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Monica Gather-Thurler : "La décentralisation va renforcer l'auto-évaluation des établissements" 

Entretien avec Monica Gather Thurler

 

 

MGTMonica Gather Thurler est professeure adjointe (avec la spécification Approche psychosociologique des rapports entre professionnalisation et développement des organisations) à la faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’université de Genève et co-animatrice avec Philippe Perrenoud du laboratoire de recherche innovation-formation-éducation, LIFE. Elle a bien voulu répondre aux questions du Café.

 

 

 

Vous avez beaucoup travaillé sur le rôle des personnels de direction, le projet d’établissement, le diagnostic et l’auto-évaluation. Vous savez qu’en France vient de sortir un livre vert sur la condition enseignante. Qu’en pensez-vous ?

Je n’ai pas une vision complète de l’école française. J’ai collaboré avec nombre de réseaux de personnels de direction et d’enseignant autour de la notion de projet d’établissement, et j’ai pu constater qu’en France, mais c’est aussi le cas dans d’autres pays, on était beaucoup à la merci des différentes injonctions du ministère et que les réformes successives s’apparentent un peu au « zapping » ou à la douche écossaise.

On a un gros problème à gérer ici, c’est celui des inégalités, mais on n’arrive pas à atteindre cet objectif, même si la conscience collective est plus sensibilisée aux résultats et aux enseignements de Pisa. Il est vrai que cette prise de conscience n’est pas forcément bien relayée par les syndicats. Quand on leur parle de ce problème, les enseignants sont tout de suite sur la défensive, ou alors ils réclament des moyens supplémentaires, en France comme en Suisse où leur situation est pourtant bien meilleure.

Il y aurait beaucoup de travail à faire entre les enseignants pour changer l’organisation du travail, définir des projets communs, évaluer l’impact des actions. Il y a une incapacité à passer au stade opérationnel, même si le discours est au point.

 

A propos de Pisa, que pensez-vous du modèle finlandais, qui semble actuellement un vrai modèle de réussite ?

La Finlande n’est pas le seul pays dans lequel les élèves réussissent bien. Par exemple, la Corée et la Finlande ont un système éducatif radicalement différent, mais tous deux empreints d’une très forte cohérence.

En Suisse, le travail des femmes est très méprisé, mais en Finlande, il est complètement valorisé et, dès la petite enfance, les jeunes sont pris en charge. On a une image très idéalisée du système scolaire finlandais, tout n’y est pas aussi rose qu’on voudrait le dire. Il arrive de rencontrer des élèves qui s’ennuient à un cours, ou des professeurs très conservateurs, mais le pays a globalement confiance dans ses jeunes et pense que leurs problèmes peuvent être résolus. Et ils travaillent depuis 30 ans dans la même direction. Ce n’est pas le cas en France avec ce zapping constant. Dans les cultures francophones, on a quand même beaucoup tendance à couper les cheveux en quatre.

 

Les chefs d’établissement sont-ils à même, selon vous, de jouer ce rôle d’animateurs et de chefs d’orchestre que voudrait leur confier le rapport Pochard ?

Le problème de fond, c’est que lorsque le chef d’établissement mute, plusieurs années de travail peuvent se retrouver anéanties.

Il est vrai qu’il est difficile de faire vivre le conseil pédagogique au quotidien. Les enseignants ont l’impression d’avoir déjà beaucoup donné et ne sont pas prêts à des engagements supplémentaires, à moins qu’ils ne soient rémunérés ou que cela ne soit compté dans leur services.

Il faudrait outiller les chefs d’établissement pour que l’établissement puisse vraiment fonctionner mieux. Il n’y a pas de nouvelles recettes à inventer, il s’agit toujours de la définition d’un projet collectif, l’analyse détaillée des forces et de faiblesses, la définition des objectifs, l’alliance avec les parents (ça, c’est un problème de taille). La phase de construction doit être totalement participative, mais en retour, il faut recueillir l’engagement de chacun à adhérer au projet et à rester 3 ou 4 ans pour le faire vivre.

