’ai accueillis renâclaient à y venir… au début. Leurs réflexions : « trop difficile », « pas de manuel de référence » « on ne comprend pas tout ce qu’ils disent ». Puis certains se sont laissés éblouir par l’exigence des défis à relever, l’enthousiasme et la richesse des enfants.

 

La spécification de la formation des professeurs des écoles (ou des « maîtresses » pour reprendre le terme de M. Bentolila) ne fera rien pour résoudre les problèmes. Il faudrait pour cela que les enseignants se replacent en situation de « grand apprenant », qu’ils se resituent dans des apprentissages qui n’ont rien à voir avec leur vécu pour pouvoir comprendre le grand vide qui peut parfois envahir les yeux de leurs élèves.

 

Il faudrait que les pédagogues et philosophes de renom se penchent un peu sur ce que peut être la réalité d’un petit enfant et qu’ils cessent de considérer leur monde comme étant la référence de ce qui existe en France.

 

Dominique THERET

Directrice d'école

 

Dominique THERET est directrice d'une école primaire à ROOST WARENDIN, dans le NORD, près de DOUAI. Elle a la responsabilité d'une classe maternelle. L'école comprend 3 classes maternelles et 4 classes élémentaires.


 

Liens :

Sur le Café, le texte du rapport (pdf)

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Documents/docsjoints/Bento-mater.pdf

Sur le Café, l'analyse de P. Boisseau

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2008/BoisseauBentolilat.aspx

Article de Pierre Frackowiak sur le rapport Bentolila

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2007/Matern[...]

Le rapport Bentolila dans L'Expresso

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2007/12/21122007Accueil.aspx

Sur le Café, "La maternelle a de l'avenir" reportage de L. Gillet

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2007/11/301107mater.aspx

Sur le Café, Lire et écrire en maternelle : le feuilleton de B. Devanne

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/La[...]

Le dossier du Café sur le précédent rapport Bentolila : la "leçon de mots"
http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/[...]

 

Par fgiroud , le dimanche 06 janvier 2008.

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