Maternelle : un discours ministériel " en total décalage avec les faits" selon Bruno Suchaut 

"Il est certain que se servir de la scolarisation maternelle comme variable d’ajustement… va renforcer les inégalités sociales face à l’éducation". Bruno Suchaut, directeur de l'IREDU et spécialiste des apprentissages en maternelle, analyse sévèrement le discours ministériel sur l'école maternelle.  "Ce discours est pourtant en total décalage avec les faits et de ce que l’on connaît de l’école maternelle sur la base, d’une part de données comparatives sur l’enseignement préscolaire en Europe et dans le monde, et, d’autre part, des études françaises portant sur l’efficacité de l’école maternelle".



Les récents propos du Ministre de l’Education nationale concernant l’école maternelle, au-delà de leur dimension perçue comme provocatrice par de nombreux acteurs de l’école, ouvrent un débat sur un aspect important de la politique éducative. La question de la scolarisation maternelle pour tous les élèves est clairement posée. On assiste déjà régulièrement, et depuis plusieurs années, à une baisse très sensible du taux de scolarisation des enfants de 2 ans, cette tranche d’âge étant devenue une variable d’ajustement dans la répartition des moyens. Le contexte de rigueur budgétaire qui semble structurer l’essentiel de la politique éducative actuelle a pour conséquence de remettre en cause à présent la scolarisation des enfants de 3 ans.


Au niveau politique, il devient alors utile de justifier cette situation, ou tout du moins de l’accompagner, d’un discours peu gratifiant sur l’école maternelle et même sur les enseignants qui y travaillent. Ce discours est pourtant en total décalage avec les faits et de ce que l’on connaît de l’école maternelle sur la base, d’une part de données comparatives sur l’enseignement préscolaire en Europe et dans le monde, et, d’autre part, des études françaises portant sur l’efficacité de l’école maternelle. Dans la grande majorité des pays du monde, l’enseignement préscolaire est toujours porteur d’efficacité sur la carrière scolaire ultérieure des élèves. En France, les recherches ont systématiquement relevé un lien positif entre la durée de fréquentation de l’école maternelle et la réussite des élèves à l’école élémentaire, tant sur le plan des acquisitions que sur celui de la qualité des parcours scolaires. Il y a bien sûr d’autres dimensions psychologiques et sociales qu’il conviendrait à mettre au profit de la scolarisation maternelle, même si celles-ci ont été assez peu évaluées dans le contexte français.


L’argument des coûts est également invoqué pour justifier la faible priorité accordée à ce niveau d’enseignement, là encore, cet argument demande à être rapproché de données factuelles. Or, quand on examine les coûts de l’enseignement préscolaire dans les pays développés, notre pays se situe parfaitement dans la moyenne. En France, les coûts unitaires d’un enfant scolarisé en maternelle, sont bien moins élevés que ceux relevés dans d’autres structures d’accueil. Les coûts sont en effet le reflet de deux dimensions principales : le taux d’encadrement et le niveau de rémunération du personnel et c’est cela qui explique les différences de coût entre les modes d’accueil alternatifs de la petite enfance.


Dans ce débat, il ne faut pas perdre de vue que les missions de l’école maternelle lui sont spécifiques, s’appuyant notamment sur des programmes dans lesquels figurent les apprentissages à développer chez les jeunes élèves. Il est donc aisé de semer la confusion entre mettant sur le même plan les différents modes de prise en charge des jeunes élèves sans distinguer les conditions d’accueil et les pratiques développées. Dans cette confusion, la tentation est alors grande pour évoquer une « surqualification » des enseignants de maternelle…


Il est certain que se servir de la scolarisation maternelle comme variable d’ajustement, alors que les autres niveaux d’enseignement se voient également être victimes d’arbitrages contraignants,  va renforcer les inégalités sociales face à l’éducation. Comme toujours, quand l’offre se fait plus rare, et sans mécanisme de régulation, il y a fort à parier que ce sont les plus démunis dans la société qui seront, le plus souvent, écartés de l’offre d’éducation maternelle.


La politique actuelle va conduire à des changements rapides et profonds de l’école dans un contexte budgétaire peu favorable alors, qu’en même temps, des objectifs d’amélioration de la qualité sont fixés. Si les contraintes économiques sont aisément visibles dans les choix réalisés, les aspects qualitatifs ne semblent pas être une priorité dans les réformes engagées. La nouvelle organisation du temps scolaire à l’école primaire en est un exemple illustratif qui va à l’encontre des préconisations sur le respect des rythmes de l’enfant et qui apparaît aussi en décalage avec ce que l’on sait de l’efficacité pédagogique, notamment pour la prise en charge de la difficulté scolaire.


Ce n’est pas la seule utilisation des moyens financiers alloués à l’école qui doit guider la politique éducative, les aspects économiques ne pouvant se dissocier des facteurs de qualité de l’école. L’école maternelle, par la diminution de la capacité d’accueil des 2-3 ans, apparaît en ce début d’année scolaire, comme une victime de la politique menée ; il serait sans doute davantage productif, dans une vision à plus long terme, de s’intéresser davantage à ce qui se fait réellement à l’école maternelle, d’y repérer et de développer les pratiques efficaces, plutôt que de la parodier en  « en  remettant une couche »…


Bruno SUCHAUT

Directeur,

IREDU-CNRS, Université de Bourgogne



B. Suchaut : La maternelle au centre des apprentissages

http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/laclasse/Pages/2008/90[...]


Articles de B. Suchaut sur le Café :

Sur Pisa

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2007/pisa_06_Br[...]

Sur l'accompagnement scolaire

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2007/87_accomp_In[...]

Sur l'ecole primaire

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2007/HCE_B_Suchaut.aspx



Par fgiroud , le dimanche 21 septembre 2008.

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