 

Pensez-vous, comme Antoine Prost, que le principal problème de l’école français aujourd’hui soit un manque de gouvernance ?

Il y a certainement un problème de gouvernance, mais je pense que malgré les peurs, la décentralisation va se mettre réellement en place et qu’on va apprendre à faire de l’auto-évaluation. Actuellement, il y a des écoles et des établissements qui fonctionnent bien, avec des équipes assez stables, en ignorant tranquillement les injonctions externes. Des façons de travailler peuvent alors s’installer et il n’est pas gênant que chaque établissement développe sa personnalité, surtout si on généralise des actions de mise en réseau et d’échanges d’expériences. Les IUFM pourraient facilement être un relais dans ce dispositif, car ils sont bien placés pour cela, mais ils devront veiller à maintenir une grande proximité avec les acteurs de terrain.

 

On accuse souvent le respect des programmes par les enseignants du second degré d’être un frein à l’innovation et à la réussite des élèves les plus faibles. Qu’en pensez-vous ?

L’exigence des programmes est peut-être une fausse question. Les enseignants n’osent effectivement pas créer d’espaces de respiration, mais c’est peut-être parce qu’ils  sont très démunis au niveau du diagnostic. Ils n’ont guère de prise sur les élèves, car ils sont nombreux à intervenir avec chacun peu d’heures. On n’arrive par exemple pas à créer des conditions favorables d’organisation pour l’apprentissage des langues vivantes. Les enseignants se laissent enfermer dans des grilles horaires alors qu’on pourrait assez facilement éclater les emplois du temps.

 

Quel pourrait être, pour les établissements, l’apport des recherches en sciences de l’éducation ?

On ne doit pas se contenter d’analyser les pratiques, il faut encore les croiser avec les concepts théoriques. Les acteurs de la recherche et du terrain n’arrivent pas encore à très bien se parler. Il n’y a qu’à voir, par exemple, la question des cycles. Je vais reprendre cette formulation de Philippe Meirieu, la médecine fait des progrès (savoirs partagés, capitalisation, avancées  constantes), l’école fait des réformes ! Flexibilité, autonomie locale, autant de sujets qui provoquent la cacophonie chez les spécialistes.

Quelles sont, à ce jour, les avancées sur lesquelles on peut s’appuyer, par exemple en termes d’évaluation formative ou de pédagogie différenciée pour des apprentissages propres à chacun ? On devrait asseoir ces certitudes et mettre en place l’approche par compétences. Tous les éléments sont là, épars, mais il y a un problème d’orchestration et d’opérationnalisation.

Il serait sans doute utile d’avoir une large diffusion et des débats, à la télé par exemple, sur les recherches en sciences de l’éducation. Mais les experts se battent férocement sur des sujets qui n’en valent pas la peine ; le débat en France autour des méthodes de lecture est pathétique. C’est fascinant de voir comme on réussit mal à traiter les vraies questions, par exemple « Comment peut-on aider les jeunes à vivre dans la société moderne ? », alors qu’il existe de nombreux intellectuels et des penseurs de qualité.

Depuis 40 ans, on a des éléments en mains, mais on n’arrive pas à aller vers un modèle de fonctionnement, d’autant qu’il est souvent impossible de transférer un modèle d’une culture à une autre. Pourtant certaines écoles réussissent à titre individuel.

D’ailleurs, l’une des actions les plus efficaces que je connaisse consiste à remplacer les sessions de formation continue par des observations dans ces établissements qui fonctionnent bien et de garder ensuite un temps d’échanges et de « debriefing ». Même les enseignants les plus réticents aux changements dans leurs méthodes finissaient par admettre qu’il y avait sans doute matière à réflexion dans ce qu’ils avaient vu.

 

 

Entretien : Françoise Solliec

 

 

 

 

 

Par fsolliec , le samedi 01 mars 2008.

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