Partie I : la situation actuelle des Tice - TICE : La France en retard 

Ludovic Peugeot


Le paradoxe de l’Equipement et de l’usage en France

C’est le paradoxe de la France : bien que plutôt bien équipée, la France s’avère très peu utilisatrice des TICE. Je vais me placer dans le cadre de l’Union Européenne avec les études du Ministère de l’Education Nationale, les enquêtes de l’OCDE et de la Commission Européenne pour le démontrer.



L’équipement

En se basant sur l’enquête ETIC du ministère et celles de la Commission Européenne, la France pose la première pierre de son paradoxe. La donnée comparative la plus représentative de l’équipement reste le nombre d’élèves par postes informatiques dans un établissement : sur ce plan, la France est tout juste au-dessus de la moyenne avec 12,5 ordinateurs pour 100 élèves, comparés aux 11,3 postes pour 100 élèves en moyenne sur les 25 pays de l’Union Européenne.

Le tableau suivant propose un extrait des données intéressantes pour juger le niveau d’équipement des établissements. Les chiffres avancés sont issus le rapport de la Commission Européenne de 2006 concernant les TICE [1]



 

L’usage

Selon cette même étude, seuls 66% des enseignants français ont utilisé un ordinateur en classe lors des 12 derniers mois. La France apparaît cette fois dans la seconde moitié des 25 :

Plus précisément, 64% des enseignants utilisant les TICE les utilisent dans moins de 10% des leçons. A noter également, contre tout préjugé, que ce sont les enseignants les plus âgés qui sont les utilisateurs les plus intensifs.

Les données précédentes montrent d’ores et déjà qu’il n’y pas de relation d’implication de l’équipement vers l’usage. Le retard français en matière de TICE ne peut incomber au niveau d’équipement des établissements.

Quel est l’usage fait des TICE par ces 66% d’enseignants ? L’outil pédagogique le plus utilisé est le CD-ROM pour 82% d’entre eux, suivi par des leçons préconçues trouvées sur l’Internet pour 74% d’entre eux.



Quelles sont les raisons d’un tel paradoxe ?

Dans la même enquête menée par la Commission Européenne, les 34% d’enseignants n’ayant pas utilisé d’ordinateurs en classe lors des 12 derniers mois expliquent leur non-usage par :

-       Pour 63% : une insuffisance dans l’équipement des établissements

-       Pour 33%,: un manque de compétences des enseignants

-       Pour 26% : ils ne disposent pas du matériel adapté

-       Pour 22% : ils ne sont pas convaincus par l’intérêt d’une telle utilisation

Ramenés sur l’ensemble des enseignants, l’insuffisance de l’équipement représente 21% des sondés, dans la moyenne européenne. En revanche, les thèmes du manque de compétences et de la non-conviction de l’intérêt des TICE font des scores bien plus élevés que la moyenne européenne.

Le rapport du groupe de travail TIC 2006 note dans son plan d’action le besoin de convaincre les enseignants de la plus-value apportée par les TICE :


« De façon inégale selon les disciplines ou selon les niveaux d’enseignements, on constate aujourd’hui la persistence d’une interrogation forte sur la plus-value apportée par les TIC.[…] les TICE continuent de susciter un questionnement quant à leur efficacité. »

Rapport du groupe de travail TIC 2006, page 14


Néanmoins il convient d’apporter des nuances à un tel jugement : le blocage ne se situe en réalité pas au niveau des enseignants. C’est en réalité l’endroit où il apparaît, mais en regardant de plus près cette attitude est révélatrice d’un manque de compréhension donc de confiance dans la politique du gouvernement en matière de TICE. Alain Chaptal relève deux points critiques dans la politique française :


« Le paradoxe des usages : on privilégie dans les discours une certaine fuite en avant technologique accompagnée d’annonces prophétiques sur les potentialités de telle technologie miracle au détriment des progrès incrémentaux, réels, qui ne sont pas valorisés »


« La nécessité d’une politique patiente de réglages fins, fondée sur la cohérence et la complémentarité des interventions des divers acteurs en s’appuyant sur des solution stabilisées et fiables. »


Extrait de la présentation de Alain Chaptal faite au CNDP


Le premier pas doit venir du ministère. Et comme en réponse au défi des TICE qui lui est proposé, le 23 janvier 2008, Xavier Darcos a demandé à Jean Mounet, actuel président de Syntec informatique, une mission d’étude intitulée « e-Educ » afin de proposer un plan d’action visant à promouvoir le déploiement et l’usage des TICE en France.



