Une seconde carrière ? Aidoprofs y travaille 

Peut-on rester prof toute sa vie ? Ce n'est pas seulement la difficulté croissante du métier d'enseignant mais aussi sa complexité qui font envisager aujourd'hui le démarrage d'une seconde carrière comme une modalité banale dans la vie d'un enseignant. Tout le monde semble en être conscient : le rapport Pochard l'évoque, un décret a été pris… Reste à le mettre en pratique et là c'est plus difficile. L'association Aidoprofs aide concrètement des enseignants à changer de cap. Rémi Boyer en est le fondateur et président.Entretien avec Rémi Boyer, association Aidoprofs




Un décret est paru il y a deux ans pour organiser la seconde carrière des enseignants.
Où en est-on actuellement ?


boyerL'idée d'une "seconde carrière" pour les enseignants date de 2003 (article 77 de la Loi Fillon) tandis que le ministère de l'éducation nationale l'a entériné par un décret en 2005. Alors que François Fillon avait annoncé 500 postes pour 2005, Dominique de Villepin avait promis de doubler ce chiffre en 2006. En fait, ce sont 50 postes qui ont été proposés en mai-juin 2007, dont 10% ont été effectivement occupés par des enseignants. Il apparaît qu'il n'est pas évident de trouver des postes adaptés à des compétences de professeurs puisqu'il n'existe pas actuellement de référentiel détaillé officiel de ce métier. Il nous apparaît que les textes ont créé dès le départ des freins à cette seconde carrière puisqu'il faut au moins 15 ans d'ancienneté pour en bénéficier, alors qu'une récente étude de la MGEN à la rentrée 2006 situait le cap de la démotivation à 8,3 années. 10 ans d'ancienneté nous auraient parus plus en phase avec la réalité du terrain.

Nous avons observé que le dispositif mis en œuvre est assez complexe, puisqu'il y a une mission de pilotage nationale et des pôles académiques reliés aux directions des ressources humaines. Chaque académie a donc créé une page web, plus ou moins facile d'accès à partir de son portail académique, et avec une mise à jour assez lente pour certaines d’entre-elles. Nous pensons qu'il aurait été plus simple, plus économique, de concentrer toute l'information sur un seul site, puisque Internet ne connaît pas les frontières académiques : nous avons en effet changé d'époque...

Des postes avaient été proposés fin octobre, ce qui est une avancée, puisque l'idée que l'enseignant puisse quitter sa classe en cours d'année semble faire son chemin, mais depuis, aucun poste nouveau n'a été mis en ligne. Le problème réside dans le fait que la mission seconde carrière va chercher dans d'autres ministères des postes où les professeurs seront mis en concurrence avec des fonctionnaires qui ont un profil nettement plus adapté, alors qu'il eût été plus simple d'optimiser le potentiel actuel des postes en détachement au sein de la sphère éducative.

Les enseignants ont cru que des postes leur seraient attribués automatiquement dès lors qu’ils en émettraient le vœu. Une sélection basée sur leurs motivations et sur leurs compétences nous paraît plus logique.

Savoir évaluer ses compétences
Qu'est ce qui rend difficile le passage à une seconde carrière ? Certains disent que la formation trop disciplinaire des enseignants empêche leur redémarrage ailleurs. Qu'en pensez-vous ?

Entreprendre une seconde carrière nécessite d'abord de savoir évaluer ses compétences, sa professionnalisation. A notre avis, cette étape doit être précédée d'un bilan de compétences par un conseiller-psychologue, et d'un conseil en formation par un ancien professeur diplômé en ingénierie de formation. En effet, qui, mieux qu’un professeur, peut connaître les compétences qu’un autre professeur met en oeuvre ? Le dispositif actuel de seconde carrière conserve toujours ce fossé qui perdure entre l’administration et les professeurs, alors qu’une meilleure compréhension et collaboration de ces deux univers nous semble souhaitable, puisque le rapport Pochard, comme les rapports qu’ils l’ont précédé ici et là depuis 1998, préconise une rénovation de la Gestion des Ressources Humaines. « Richesses Humaines » nous semble plus adapté.

