Journée OZP-Mouvements pédagogiques : "Où est la politique de l'Education Prioritaire ?" 

Paradoxe : samedi 17 mai, l'OZP invitait, dans le cadre prestigieux du lycée Henri IV, les mouvements pédagogiques du CLIMOPE (Ligue de l'Enseignement, CRAP, Education & Devenir, FOEVEN, OCCE, Francas, GFEN, ICEM, AFL, CEMEA...)  à venir co-construire des perspectives pour l'Education Prioritaire. A la fois ambitieuse et large, la thématique de la journée ("Education Prioritaire, réussir") était aussi fortement polysémique : vu du terrain, le moins qu'on puisse dire est que la politique actuelle du ministère en matière d'Education Prioritaire n'est pas très... visible !



salle
Il est chef d’établissement dans un collège tranquille du Loiret, et il est venu voir si les ressources conjuguées de l’Education Prioritaire et de l'Education Nouvelle pouvaient l’aider à mieux comprendre la manière de faire progresser les élèves en difficultés... Elle est professeur de français et souhaite mieux travailler de manière transdisciplinaire. Il est documentaliste dans un établissement innovant.. Elle coordonne à l’IUFM le projet d’accompagnement scolaire proposé aux PE1. Elle est étudiante en psychologie et elle accompagne des élèves dans des ateliers du soir. Elle est maître E, il est étudiant en sociologie, elle est secrétaire d’un réseau ambition réussite, ou directrice d’école maternelle…

Même si certains ne sont plus au contact direct de la classe, chargés de responsabilités dans des associations, des mouvements ou des structures, les participants à la journée de l'Obervatoire des Zones Prioritaires (OZP) partagent un souci commun : chercher ensemble, malgré les difficultés du temps, des réponses à construire, à tous les niveaux du système éducatif, du plus local au plus central, pour contribuer à la réussite des élèves, et surtout dans les zones « prioritaires ».



bourgarel et renard Pour Alain Bourgarel, introduisant la journée aux côtés de Nicolas Renard, président de l'OZP, le silence pensant du gouvernement sur l’avenir de l’Education prioritaire est très inquiétant. « Si l’Education Prioritaire, c’est seulement les RAR, il faut le dire, et en tirer les conséquences, mais les personnels ne peuvent plus travailler dans cette incertitude… On sait désormais un peu plus de choses sur le « plan banlieue », mais en ce qui concerne les questions éducatives, ça ne va pas loin, et ça pose beaucoup de questions. Prenons l’exemple du « busing : je peux témoigner, pour l’avoir mis en place il y a des années, des difficultés que pose ce type d'organisation. Pas seulement pour des raisons de transports, mais parce que c’est quelque chose qui doit être préparé avec tous les acteurs : les élèves qu’on va déplacer, les familles concernées, mais aussi les élèves, les familles et les professeurs des établissements d’accueil, dont rien ne dit qu’ils seront enthousiastes sur l’arrivée de nouveaux élèves. Or, notre système d’annonces médiatiques n’y prépare pas… Et je crains qu’on fasse n’importe quoi et que les élèves en fassent les frais. »



Il porte également un regard circonspect sur la proposition de faire intégrer 5% des meilleurs élèves de ZEP dans les classes préparatoires des grandes écoles. Il s’inquiète également du silence total de la rue de Grenelle sur l’avenir des coordonnateurs de REP. « Il ne s’agit pas de nostalgie, mais quand on a des coordonnateurs qualifiés et soutenus par leur administration, on a là des emplois très utiles. Pourtant, le récent rapport de l’inspection Générale (Armand-Gilles) est très pertinent pour comprendre ce qui se passe vraiment au cœur des classes, et des pistes qu’il est nécessaire de suivre pour l’Education Prioritaire". Pour conclure avec les propos de Martin Hirsch, "on n’avancera pas « sans un effort considérable pour l’Education Prioritaire. A cela nous sommes tenus, puisque c’est possible. »



Dans un souci d’efficacité, l’assemblée se partage en ateliers, afin de favoriser les échanges entre participants. Les questions sont vastes : socle commun et ZEP, garçons-filles, ateliers d’écriture, travail ou activités, laïcité, travail des enseignants référents, culture et ZEP…

Le Café n’étant pas doué d’ubiquité, quelques illustrations de la richesse des échanges dans deux ateliers choisis au hasard…



Le lien entre savoirs scolaires et activités extrascolaires.

jeux Les CEMEA ont développé, dans le cadre de leur expertise de mouvement d’éducation populaire, des expériences permettant de faire des ponts entre les parents, les enseignants, les associations d’aide à la scolarité. 


salle Ils ont mis au point des mallettes spécialisées qui permettent chacune plusieurs dizaines d’heures d’activités, sur plusieurs thématiques : logique et stratégie, lecture et médias, technologie… Ils proposent aussi d’enrichir les ENT (Espaces Numériques de Travail) en proposant des contenus accessibles à l’école, au centre de loisirs et à la maison. Une manière de pouvoir rendre plus poreuse les frontières entre l’école et les autres temps d’accueil collectif.