Les préconisations de la mission e-Educ et l’annonce de la généralisation du cahier de texte electronique d’ici 2010


Etant donné que l’annonce de la généralisation du cahier de texte électronique d’ici 2010 fait directement suite aux conclusions de la mission e-Educ, je vais développer le cadre, les enjeux et les conclusions de la mission confiée par Xavier Darcos au Syntec informatique afin d’avoir le contexte exhaustif de cette future généralisation avant de l’étudier en tant que telle.


Enjeux et contexte de la mission

Prenant le relai du rapport Besson sur l’économie numérique puis du rapport Attali sur les moteurs d’une croissance potentielle qui tous deux évoquaient déjà les TICE, la mission e-Educ doit apporter son expertise et ses préconisations pour le développement des TICE en France.



Le rapport contient une définition de la mission et de son objectif :

« En ayant tiré le meilleur parti de la collaboration (inédite sur un tel sujet) de représentants du secteur professionnel privé – sous l’angle de leur culture métier et de leur expérience dans les grands programmes de modernisation – et de représentants du ministère de l’Education nationale, nous proposons une base très opérationnelle de mise en œuvre d’un programme pour le développement du numérique à l’école. »

Rapport de la mission e-Educ 2008 page 2



La remise du rapport a eu lieu le 21 mai 2008, soit 4 mois après le début de la mission. Xavier Darcos s’est déclaré convaincu que les propositions de la mission « contribueront de manière décisive à la promotion des technologies de l’information et de la communication dans les écoles et les établissements scolaires, et en particulier à la valorisation des usages dont l’apport pédagogique est attesté. » Quelles sont ces préconisations ?


Préconisations développées par la mission

La mission a identifié  deux enjeux majeurs :

-       Eviter la fracture entre les familles et les écoles

-       Eviter l’inégalité entre les écoles et les établissements

Elle propose de répondre à ces enjeux d’une manière globale et intégrant tous les acteurs des TICE en France (y compris les entreprises via des partenariats public-privé) par une exigence de qualité et de rigueur.

De manière plus concrète, la mission a défini un cadre d’actions en « cinq chantiers » :

-       Bâtir l’Ecole Numérique

-       Optimiser l’action conjointe des pouvoirs publecs

-       Conduire et accompagner le changement

-       Stimuler la production de ressources numériques et de services

-       Développer un partenariat éducatif pour le numérique avec les entreprises du secteur

C’est à partir de ces conclusions que Xavier Darcos, lors de son discours à la remise du rapport de la mission e-Educ », a annoncé entre autres qu’il retenait 5 propositions de la mission immédiatement applicables.

Annonce de Xavier Darcos a la remise du rapport le 21 mai 2008

A la remise du rapport, Xavier Darcos a estimé qu’il était nécessaire de se donner un peu de temps pour examiner l’ensemble des pistes de travail proposées par la mission mais que cinq propositions pouvaient être dès à présent retenues :

-       Chaque école, collège, lycée devra intégrer un volet numérique dans son projet d’établissement.

-       Un projet d’école ou d’établissement numérique à part entière sera conçu dans les années à venir.

-       Une plate-forme d’identification et de présentation des ressources, des usages et bonnes pratiques sera créée dans le courant de l’année 2008 pour les enseignants.

-       Création d’un observatoire national des TICE

-       Généralisation des ENT réaffirmée, avec deux mesures concrètes :

o   Objectif zéro papier pour les échanges internes à l’établissement

o   Obligation pour les établissements d’utiliser un cahier de texte électronique.

Première analyse de l’annonce de Xavier Darcos


analyse des termes de l’annonce


Voici les mots exacts de Xavier Darcos :

« La généralisation des ENT dans les établissements scolaires, que j’ai annoncée lors d’un déplacement à Lannemezan au mois de février dernier, doit s’accompagner d’innovations très concrètes. J’en propose deux d’ici 2010 :
-  L’obligation pour les établissements d’utiliser le cahier de texte électronique, ce qui permettra de mieux informer les familles, tout en introduisant une souplesse nouvelle dans la personnalisation des travaux demandés aux élèves. 
-  L’objectif zéro papier pour les échanges internes à l’établissement scolaire. J’observe d’ailleurs que cette dématérialisation des échanges administratifs ou pédagogiques entre les personnels de l’établissement scolaire est facile à réaliser à travers un ENT, et cela de façon sécurisée.»

Extrait du discours de Xavier Darcos du 21 mai 2008

Partant de ces propos, quelques remarques s’imposent :

-      La généralisation des ENT reste à l’ordre du jour. Plus encore, l’annonce de la généralisation du cahier de texte électronique est carrément un premier pas vers l’ENT.

-      Le cahier de texte électronique a pour objectif d’une part de permettre aux parents d’être tenus au courant de ce qu’il se passe dans la classe et d’autre part

-      L’annonce de la généralisation du cahier de texte électronique fait partie d’un ensemble d’actions dont deux concrètes citées ci-dessus.

