Regards croisés de 2 collègues – Claude Roucher-Sarrazin, professeur documentaliste 

Travail en doublette

Le travail en équipe me réjouit. Une véritable collaboration enseignante s'est instaurée entre Stéphane et moi. Mus et motivés par le même élan, notre but est de faire avancer le projet et la phase d'écriture dans laquelle nous sommes plongés depuis plusieurs semaines. Stéphane et les élèves ont parfaitement intégré ma présence auprès d'eux. C'est relativement impressionnant. Nous travaillons à deux dans la classe et le naturel semble dominer. Autant de "Madame" que de "Monsieur" fusent lorsque les élèves réclament notre aide.

Pourtant, je me suis bien souvent interrogée et continue à le faire. Comment me positionner par rapport à eux tous ? Qui suis-je pour légitimer ma présence auprès d'eux ? En ai-je d'ailleurs réellement besoin ?

Selon moi, plusieurs conditions nous ont conduit à cet état de fait.

La première, sans doute la plus importante, repose sur la notion de disponibilité que je pense avoir su donner lorsque Stéphane a fait appel à moi pour l'aider dans son projet et travailler avec lui. Il m'a immédiatement impliquée dans le travail et la collaboration. Je reste la confidente, l'interlocuteur privilégiée, à l'écoute des joies comme des peines et des coups de gueule ! Progressivement, le CDI est devenu le lieu d'échange et de travail autour de ce projet.

La deuxième condition, sans doute la plus nécessaire, repose sur la construction des séances. Nous échangeons beaucoup avec Stéphane et préparons chaque séance commune en amont, ensemble au CDI. Nous avons fonctionné comme cela quasiment depuis le début du projet dès que nécessaire, chacun avec ses apports personnels et disciplinaires (séance sur la littérature du conte, sur la préparation de la venue d'un artiste, sur la sortie à la bibliothèque municipale). Nous avons réfléchi sur les contenus, sur la conception d'outils de travail (grille d'analyse de lecture par exemple), l'élaboration du déroulement de séance, les prévisions calendaires, les anticipations et réservations de support de travail (classe mobile). A ce stade du projet, chaque séance est désormais menée conjointement ; chaque séance est enfin analysée, corrigée et évaluée avec un double regard pour plus d'objectivité et de bienveillance finalement. Je l'espère du moins !

La troisième condition, sans doute la plus exigeante, tient en la complémentarité. Notre doublette fonctionne car elle est complémentaire : dans les consignes données ; dans l'aide proposée au travail de l'élève (un peu plus d'individualisation est rendue possible) ; dans l'aide à la prise de décision dans le déroulement de la séance (savoir dire "stop" à une activité et passer à une autre en cas d'essoufflement) et dans la re-mobilisation autour du projet. Etre à deux en classe créé une dynamique, indispensable dans ce genre de projet.

La quatrième condition, sans doute la plus surprenante, tiendrait-elle en ce lieu si particulier qu'est le CDI, majoritairement investi le mardi matin par cette classe, autour de l'outil informatique disponible à cet endroit ? Sans doute ! Même s'il m'est régulièrement arrivé de me déplacer dans la salle de Stéphane, le travail au CDI reste un atout pour moi.

 

Alors de professeur documentaliste y aurait-il un glissement vers le métier de professeur de français ? Oui, non, peut-être…

Oui, si l'on considère que je travaille davantage sur l'écriture que sur les concepts et savoirs info-documentaires à proprement parler. Mais l'écriture ou la restitution d'un texte écrit n'est-elle pas une compétence de base transversale utile à chaque discipline et que l'on retrouve aussi bien en français qu'en documentation ?

Oui, si l'on considère que je travaille sur la mobilisation d'idées, l'émergence de mots, de vocabulaire, d'expressions françaises. Mais après tout, dans nos apprentissages documentaires tels que la recherche de mots clés, la mise en place de problématique pour des sujets de dossiers CAP, TPE et autres IDD, ne doit-on pas passer par un stade de questionnement similaire ?

Non, car je suis et je reste la personne ressource pour les outils documentaires et la méthodologie de recherche d'information (dictionnaires, internet, logiciel documentaire si besoin). Je suis le médiateur documentaire, épaulée à mon tour par Stéphane très au fait de toutes ces notions.

