Yves Clot : parole d'expert ? 

"Pourquoi l'activité dans la clinique ?" Le titre de la conférence d'une des figures emblématiques du colloque a rempli la salle, et la vidéoconférence transmet l'image aux salles voisines. Dans un propos aussi modeste qu'érudit, Yves Clot convoque la mémoire d'un nom réservé aux initiés, un pionnier de l'invention des instruments du "pouvoir d'agir" dans son petit hôpital lozérien...

Katia KostulskyPour Yves Clot, François Tosquelles, "psychiatre remarquable", a donné ses lettes de noblesses à l’activité pratique comme ressort de l’activité mentale. Il a commencé par critiquer une conception fétichiste de l’activité : confondre la notion d’activité à ce qu’on en voit. L’activité s’enracine dans le sujet, dans un contexte social : « La bougeotte est compatible avec l’absence d’activité propre » écrivait-il pour montrer que l’affairement est le contraire de l’activité, qui n’est jamais déterminée mécaniquement par son contexte. « L’activité n’existe dans un contexte, qu’en produisant du contexte pour exister". Pour Yves Clot, vivre, c’est pouvoir développer son activité en affectant son milieu par ses initiatives. Le sujet "survit seulement dans une activité désaffectée, lorsque son activité n’impacte pas son environnement". Il agit sans se sentir actif, mais cette désaffection ampute son pouvoir d’agir, les processus psychiques qui le travaillent deviennent incarcérés. Quand le réel est amorphe, le sujet est atone, et risque « d’en faire une maladie » comme on dit dans le langage populaire.
« Mais cette atonie peut aussi être la volonté de se sortir du conflit par une « activité morbide » qui immobilise l’énergie subjective, prive le sujet du mouvement centrifuge du rapport au réel, qui prend au piège de l’enveloppe… »
Pour Y. Clot, on comprend alors que Guillaume Le Blanc définisse la clinique comme la bienveillance envers les capacités créatrices du sujet. A son hôpital psychiatrique de St Alban, en Lozère, Tosquelles édite jusqu’aux années 60 un journal, le trait d’Union. Les articles qu’il y publie montrent que sa bienveillance n’a rien à voir avec de la complaisance : il invite ses malades et ses soignants à se regarder les uns les autres, à prendre conscience des « tricheries » que chacun met en œuvre pour avoir raison de crier son désespoir (« je suis seul »), faute de pouvoir retourner « un parmi les autres, rien de plus, rien de moins »…
Le malade cherche à mettre le contexte au service de la maladie, qui devient comme une drogue dure, dont il devient de plus dépendant et incapable de s’en sortir seul.
Tosquelles, continue d’expliquer Yves Clot, ne compte pas sur sa seule bonne volonté, et connaît le risque du « déplaisir des retrouvailles ». Il voit son travail clinique comme une lutte dont l’issue n’est jamais définie à l’avance. L’ergothérapie de Tosquelles ne consiste donc pas à traiter ses symptômes, mais à construire un travail commun des malades et des soignants pour « soigner l’institution » : faire quelque chose pour que l’hôpital soit l’objet du travail commun.
Pour le professeur, être reconnu, ce n’est pas seulement être reconnu de quelqu’un, dans une activité adressée à l’autre, mais dans un objet commun, une réalisation où on aura imprimé sa marque, déposé une partie de soi en la tenant loin de soi, transpersonnelle en même temps que personnelle, comme le dit Vygotski, pour produire ensemble une histoire collective.
Elargissant l’exemple de Tosquelles, Yves Clot prend du recul : si l’activité peut entrer dans la clinique, c’est qu’elle doit se conformer à la définition de la santé par Cangilhem : "je me porte bien quand je porte la responsabilité de mes actes, et que je peux créer des liens entre les choses, qui ne viendraient pas sans moi". Sans l’activité, pas de lien entre l’individu et le collectif, pour servir de répondant au contact du réel.
Soigner le travail, en faisant que chacun le soigne davantage, et oser les controversesMais une clinique de l’activité est aussi une clinique du travail : sans complaisance avec ceux qui travaillent, elle permet d’expérimenter des cadres dans lesquels on « soigne le travail », où on met délicatement au point des instruments du « pouvoir d’agir » susceptibles de faire prendre ne charge leur métier par ceux qui le font.
Yves Clot poursuite la raisonnement : « Soigner le travail » est une expression qui a l’avantage d’être ambiguë : certes, beaucoup d’organisations du travail maltraitent le travail humain, mais pour qu’il soit mieux traité, il faut aussi que chacun le soigne davantage.
Quand on tient bon sur le cadre d’intervention, c’est un bon moyen de redéfinir le collectif, le bon boulot pour éviter la « discorde». « Quand on discute du travail bien fait, on ne craint pas la discussion, la controverse déchirante sur les manières différentes de faire la même chose, au-delà des manières autorisées, des débats d’école… ». Derrière les accords de façade, les accords entendus, le collectif doit instruire le dossier des discordes, au risque de l’inflation de la querelle de personnes si on triche sur le réel.
"C’est l’opposé des accords œcuméniques sur les manières de faire : il faut supporter un réel de la coopération qui induit des désaccords entre professionnels sur le « travail bien fait », oser dépasser le déplaisir qui en résulte immédiatement pour reconquérir à long terme le plaisir du progrès co-construit…"

La salle applaudit, longuement.

Sur le site du Café
Par ppicard3 , le lundi 02 juin 2008.

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