Comment aider plus et mieux les enseignants à aider plus et mieux les élèves ? 


Thierry TRONCIN
troncinConseiller pédagogique ASH (Adaptation et Scolarisation des élèves Handicapés) en Côte d’Or -
Formateur IUFM de Bourgogne - Docteur en Sciences de l’Éducation.



Cette formulation interrogative peut apparaître étonnante à bien des égards mais que recouvre-t-elle précisément ? Les aides prodiguées aux élèves sont au cœur des préoccupations professionnelles, et ce quelle que soit l’expérience et l’expertise des enseignants. Elles sont régulièrement sur le devant de la scène médiatique et politique, particulièrement en cette période de profonds changements, tant dans la formation initiale que dans l’organisation scolaire. Il s’avère toutefois que des malentendus persistent sur la nature de l’accompagnement des élèves dans leurs apprentissages, parasitant par là-même les discours et les actions à conduire individuellement ou collectivement.



montagneRéfléchir sur ces ambiguïtés nous conduit en premier lieu à réinterroger la notion d’apprentissage. En effet, nous résistons encore peu à l’idée qu’enseigner c’est principalement créer les conditions d’enseignement les plus favorables afin que la transmission des connaissances soit efficace pour le plus grand nombre d’élèves.
Or nous devrions parler de construction et non pas de transmission. Enregistrer des informations orales ou écrites d’une part, construire des apprentissages en modifiant ses propres représentations internes, en s’interrogeant sur ses errements et ses erreurs, en se confrontant à d’autres stratégies d’apprentissage d’autre part, sont deux compétences bien distinctes qui n’appartiennent pas au même registre cognitif. Cela n’apparaît pas distinctement dans les programmes, cela n’est pas toujours au cœur des discussions professorales, ce n’est que partiellement décliné dans les formations initiale et continue, mais c’est essentiel, c’est l’essentiel même.
Les élèves, encore de nos jours, sont peu placés en situation de construire de réels apprentissages avec de la recherche, des situations problèmes complexes et dignes d’intérêt, des essais et des synthèses, de la confrontation de points de vue, de l’initiative et de la responsabilité dans la construction de leurs propres connaissances. Lorsque l’enseignant parle, démontre au tableau et que les élèves écoutent et écrivent sans comportements transgressifs, la situation d’enseignement apparaît satisfaisante. Or, il n’en est rien, de nombreuses recherches didactiques nous révèlent que c’est un leurre. Les programmes d’enseignement ne constituent pas une fin en soi mais sont seulement les garants d’une structuration et d’une cohérence des savoirs à enseigner tout en suggérant des stratégies d’enseignement variées et différenciées, lesquelles doivent constituert une première réponse à l’hétérogénéité observée au sein de quelque groupe d’apprenants que ce soit.


Quelles aides : soutien ou remédiation ?Le domaine cognitif n’échappe pas à cette hétérogénéité multiforme relevée dans toute classe, fusse-t-elle correspondre à un seul niveau d’enseignement. Lorsque des notions clefs sont enseignées, il est primordial de connaître par avance ce qui peut constituer un obstacle et qui correspond à un niveau d’abstraction requis.
Dès lors, des aides ciblées et des prolongements pourront être proposés aux uns (les élèves qui ne traitent que partiellement ou rigidement la situation donnée) et aux autres (ceux qui maîtrisent déjà la compétence visée sans pour autant nécessairement avoir clairement conscience des obstacles antérieurement franchis). Les aides peuvent précéder l’apprentissage visé, l’accompagner ou lui succéder.
Au regard de la nature des difficultés d’apprentissage rencontrées par certains élèves, elles sont inscrites dans le champ du soutien ou de la remédiation. Il est primordial de ne pas opérer d’amalgame car les actions à conduire diffèrent notoirement quant à leur contenu et à leurs modalités de mise en œuvre. Par la répétition, par un éclairage différent, par un accompagnement individualisé dans la tâche, le soutien doit faire partie intégrante des pratiques pédagogiques ordinaires et constituer le noyau dur des aides personnalisées. Tout enseignant doit être formé à envisager d’emblée des voies de simplification et de complexification pour réaliser une tâche liée à une notion donnée. Par simplification, nous entendons non pas une baisse des exigences visées mais bien un cheminement adapté avec des aides régressives (l’abstraction, la schématisation, la manipulation et le corps).
Les situations de remédiation quant à elles se réfèrent aux processus cognitifs en jeu dans la tâche à exécuter, processus la plupart du temps liés au traitement de l’information orale ou écrite. Ainsi les aides apportées peuvent-elles être attachées à la mémorisation, à l’identification et à la catégorisation des données pertinentes, à la conceptualisation ou à la hiérarchisation de stratégies de résolution. Par la verbalisation, par la confrontation guidée avec des pairs ou par l’élaboration d’outils méthodologiques, ces remédiations favorisent chez les élèves concernés un travail réflexif sur leurs procédures mentales et leurs stratégies d’apprentissage.