Des outils concrets pour qualifier les intervenants

L’atelier propose de voir quel lien ces activités peuvent avoir avec les apprentissages, notamment scolaires, et dans quels espaces ils peuvent être utilisés.



On se repose une nouvelle fois la question des « savoirs » scolaires, et des spécificités de l’accompagnement scolaire sur l’aide aux devoirs. « Vivre des situations, des expériences sont des moments incontournables pour que tous les élèves puissent passer par des moments forts qui seront autant d’expériences qu’ils pourront mobiliser dans leurs apprentissages". Sous réserve d’arriver à qualifier suffisamment les animateurs pour qu’ils puissent utiliser les outils en dépassant leur caractère « occupationnel » et mieux comprendre en quoi ils peuvent contribuer aux processus d’apprentissage et de développement des jeunes.

« Rendre vivants les savoirs scolaires », explique Zahra Boudjémaï (CEMEA), « est une démarche qui a fait ses preuves, mais le défi pour les mouvements d’éducation populaire est d’affronter la pression de tous ceux qui souhaitent que les temps de « soutien » soient exclusivement concentrés sur les « devoirs scolaires ». "Le lien avec l’Ecole, le fait qu’elle partage ou non les analyses et les propositions faites dans les temps d’accompagnement scolaire est essentiel", poursuit M. Deslandes, qui accompagne un dispositif local d’accompagnement scolaire. Les espaces partagés entre partenaires, les co-interventions, les formations communes sont autant d’occasion de réinterroger la spécificité de chacun, de comprendre le point de vue de l’autre et ce en quoi il peut être complémentaire dans un projet éducatif global.
Mais de plus en plus de dispositifs se chevauchent désormais sur le temps « péri-scolaire » (accompagnement à la scolarité, études dirigées, centres de loisirs, accompagnement éducatif, deux heures libérées pour le  soutien scolaire dans les écoles…), qui risquent d’être autant de pièces d’un puzzle difficile à articuler, chacun ayant du mal à exprimer sa spécificité… Pas sûr que la circulaire du 10 avril 2008 soit suffisante pour dissiper toutes les difficultés.



Traitement individuel et/ou collectif de la grande difficulté ?

salle Un autre atelier se centre, après les repas, sur cette question plutôt vive : « On rentre de plus en plus sur des logiques d’individualisation de la difficulté scolaire. Ne risque-t-on pas d’effacer les conditions sociales de la réussite ? » engage une enseignante, qui craint l’entrée en force du registre médical sur l’analyse de la difficulté des élèves.


Beaucoup insistent sur l’importance du travail « en amont » plutôt qu’en remédiation, par exemple en travaillant avec des maîtres surnuméraires ou en outillant l’élève pour qu’il comprenne les progrès qu’il a faits et ce qui lui reste à faire... « Les PPRE, on peut dire que ça sert, si on ne veut pas trop regarder de près » exprime une jeune enseignante qui rappelle que nombre de ses collègues de ZEP sont débutants et en difficulté professionnelle… »


« On voit que les dispositifs sont plus souvent efficaces pour ceux qui sont en difficulté moyenne que sur ceux qui sont les plus loin de l’univers scolaire » précise un chef d’établissement.



salle Les dispositifs pilotés par le ministère de la Ville (plan Borloo) sont souvent interrogés, mais pas pour autant forcément condamnés : « On avait beaucoup fait le procès à la réussite éducative de risquer de glisser vers l’hyper-individualisation. Ce n’est pas ce que nous constatons localement, et les dispositifs que nous mettons en œuvre s’intéressent à tous les aspects » explique un participant tourangeau. Mais une coordonnatrice ZEP est préoccupée par un autre problème : « On n’a pas formé les enseignants sur les difficultés spécifiques de certaines populations, à avoir un regard sociologique sur la réalité qu’ils vivent. Et en même temps, on fait porter sur le scolaire toutes les difficultés sociales ». Certains interrogent l'efficacité des différents dispositifs mis en œuvre au cours de la scolarité : « Dans notre collège, on a mis en place une commission de suivi des élèves en difficultés, et ça nous a fait mal : on voit que les difficultés ont été repérées dès la maternelle, que les élèves ont eu beaucoup de dispositifs d’aide, et qu’ils ont malgré tout des difficultés persistantes au collège. Mais a-t-on été voir de près, en équipe, quelles étaient exactement les difficultés scolaires ? Travaille-t-on assez sur l'interne de la classe ?». Une psychologue scolaire fait état de ses difficultés professionnelles : « La loi de 2005 oblige à qualifier les élèves de "handicapés" pour pouvoir les prendre en charge. Les parents ne comprennent pas, et refusent cet étiquetage ».