Non, car Stéphane reste le professeur de discipline, avec ses exigences professionnelles et disciplinaires, sa manière de fonctionner, son impulsion si spécifique à ce projet.

Non, car je suis au CDI maître des lieux, de leur respect, de la mise à disposition et de l'organisation du lieu en fonction des séances.

Non, car en dehors de ce projet, j'entends rester un professeur documentaliste disponible pour tous, élèves et enseignants sur les autres plages horaires que m'offre l'agenda, et sans délaisser le CDI, ses activités autres, sa gestion et son accueil pour tous.

 

 

Qu'enseigne-t-on ?

Cette question n'est pas simple et j'interroge bien là mon métier ! Je dirais très sincèrement, forte d'un regard relativement jeune mais réaliste, que justement, à l'image de cette profession si singulière (et pourtant si plurielle à la fois !), je pense enseigner une diversité de situations qui relèvent aussi bien des savoirs et concepts que des savoir-faire et des savoir-être.

Prenons un exemple précis et ô combien basique :  savoir, c'est savoir qu'un mot ou une définition peuvent se trouver dans un dictionnaire ; savoir-faire, c'est savoir utiliser le dictionnaire ; savoir être, c'est savoir évoluer vers le dictionnaire en respectant usages et usagers au CDI !

Ceci peut paraître simpliste, voire puéril, et est censé être acquis chez les élèves  dès l'école élémentaire ou le collège. Mais force est de constater que c'est un apprentissage de chaque jour, même au lycée, et transposable à bien d'autres situations…

Nous enseignons donc un tout qui, au-delà d'apprentissages purement disciplinaires que nous pourrions précisément nommés ou déterminés, fait que nous participons, nous autres enseignants, à une construction individuelle et collective.

N'oublions pas que nos élèves restent des élèves donc des êtres en devenir, qu'ils ne se construisent qu'à travers les autres et qu'il est de notre mission de les y aider.

 

 

Adhésion au projet

Comment ne pas adhérer à un tel projet ? A l'heure de l'égalité des chances, nous offrons plus qu'une chance à ces élèves ! Nous leur ouvrons la porte de la culture et de l'art, nous leur permettons l'accès à des lieux méconnus ou jamais fréquentés auparavant (théâtre, scène nationale, bibliothèque municipale…), nous les ouvrons à des thématiques artistiques variées au travers différents spectacles (danse hip-hop, contes narrés, pièces de théâtre, travail de mise en scène, mise en voix…) et différents matériaux (réalisation de livres, de lutrins). Nous les faisons échanger avec des adultes aussi bien qu'avec des enfants d'écoles, porteurs de tant d'interrogation au sujet des "grands", et qui, aux dernières nouvelles, désirent si ardemment revoir ces lycéens. Nous oublions trop vite que nous avons été nous-même enfants !

Comment faire prendre conscience à ces jeunes qu'ils vivent alors  une situation de communication qu'ils retrouveront plus tard dans leur vie d'adultes et de citoyens ? Lire, dire, écrire…

La tache s'est avérée plus difficile qu'envisagée avec cette classe. Le projet leur a été imposé et n'a, de ce fait, pas retenu une totale adhésion de départ ;  ni même un investissement progressif notoire comme nous aurions pu l'imaginer. Les périodes d'essoufflement et de désillusion se sont multipliées, variables en fonction des conjonctures et des désagréments de comportement.

Mais à ce jour, je crois en une lueur d'espoir et d'envie ! Les textes, dans leur version longue, sont finis et en cours d'achèvement pour la version courte ; les enchaînements de récit entre les différents membres de groupe sont négociés et les élèves commencent à mesurer, non pas le chemin parcouru, mais le résultat écrit de leur imagination ! Enfin un écrit ! Enfin un des éléments tangibles de ce projet ! Une première production, LEUR production !

Relayé en cela par des réalisations surprenantes d'esthétisme et de réalisme du côté de la classe CIPPA (illustrations et marionnettes), complément fabuleux, je ne peux, nous ne pouvons qu'adhérer encore plus à de projet.

 

Claude Roucher-Sarrazin

Professeur documentaliste

 

Par fgiroud , le dimanche 10 février 2008.

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