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Un historien de l'éducation parle de la condition enseignante 

 

 

Entretien avec Antoine Prost

 

 

Auditionné par la commission Pochard sur l’évolution du métier d’enseignant, Antoine Prost, historien de l’éducation, avait abordé dans une perspective historique de nombreux sujets qui se retrouvent dans les constats et recommandations du rapport final, tels les obligations de service des enseignants, le rôle des IUFM, les projets d’établissements , etc. Interrogé par le Café, il a bien voulu commenter et préciser certains de ces points.

 

Antoine Prost considère que le principal problème de l’éducation nationale aujourd’hui est un problème de gouvernance. Mais, comme il se plaît à dire, "cela fait bien des années (depuis Christian Fouchet, 1962-1967) qu’aucun ministre de l’éducation nationale n’est resté au gouvernement aussi longtemps qu’un élève à l’école primaire". Les réformes se sont donc succédées dans l’incohérence et, la plupart du temps, sans grande concertation. Le grand débat sur l’école mené par la commission Thélot en 2003-2004 a bien été posé à un niveau national, mais il était trop général et comme on a sollicité les contributions sans mettre vraiment leurs auteurs en position de travail et de réflexion, on a recueilli beaucoup de stéréotypes. François Fillon aurait peut-être souhaité mieux exploiter le débat, mais il a quitté le gouvernement avant. De plus, les membres de la commission Thélot n’étaient pas vraiment proches des décideurs.

"Ce ne fut pas toujours le cas" ajoutet-il. "Par exemple, la commission parlementaire Ribot, 1899, conduisit à la réforme de 1902, fondation du système scolaire moderne. Des conclusions de la commission des sages de Louis Joxe (1972), le ministre retient deux propositions, la création des CDI et l’assouplissement des tâches pédagogiques en dégageant 10 % du temps scolaire pour ouvrir, en marge des programmes nationaux, un temps à des activités conçues localement. Si la première proposition a connu une mise en œuvre remarquable, notamment avec l’implication et les efforts des collectivités, la seconde, 40 ans après, ne connaît pas vraiment d’applications concrètes".

Plus récemment, cette même situation de proximité des décideurs s’est retrouvée dans la consultation sur les lycées qu’Antoine Prost mena en 1983 à la demande de Claude Pair, alors directeur des lycées, ou pour la dernière consultation sur les lycées menée par Philippe Meirieu en 1998, dont Claude Allègre a repris plusieurs points, notamment les TPE.

 

S’il est favorable au renforcement des pouvoirs des chefs d’établissement, il s’agit là aussi pour Antoine Prost d’un problème de gouvernance. C’est toute la chaîne d’encadrement et les rapports entre les différents maillons qui devraient être repensés. Les enseignants n’accepteront jamais un pouvoir accru des chefs d’établissement si cela ne leur apporte rien qu’une pression administrative. Aujourd’hui, la plupart des chefs d’établissement ne sont pas de véritables ressources pour leurs professeurs. Ils devraient les soutenir dans leurs difficultés, au lieu de vouloir ignorer ou cacher celles-ci. Mais ça se passe ainsi d’un bout à l’autre de la chaîne : les inspecteurs d’académie, confinés dans un fonctionnement bureaucratique, ne jouent que rarement un rôle de ressources pour les chefs d’établissement.

Au niveau de l’administration du ministère, les chefs de bureau ont de moins en moins l’expérience des classes, notamment pour le 1er degré, dont les inspecteurs se sentent incompris et méconnus, alors qu’ils remplissent souvent bien leur fonction d’encadrement de proximité. Il faudrait que l'administration centrale connaisse mieux la réalité de l’enseignement et soit davantage au service des enseignants.

Par ailleurs, le ministère des finances pousse à de gros établissements, mais 1 chef d’établissement et 1 adjoint pour 150 professeurs, ça ne permet pas un vrai fonctionnement d’équipe. Il faudrait casser les cités scolaires, subdiviser les équipes d’encadrement, augmenter le nombre de conseillers d'éducation, favoriser les pratiques d’organisation collectives, comme par exemple l’instauration d’un conseil de classe (rémunéré) en début d’année scolaire, pour fixer l’organisation du travail de l’année et harmoniser les exigences de chacun de façon contractuelle avec les parents d'élèves.

