Christelle Membrey : "Accepter l'aventure humaine, même dans la classe 

Auteure avec ses élèves d'un blog récemment distingué par plusieurs récompenses, Mme Membrey se considère avant tout comme professeur de français, et renvendique d'utiliser les outils technologiques comme sa voiture : on n'en connait pas toutes les arcanes, mais on se sert de ses fonctions, sans forcément connaître les détails du moteur. Et renvendique qu'on juge les démarches des enseignants à l'aulne des résultats des élèves, pas des a-priori pédagogiques...

Qu’est-ce pour vous qu’un enseignant « innovant » ?C’est vraiment une question que je ne me pose pas. Innovant, ça a un côté « super-prof » qui me met mal à l’aise. Pour prendre le sens étymologique, «faire quelque chose de nouveau », c’est le lot de tous les enseignants, au quotidien : être confronté à de nouveaux élèves, chaque année, tous différents. Pour moi, « enseignant innovant », c’est une redondance… Je ne fais pas partie d’une catégorie à part. Certes, j’utilise les technologies nouvelles, les blogs, et ce n’est peut-être pas le cas de tous les enseignants. Dans mon approche scolaire, je suis d’ailleurs loin de maîtriser complètement l’outil technologique. Mais en voiture, je peux conduire sans rien comprendre au moteur…
Pour répondre à votre question, je me sens d’abord professeur.

Personnellement, quelles compétences professionnelles d’enseignant essayez-vous de développer ?classeCe que j’essaie de développer chez les élèves, c’est avant tout ce que les textes officiels me demandent : lire, écrire, publier, essayer de motiver les élèves, les accompagner au quotidien pour faire face à ces apprentissages.
Pour moi-même, lorsque je mets en œuvre mon projet Cicla 71 ou dans d’autres activités, c’est d’abord la maîtrise culturelle de ce que je cherche à faire acquérir aux élèves. Pour le reste,  ce n’est pas spécifique à l’outil de médiation que j’utilise : quelle que soit la manière de faire classe, l’enseignant doit savoir gérer le groupe, répartir les tâches… Encore une fois, c’est commun à tous les enseignants… Que je travaille dans la salle informatique ou en salle de classe ordinaire, je dois toujours être en capacité de réagir quand un élève me dit qu’il ne comprend pas ma démarche, de présenter différemment les informations, d’accepter qu’un élève soit compétent dans un domaine où je ne suis pas forcément compétente, tout en affirmant ma spécificité : les aider à réécrire un texte, à reformuler une idée…

Pouvez-vous mesurer l’impact des projets que vous mettez en œuvre sur les connaissances et les compétences des élèves ?classe2Il faut accepter l’idée que dans la salle informatique comme dans la salle de classe, certaines démarches n’aboutissent pas toujours aux résultats qu’on avait prévu. Mais alors qu’on incrimine souvent le travail insuffisant de l’élève dans ses résultats à une évaluation « ordinaire », il est paradoxal que dès qu’on parle de « projets », les difficultés viendraient cette fois uniquement de la démarche du professeur… En toute démarche d’enseignement, il faut accepter de ne pas s’amputer volontairement des possibilités de richesse d’une situation pédagogique.

Quelle que soit la démarche du professeur, c’est à l’aulne des résultats des élèves qu’on peut juger si ce qu’il a mis en œuvre dans sa classe est pertinent ou non… Même le contenu de ce qui est publié sur un blog ne dit pas ce qui s’est réellement passé, pédagogiquement, entre le professeur et les élèves… Le contenu du blog, c’est la partie émergée de l’iceberg.

Evaluer, ou chercher l’efficacité, bien sûr, mais aussi accepter la part d’aventure humaine de ce que nous mettons en place avec des élèves vivants… Ce qui est souvent déterminant, pour l’enseignant, c’est de savoir s’il va se sentir en position de sécurité professionnelle dans le type d’activité qu’il anime…

Quelle satisfaction professionnelle avez vous ressentie, au cours des derniers mois ?D’abord, les nombreux échanges professionnels très nourris que j’entretiens avec des collègues, parfois très éloignés, par les différentes réseaux auxquels je participe sur Internet. Ces « salles des profs virtuelles » me sont très bénéfiques.
Côté élèves, nous sommes en train de publier plusieurs articles sur le XVIIe siècle, et je suis épatée de voir que des élèves ont vraiment envie d’accompagner leurs lecteurs, de leur faire partager nos recherches, bien au-delà de mes seules consignes sur « l’angle » à prendre dans la rédaction. J’ai plus d’articles que j’en avais demandés, ils sont force de proposition. Du coup, je vais faire venir un journaliste pour leur permettre d’aller plus loin dans cet angle éditorial. Je suis étonnée de leurs capacités, alors qu’on se plaint toujours de ne pas arriver à faire écrire les élèves…

Quelles difficultés avez-vous ressenties dans cette période ?Parfois, la fatigue de toujours devoir expliquer, convaincre, répéter pourquoi on a telle pratique, alors qu’elle ne me paraît pas « extra-ordinaire ». On doit faire une « double-communication », à la fois avec les élèves dans la classe, mais aussi avec l’extérieur. Même les commentaires laissés sur le blog sont étonnants : certains commentaires sont très positifs, mais je lis parfois des avis qui me font penser à la « question », au sens de la réthorique de la torture médiévale : « tu es sûr que c’est toi qui l’a fait ? » demande-t-on aux élèves sur un ton soupçonneux…
Il est vrai que tous les élèves n’acquièrent pas de manière magique toutes les compétences en orthographe ou en grammaire qu’on aimerait qu’ils maîtrisent. Mais j’ai noté que même pour un élève en difficulté, montrer ses compétences techniques rejaillissait sur sa position sociale dans la classe, dans sa confiance en lui devant les autres. Pour être honnête, j’ai aussi un élève pour qui la simple saisie d’un texte sur un clavier reste un exercice beaucoup trop scolaire pour qu’il accepte d’y entrer de bon gré, alors qu’il est déjà dans la perspective de quitter le collège. Je dois avouer que je cherche encore des solutions pour mieux l’intégrer à nos projets.
Enfin, il faut aussi concéder que nous sommes confrontés concrètement à la fracture numérique : certains élèves n’ont pas accès à Internet chez eux, ce qui peut être perçu comme handicapant dans ce type de projet. C’est une limite de notre fonctionnement pédagogique.



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Par ppicard3 , le dimanche 04 mai 2008.

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