Qui doit faire quoi, et où ?Ce protocole d’aide complexe, jamais défini à l’avance, ne saurait être conduit en classe ou en aide personnalisée. Son élaboration et sa mise en œuvre suppose des analyses croisées et des compétences spécifiques. Il serait illusoire, voire dangereux, de les encourager dans le temps ordinaire de la classe ou sans formation spécialisée. En classe, car le temps de l’aide spécialisée et le temps d’un enseignement collectif sont rarement compatibles : l’extraction du groupe classe s’avère dans ce cas nécessaire afin de recréer des conditions favorables pour que les élèves se recentrent sur la tâche et en identifient les incontournables. Par un enseignant « ordinaire », car il ne suffit pas d’être compréhensif, de porter attention à, d’adapter ses exigences, pour identifier ce qui fait obstacle dans l’apprentissage et pour apporter les aides appropriées liées non pas strictement au contenu notionnel mais principalement aux opérations mentales qui sont en jeu dans la tâche que l’élève doit réaliser.
Il est légitime que les responsables éducatifs de notre pays se préoccupent de cette frange quasi incompressible de la population scolaire, de l’ordre de 15 %, qui tire insuffisamment de bénéfices d’un temps d’enseignement à l’école primaire conséquent au regard de celui proposé par des systèmes d’enseignement comparables. Cependant nous devons garder raison, ne pas réfuter la complexité de l’accompagnement et ne pas considérer que proposer des temps supplémentaires aux élèves repérés en difficulté et volontaires constitue la seule réponse institutionnelle digne d’intérêt. Le « plus » est parfois l’ennemi du « mieux » : ce dispositif de suivi ne saurait être efficace que pour les élèves potentiellement concernés par du soutien. Comment aider les équipes pédagogiques à faire la part des choses et quid des élèves dont les difficultés d’apprentissage, de par leur nature, leur fréquence ou leur intensité, sont telles que seules des aides « rémédiatives » s’avèrent pertinentes ? N’existent-ils pas aujourd’hui des enseignants spécialisés dont l’expertise professionnelle pourrait s’exercer à ce double niveau ?


Le lecteur patient l’aura compris, ce sont des enseignants exerçant actuellement en RASED dont il s’agit. S’il est probable que ce dispositif doit évoluer dans ses missions et dans ses modalités de fonctionnement, il n’est reste pas moins vrai que chacun de ses acteurs doit être non seulement reconnu par l’institution scolaire, mais doit percevoir dans les nouvelles mesures un renforcement de son rôle, si tant est que ses conditions d’exercice lui permettent de conduire un travail de qualité et pérenne.
Autrement dit et à titre d’exemple, en permettant aux enseignants spécialisés à dominante pédagogique de se recentrer sur les aides remédiatives, intensives et ciblées dans les conditions énoncées supra, nous favorisons la prise en charge par les enseignants «ordinaires» des élèves rencontrant des difficultés d’apprentissage « ordinaires ».
Toutes les recherches sur la grande difficulté scolaire font apparaître la nécessité de prendre en charge spécifiquement, précocement et intensément les élèves rencontrant des difficultés d’apprentissage jugées sérieuses. Il est utile de conduire un effort de compréhension, certes coûteux en temps et en énergie, des « parasitages » des apprentissages fondamentaux afin de les « atomiser », de les dissoudre par une articulation réfléchie entre l’étayage et le désétayage. Cette perspective nous incite à progressivement évoluer d’une prise en charge des élèves dits en difficulté vers la prise en charge de leurs difficultés. Ces enseignants, pour l’heure inquiets et en quête d’une juste reconnaissance de leur action, doivent non seulement être rassurés sur leurs missions à venir mais être en mesure de se construire une identité professionnelle forte, valorisante et valorisée.

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Par ppicard3 , le mardi 21 octobre 2008.

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