Pourtant, avant même l’apparition des textes sur les projets d’établissement de 1990, de nombreuses réflexions ont été menées pour aider les établissements à établir un diagnostic et à inventer des réponses locales à leurs difficultés. Dès 1982, Alain Savary, grand décentralisateur, avait perçu l’importance de la recherche en éducation pour aider les acteurs sur le terrain. Seulement la recherche en éducation, c’est assez mal vu à une époque où les tenants de la transmission pure et dure des savoirs occupent largement les medias. Le débat sur l’enseignement est souvent consternant de pauvreté intellectuelle. Il est vrai que le ministère de l’éducation nationale a un réel problème de communication car il traite souvent de sujets très techniques et les journalistes en disent n’importe quoi. Le ministère devrait se préoccuper d’organiser une communication qui ne soit pas de crise et de réunir régulièrement les journalistes pour leur expliquer le fonctionnement du système qu'ils ignorent trop souvent.

 

"Pour une meilleure réussite des élèves, la question des obligations de services des enseignants est cruciale", estime Antoine Prost. L’annualisation des services, la modulation des horaires disciplinaires sont des propositions intéressantes, mais qui s’accordent mal avec le respect des contraintes qui ont conduit les enseignants à leurs emplois du temps personnels, surtout les mères d’enfants en âge scolaire pour lesquelles cette semi-liberté horaire est un facteur important de choix de la profession. Cette rigidité, souvent sous-estimée par les organisations, conduira certainement à une mobilisation des enseignants sur le sujet. "Il faut d’ailleurs se rappeler" dit-il "que ce n’est pas la première fois qu’on en parle et qu’il ne se passe rien, puisque le sujet avait été déjà évoqué en 1984, alors qu’on était dans un rapport de relative confiance avec les syndicats. Il me semblerait personnellement qu’on irait dans le bon sens si on permettait aux chefs d’établissement de moduler les effectifs ou le nombre de séquences par classe et si on rémunérait en plus des travaux supplémentaires".

 

Pour Antoine Prost, "il n’est pas certain que les pratiques des enseignants aient énormément changé depuis les années 1970". Il note cependant qu’"elles sont sans doute plus ouvertes et, surtout, d’une extrême diversité. Le régulateur naturel est l’institution, mais il n’y a pas toujours unité d’impulsion et, dans le second degré, la contrainte imposée par le respect des programmes est forte. De nombreux professeurs passent également beaucoup de temps à obtenir dans leur classe les conditions de la mise au travail des élèves".

Du travail pédagogique est réalisé dans nombre d’associations d’enseignants regroupés autour de leur discipline, comme en mathématiques ou en histoire-géographie …

Les IUFM lui paraissent aussi être des lieux de travail pédagogique, même si c’est de manière inégale et s’ils abordent ces questions de manière très différente d’un établissement à l’autre. Ils ont beaucoup contribué à la définition d’une identité professionnelle des enseignants du second degré (celle des enseignants du premier degré était plus ancienne et beaucoup mieux définie). Ils sont des facteurs d’évolution à moyen terme, car ils ont des possibilités de feed back et de corrections d’erreurs, en interrogeant leurs anciens stagiaires 2 ou 3 ans après. On manque cependant encore beaucoup d’études empiriques et d’analyses.

 

Antoine Prost souhaiterait que l’on cesse de rendre l’école responsable de toute l’éducation citoyenne de l’élève. "La sécurité routière, la sécurité alimentaire et bien d’autres thématiques n’ont cessé de se rajouter à des contenus qui devraient être centrés sur la maîtrise de la langue française avec l’acquisition de compétences écrites et orales et une culture commune définie par le socle".

Il remarque enfin que, dans le débat sur l’école, peu d’acteurs ont du poids aujourd’hui. Les syndicats, fortement affaiblis, sont loin de voir reconnue leur réflexion pédagogique, contrairement à ce qui se passa dans le milieu des années 80, lorsque le SNI s’opposa aux volontés élitistes de Chevènement.

De plus dans l’éducation nationale, tous les changements sont très longs : il a fallu près de 30 ans pour que les CDI occupent dans l’établissement la place qu’ils avaient dans les textes. La mise au point de la dissertation, comme exercice central du secondaire, a pris une quinzaine d'années. L'enseignement a besoin de continuité, et non d'une rafale de mesures incohérentes.

 

Entretien : Françoise Solliec

 

 

 

 

Par fsolliec , le samedi 01 mars 2008.

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