Mathématiques : le parent pauvre ? 

Denfert7Historien des mathématiques, Renaud d'Enfert explore les débats actuels sur l'enseignement des mathématiques à la lueur des évolutions des programmes au cours du siècle.
Octave Gréard, en 1868, entendait apprendre aux élèves du primaire "ce qui n'est pas permis d'ignorer" dans "un tout complet à son degré", qui n'aurait pas déplu aux initiateurs du socle commun. L'Ecole publique va donc mettre en place des notions qu'on va enseigner de manière gradué et concentrique, chaque année approfondissant les notions enseignées les années précédentes. C'est à cette époque que se met en place l'enseignement précoce des quatre opérations dès l'entrée à l'Ecole. On apprend également très tôt le système métrique ou la géométrie.

En 1923, les programmes sont remodelés dans une perspective plus progressive, mais ils gardent jusqu'à la rupture de 1970 des traces "concentriques" : les opérations restent au programme du cours préparatoire, même si les programmes de 1945 n'évoquent plus que des muliplications par 2 et par 5. Ils portent aussi la volonté que les problèmes soient "vraisemblables", utiles, instructifs, centrés sur l'univers de la vie courante : travail des champs, clôtures, fourrage et engrais... Entre utilité sociale et aspects éducatifs, on essaie de marier l'appel à l'expérience sensible et l'arithmétique, l'observation et le raisonnement. La géométrie s'enseigne avec de vrais instruments, des décamètres et des chaines d'arpenteurs. On plie, on découpe dans le cadre du "travail manuel".

mathsDans les années 1960, ce modèle est destabilisé par un changement de fonction de l'école primaire : la scolarisation des élèves est prolongée au collège par la réforme Berthoin. Il faut donc que les programmes du primaire les y préparent :  la mémorisation des tables est réaffirmée fortement,  le rôle de la mémoire "réhabilité". Mais si les instituteurs sont globalement d'accord, les archives des débats de l'époque insistent sur leur demande de préserver une place importante pour les activités de découverte et de construction progressive des notions, malgré la demande forte des professeurs de collège qui déplorent la "baisse de niveau" des nouveaux élèves qui y arrivent, d'autant plus qu'ils sont plus jeunes que ceux des années précédentes.

La réforme de 1970, qui introduit les mathématiques "modernes", soutenue par les sociétés de mathématiciens, développe l'idée d'une réforme globale, de la maternelle à l'université. Mais dès sa mise en oeuvre, des pressions considérables s'exercent pour que la réforme soit abandonnée. Elle ne sera jamais mise en oeuvre dans le second degré, qui fera tout pour que ces activités soient retirées des programmes, et qu'on reviennent à des méthodes qui permettent d'assurer les enseignements du second degré selon les règles de l'Art en vigueur dans les classes des collèges et lycées.

Aucun bilan n'a jamais été tiré de cette expérience, notamment de la difficulté pour un corps comme celui des instituteurs de l'époque, pour incorporer brutalement dans leur enseignement des contenus et des manières de penser les maths qui leur étaient largement étrangères...

Valéry Barry-Soavi : "quatre besoins d'apprentissage fondamentaux"Prévention, trouble : quelles frontières ? barryLe concept de prévention, importé du milieu médical, recouvre les actions destinées à ce que les difficultés n'apparaissent pas (prévention primaire), de re-médiation (secondaire) ou de risque vital (tertiaire, qui peut concerner certains élèves handicapés scolarisés, comme les autistes). Pour Valérie Barry-Soavi, professeur à l'IUFM de Créteil, certaines actions pédagogiques sont doublement efficaces, parce qu'elles permettent d'agir à la fois dans le grand groupe et dans les petits groupes.
barryLe trouble, par définition persistant et complexe dans ses causes, n'apparaît que très rarement avant le CE1, sauf retard mental détecté plus tôt. Chercher une cause unique renvoie souvent l'enseignant à une impasse. Par exemple, un élève qui a du mal à "surcompter" 5+2 a peut-être des difficultés à "compter à partir de cinq", ou à relier les parties et le tout, ou à dénombrer... Certains élèves compensent suffisamment leurs difficultés pour faire des réponses apparemment justes, mais peu contextualisées : ils répondent "7", mais sans forcément comprendre qu'il s'agit de sept pommes...
En maternelle, on manipule beaucoup, mais on s'interdit sans doute trop de formaliser dans des écritures mathématiques. A l'inverse, l'élémentaire symbolise, théorise trop rapidement, souvent sans revenir sur les difficultés qu'a pu avoir l'humanité pour régler des problèmes aussi difficiles que le rôle du zéro... La "pauvreté imageante", le manque d'image mentale risque d'empêcher les élèves d'avoir des points d'appui pour les apprentissages ultérieurs.
Quatre besoins d'apprentissages
barryLe domaine cognitif, notamment concernant les transcodages entre images, langage écrit et chiffres, est le premier besoin. Mémoire, mémorisation, traitement de l'information. Les troubles praxéologiques peuvent avoir plusieurs natures : ne pas pouvoir représenter des nombres sur les doigts, ou même ne pas pouvoir se représenter des nombres en comptant sur les doigts. On identifie donc un besoin instrumental : pouvoir utiliser son corps comme un outil.
barryComme le demande Jacques Bernardin lorsqu'il interroge les familles populaires sur la présence de l'écrit dans leur milieu, Valerie Barry a remarqué que nombre de familles se sentent exclues du monde des mathématiques. Faire le point sur la place des nombres dans l'univers social (outil pour compter, pour dater, pour dénombrer...) par une "chasse au nombre" peut donc être l'occasion de limiter la césure entre le monde scolaire et les habitudes sociales.

Enfin, les besoins de ressources en culture scolaire vont piocher dans les trois premiers domaines, comme l'indiquait Jacques Lévine lorsqu'il définissait l'Homme comme sujet bio-psycho-socio-epistémique.

Pistes pour l'enseignement  des mathématiques
Le premier besoin des élèves, c'est de savoir utiliser plusieurs procédures pour faire la même chose, comprendre que plusieurs stratégies existent, et savoir abandonner des stratégies primitives, souvent sécurisantes, pour apprendre à utiliser des procédures plus efficaces. Parfois, il faut un médiateur : pour le cycle II,  la pression du temps peut être importante pour faire changer les stratégies de calcul. "C'est pourquoi j'ai inventé des personnages comme ChronoMatou ou Photomatou, qui créent un scénario spécifique qui modifie la contrainte de la situation".




Par ppicard3 , le mardi 28 octobre 2008.

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