-      L’annonce se fait remarquer par sa sobriété : peu de détails sur la mise en place ou sur les aspects techniques du cahier de texte, seulement quelques indications sur le rôle de l’outil.

Les paragraphes suivants se proposent justement d’introduire les trois thèmes de la réflexion qui cherche à définir les raisons de cette annonce, utiles à la compréhension avant de s’attacher au concept à mettre en place et les moyens nécessaires au lancement d’une telle généralisation.



Le moteur des parents pour engager une révolution pédagogique ?

De façon très explicite, Xavier Darcos vise les familles, donc non seulement les élèves mais surtout les parents dans cette généralisation du cahier de texte. Il souhaite leur ouvrir la classe, jusqu’alors jardin secret des enseignants et de leurs élèves. Pourquoi cibler ainsi les parents ?


Le volet ENT pas abandonné !

Les ENT avaient l’objectif d’être généralisés en 2008 sur tout le territoire français. Force est de constater que ce n’est pas le cas. Néanmoins, comme il l’avait déjà évoqué en février dernier, le ministre tient à poursuivre sur ce chemin. Mais d’une façon toute autre semble-t-il.

Jusqu’alors présenté comme un ensemble d’outils indissociables, l’ENT peut maintenant être installé outil par outil, en commençant par le cahier de texte et la messagerie électronique dans le cas présent. C’est un vrai retour en arrière qu’énonce ici Xavier Darcos suite à l’échec de la généralisation des ENT.

Afin de se rapprocher au maximum de la vision du ministre, j’adopterai également cette politique, prenant l’exemple des ENT et de l’échec de leur généralisation sous sa forme exhaustive telle que présentée dans le SDET lorsque j’aborderai le sujet de la généralisation.


Ces deux thèmes seront développés dans les deux derniers paragraphes de cette partie. Mais avant cela, un regard doit être posé sur ce qui ce fait dans les autres pays, tant la situation française ne peut être un cas isolé.

peut-on trouver des modeles dans les autres pays ?


A la lecture de cette annonce, un rapprochement doit être fait avec le modèle anglais et sa politique des « briques » ! Plus généralement, le paragraphe suivant propose de détailler la politique générale en matière de TICE de deux pays souvent considérés comme des modèles en la matière : le Royaume-Uni et les Etats-Unis.

La politique britannique en matière de TICE lors de ces dix dernières années a permis au Royaume-Uni d’être considéré comme l’eldorado en la matière. Pourtant, les moyens engagés diffèrent peu de ceux investis en France. Il apparaît donc intéressant d’étudier, après avoir présenté les chiffres concernant le déploiement et l’usage des TICE, comment le gouvernement a réussi à arriver à de tels résultats ? A la fois sur ce qui a fonctionné et sur les erreurs commises.


Des résultats probants mais pas parfaits


Des chiffres impressionnants

Le chiffre le plus marquant est le suivant : 96,4% des enseignants britanniques ont utilisé un ordinateur en classe lors de l’année 2006 [3] dont 26,5% à plus d’un cours sur deux (comparés aux 65,5% et 3,3% d’enseignants français !).

Le niveau d’équipement n’en est pas moins exemplaire : le Besa, British Educational Suppliers Association (syndicat professionnel britannique) avance les chiffres suivants pour le primaire et le secondaire :


La baisse du nombre de PC fixes ces dernières années dans le secondaire a été attribué par le Besa au renouvellement du parce informatique en cours. Dans leur globalité, les chiffres sont bons comparés à la France et à la moyenne des pays de l’Union Européenne et en constante évolution dans la majorité des cas.

Au niveau de la connexion, là encore le Royaume-Uni est largement au dessus de la moyenne européenne avec même le Wifi disponible dans près de 64% des établissements britanniques.

Néanmoins, la situation n’est pas si idéale qu’elle ne parait. Quelques points de contradiction sont mis en avant par la multitude d’études de recherche sur les TICE au Royaume-Uni évoqués dans le paragraphe suivant.

 

Quelques bémols néanmoins

Bien que les britanniques aient des résultats bien meilleurs que la France, le terme d’eldorado n’est pas forcément approprié pour le Royaume-Uni lorsqu’on y regarde de plus près. Voici quelques arguments qui remettent un peu en cause le système britannique.

* La majorité des PC sont destinés aux enseignants

* L’indice e-maturity n’est qu’à 20%

* Les britanniques sont convaincus par le fait que l’usage des TICE améliore l’implication et la motivation des élèves plus que par leur efficacité pédagogique pure.

* Le becta oublie souvent de proposer dans ses liste approuvés les solutions Open Source et les produits issus de PME plus généralement.

* Ce sont les Interactive WhiteBoards (IWB) qui permettent d’avoir de tels chiffres sur l’usage

* L’innovation reste faible au niveau des TICE tant le marché est canalisé.