XYZ, centre alain savary Ce qui frappe au cours de l'atelier, c'est la manière donc chacun semble condamné, dans sa sphère professionnelle, son établissement ou son école, à tout réinventer, année après année, équipes après équipes, comme si les ZEP n'avaient pas d'histoire... Pourtant,  la conférence de consensus réalisée par le centre Alain Savary (ZYZep n°27, mai 2007), donne des pistes extrêmement précises, tant pour l’analyse des difficultés des élèves, que pour la formation : désaffectiver les difficultés professionnelles, oser entrer dans la classe pour observer concrètement ce qui s’y passe, regarder de près les procédures utilisées par les élèves. « Faire rentrer une caméra dans une classe, c’est offrir un moyen d’échange professionnel extraordinaire, et dépasser le stade de l’injonction du « pédagogiquement correct » raconte une jeune enseignante qui a eu l'occasion de le vivre lors d'une rencontre avec une équipe de recherche.

La synthèse de l'atelier est délicate, on sent qu'on n'a pas eu le temps de faire le tour de la question, mais trois pistes émergent : ne pas se contenter de chercher des recettes pédagogiques miracles dans l’individualisation ou la rémédiation, ne pas esquiver les controverses professionnelles, ne pas laisser l’Ecole seule face à la difficulté sociale. « Nous avons besoin de déplacements, de regards croisés, pour ne pas s’enfermer dans nos certitudes, pour dépasser les tensions entre le traitement individuel et les réponses collectives » conclut le rapporteur.



Table-ronde finale « Quelles exigences ? Quelles perspectives pour l’éducation prioritaire ? »

salle Il revient à quelques responsables la lourde responsabilité de tirer un fil de la richesse des échanges des ateliers. Chacun prend ses libertés avec la consigne...
« Quand rien ne tient dans l’Ecole, la ZEP ne tient pas non plus. Sans projet politique, pas de projet pédagogique.
Entre les acteurs territoriaux qui veulent que leur ville marche, les acteurs institutionnels plus soucieux de leur carrière et les acteurs de terrain qui cherchent souvent à fuir le territoire sur lequel ils travaillent, quels projets communs ? »
attaque sans ronds-de-jambe Véronique Decker, enseignante (ICEM) de Bobigny. « Ce qui m’intéresse, ce sont les progrès que font les 18000 élèves de Montfermeil, pas les 10 qui pourront avoir une place dans une grande école… Pour cela, nous avons besoin d’un pilotage démocratique des ZEP, avec des pouvoirs et du temps de formation et de concertation pour les acteurs eux-mêmes… ».



Jean-Claude Guérin, (Ligue de l’Enseignement), insiste sur la situation politique : « Certaines valeurs que nous tenions pour acquis sont en passe d’être remis en cause, quand la liberté surveillée et l’Egalité des Chances remplacent la Liberté et l’Egalité tout court… Nous avons à faire de la résistance, mais aussi des propositions. L’Éducation Prioritaire, c’est une autre organisation du temps et des activités, une autonomie contrôlée des équipes et des projets qui permettent aux acteurs de travailler ensemble dans des « espaces concertés ». Je ne crois plus aux replâtrages autour d’une heure, une classe, un prof… Mais travailler avec cette ambition nécessite de cesser d’aller à marche forcée dans les injonctions, alors même que les ministères ne mettent même pas en place les instances nationales et régionales de pilotage, pour assurer le va-et-vient entre les différents niveaux ».



Nicolas Renard, président de l’OZP, interroge «  les « soutiens tous azitmuts » qui ne nous aident pas à voir où on va. S’il ne remet pas en cause l’idée d’espaces de soutiens individuels, il attire l’attention sur l’inefficacité du « refaire à l’identique ». Il faut donc mieux articuler parcours individuels et travail collectif en classe. « Individuel ou collectif », ça concerne les élèves, mais aussi les adultes qui travaillent avec les élèves. "Aller voir le cours d’un autre enseignant, ça aide à relativiser ce qu’on croit être intangible. Mais il faut aussi interroger notre capacité à réunir de grandes assemblées pour un résultat pas toujours efficace..."



Quels leviers immédiats ?


« Il faut travailler à accompagner localement les équipes, faire travailler ensemble les collectifs de coordonnateurs et de référents pour mieux définir leurs métiers » propose Nicolas Renard. Jean-Claude Guérin appelle aussi à trancher dans le vif : « Il faut limiter le nombre de ZEP pour mieux agir sur les territoires jugés prioritaires… »


« Ne pas en rabattre sur nos ambitions, pour les élèves comme pour les personnels, pour les enseignants comme pour les accompagnateurs associatifs. Osons mettre en œuvre des propositions concrètes pour la formation des intervenants. C’est la richesse de nos associations, de leurs histoires et de leurs trésors. Cette première rencontre de l’OZP et des associations du CLIMOPE peut ouvrir de vraies pistes concrètes, propose Michel Ducom (GFEN). Poursuivons… »



Sur le site du Café
Par COFFEEASSO\ppicard3 , le dimanche 18 mai 2008.

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