Une agence gouvernementale dédiée aux TICE qui dirige le marche

Une politique cohérente dans le temps et dans l’orientation

A partir de 1997, les travaillistes alors au gouvernement entament une politique de généralisation des TICE en fournissant des crédits dédiés à ces dépenses à des établissements pilotes, accompagnés de formations aux enseignants et documentalistes. D’avril 1999 à décembre 2003, 230 millions de livres supplémentaires sont dégagés soit environ 450 livres par enseignant formé. A partir de 2004-2005, les choses s’accélèrent avec plus de moyens et un plan chiffré à 5 ans  mené par le DfE (Department for Education and Skills) dénommé « Harnessing Technology : Transforming learning and children’s services » et qui touche tous les acteurs de la communauté éducative. Alain Chaptal dans sa publication Rule Britannia relève 4 objectifs :

-       Transformer l’enseignement et l’apprentissage afin de permettre aux apprenants d’atteindre le plus haut niveau de développement possible.

-       Développer de nouveaux modes d’intégration des exclus

-       Ouvrir l’éducation à de nouveaux partenariats

-       Accéder à un palier supérieur d’efficacité et d’efficience

Il relève pour cela 6 axes prioritaires de travail :

-       Offrir un service d’information en ligne intégré pour tous

-       Offrir un soutien en ligne intégré pour les élèves et les apprenants

-       Développer une approche collaborative pour mieux individualiser les activités d’apprentissage

-       Proposer une formation de qualité aux TIC et un ensemble d’outils pour soutenir efficacement les utilisateurs

-       Favoriser par des dispositifs d’accompagnement adaptés l’émergence d’un leadership et de capacités d’organisation relatifs aux TIC

-       Mettre en place une infrastructure numérique favorisant le changement et les réformes.

Au final, Jim Knight déclarera en juin 2007 lorsqu’il est Ministre de l’éducation :

« Since 1998 we have invested over 5 billion pounds to create an ICT infrastructure in schools »

Il y a surtout une continuité dans la politique menée par les britanniques, malgré le caractère décentralisé, qui se différencie énormément du modèle français où chaque ministre a en quelque sorte suivi sa propre opinion.

 


Un organisme gouvernemental central : le Becta

Autre phénomène très marquant dans le pays du libéralisme roi et peu enclin à la pression étatique en matière d’économie : l’existence d’une agence gouvernementale qui dirige le marché ! 

Au départ, le Becta (British Educational Communications and Technology Agency) a pour mission de généraliser l’usage des TICE afin d’améliorer le système éducatif. Pour cela, le ministre de l’éducation alors au pouvoir Charles Clarke annonce en 2003 la création du Curriculum Online. Ce programme consiste en la mise à disposition des établissements de crédits dédiés à l’achat de matériel et d’outils informatiques labellisés par le Becta (dans un catalogue public). On y trouve aujourd’hui 10000 références de 1100 fournisseurs. Les prix étaient ainsi négocié par le Becta et les fonds attribués aux écoles pour leur permettre de garder une certaine liberté de choix.


Le modèle britannique de la construction par briques des ENT

L’équivalent britannique des ENT s’appellent les Learning Platform. Mais ils sont très différents de nos ENT français, cela provenant en partie d’une construction différente. En effet, là où la France a tenté d’imposer un système exhaustif (sur les fonctionnalités comme sur la forme) pour développer les Environnements Numériques de Travail, les britanniques ont opté pour une approche différente : plutôt que d’imposer un système global et immédiat, les britanniques ont imposé l’utilisation de certains outils les uns après les autres (dictés par les fonctionnalités offertes seulement), tout en laissant le choix sur les différents modèles pour chaque outil. Le Becta éditait ainsi la liste des produits approuvés pour chaque outil, et les établissements pouvaient choisir celui qu’elles souhaitent.

Au Royaume-Uni, l’ENT est donc un assemblage plus ou moins intégré d’outils ajoutés les uns à la suite des autres conformément aux besoins exprimés ou aux décrets gouvernementaux. Mais au final, en regroupant toutes les fonctionnalités de chaque Learning Platform, tous les outils font partie des outils choisis dans les ENT français.

Aujourd’hui, la e-Strategy du gouvernement oblige les établissements à fournir à partir de cet été un espace personnel d’apprentissage en ligne puis la prochaine étape, en 2010, forcera à proposer un système de gestion intégré de l’apprentissage.



[1] Le rapport s’appuyant sur une enquête LearnInd HTS 2006

[2] Moyenne sur les 25 pays de l’Union Européenne

[3] Selon l’étude de la Commission Européenne Benchmarking 2006

Par fgiroud , le jeudi 02 octobre 2008.

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