Donc, qu’attendons-nous ? Dix ans de plus ?
Le dispositif actuel devrait échelonner des étapes entre 10 ans et 15 ans d'ancienneté comme ceci :
- réception des demandes en toute neutralité quant au motif de mobilité de la personne, même si elle enseigne dans un établissement dit « facile ». Vouloir évoluer ne signifie pas forcément quitter l’enseignement brutalement et définitivement. Or, le dispositif seconde carrière est conçu de cette manière, ce qui nous paraît une erreur logistique. Beaucoup de professeurs sont en attente d’autre chose, mais de manière passagère, et cette demande n’est pas prise en compte par le dispositif.
- conseil et accompagnement au projet en attribuant un congé de formation professionnelle aux personnes qui ont besoin d’une nouvelle formation pour évoluer professionnellement, ou un congé de mobilité. Un professeur d’économie ou de gestion peut en effet plus aisément occuper les postes proposés qu’un professeur de musique ou d’histoire-géographie,
- évaluation de la motivation des candidats à une seconde carrière : leur proposer dans un premier temps de candidater par eux-mêmes sur des postes offerts en détachement ou en mise à disposition, afin de privilégier leur autonomie dans cette démarche. Actuellement, le « CV » demandé est formaté et cantonne toujours le professeur dans « l’assistanat ». Nous sommes en effet certains que la majorité des professeurs qui auront expérimenté cette étape retourneront en fait enseigner,
- orientation vers le dispositif de seconde carrière des professeurs qui auront expérimenté pendant 2 à 3 ans un poste en détachement au sein de la sphère éducative, car ils auront alors acquis des compétences adaptées à cette nouvelle étape.

Nous pensons que favoriser la flexibilité, tout au long de l’année, du dispositif actuel de détachement, permettrait à des professeurs d’envisager plus sereinement de devenir chef d’établissement ou inspecteur, puisque ces postes administratifs représenteraient une étape d’adaptation à un nouveau rythme de travail et de nouvelles compétences, alors qu’actuellement on ressent une baisse des vocations.

La formation disciplinaire des enseignants n’empêche pas leur mobilité. Les professeurs développent dans leur activité pédagogique bien plus de compétences qu’ils ne le pensent, tout simplement parce-qu’ils ne savent pas les projeter sur d’autres fonctions. Ils évoluent dans un « circuit fermé ».


Quelles compétences nouvelles devrait intégrer la formation des profs pour que la seconde carrière soit favorisée ?

Dès les années d’IUFM, les enseignants doivent impérativement être formés au travail en équipe, à la maîtrise des TICE (Word, Excel, Powerpoint, Photoshop, Internet), connaître au moins une langue étrangère, et suivre des stages en communication, en négociation, en gestion du stress, car leur métier intègre ces dimensions utiles dans bien d’autres métiers.


Quelles compétences spécifiques acquiert un prof dans son métier qui soient transposables ?

L’aptitude à animer une équipe, à conduire un projet, à gérer des conflits, la réactivité et l’adaptation rapide aux imprévus, la créativité, la capacité d’initiative, l’esprit de synthèse, les qualités rédactionnelles, le sens de l’organisation, le sens de l’écoute de l’autre, la conscience professionnelle aussi. Le professeur développe aussi un sens aigu des responsabilités.


D'après votre expérience, les secondes carrières réellement effectives sont plutôt des ruptures ou des évolutions ?

Les ruptures sont des cas exceptionnels. La grande majorité des professeurs qui évoluent professionnellement ne quittent pas totalement leur discipline, car pour beaucoup, cette mobilité est synonyme de renoncement à un métier qu’ils aimaient. Ils le quittent parce que leur métier est devenu pénible physiquement et psychologiquement, du fait d’affectations aléatoires, parfois instables et multiples, qui génèrent des frustrations, un sentiment de dévalorisation. Nous percevons particulièrement cette tendance pour les professeurs qui ont moins de 10 ans d’ancienneté. Un professeur d’électronique va créer une entreprise d’électricité, un professeur d’arts plastiques devenir artiste, un professeur de lettres travailler dans l’édition, un professeur d’économie évoluer vers des fonctions de gestionnaire. Quitter l’enseignement est souvent pour beaucoup un arrache-cœur, une mobilité « à reculons ».


Quel peut être le rôle d'une association comme la vôtre ?

Faire prendre conscience au professeur qu’il doit se former tout au long de sa vie, pour enrichir ses compétences et espérer diversifier son parcours de carrière. Nous pouvons réaliser l’interface entre les attentes/besoins des professeurs et les propositions des organismes de formation. Nous indiquons aux professeurs que pour entretenir leur motivation, et donc celle de leurs élèves, qui seront nécessairement plus attentifs, il est indispensable de développer chaque année de nouveaux projets de classe, de mobiliser les énergies de leurs élèves. Nous remarquons en effet que les jeunes enseignants qui ont moins de six ans d’ancienneté se découragent très vite et songent à quitter le métier alors qu’ils n’ont pas encore réussi à se libérer de leurs préparations de cours pour réaliser des activités pédagogiques avec leurs élèves. La fourniture d’une base de cours nous semblerait utile, dans les premières années de la carrière, ou encore un tutorat réalisé par un enseignant récemment retraité qui transmettrait ses préparations de cours à un jeune professeur. Ainsi leur savoir-faire ne serait-il pas perdu.

Notre association s’est aussi donné pour objectif de montrer, à travers la rubrique « carrière » que nous animons sur le Café, que les professeurs ont bien plus de compétences transférables que les structures susceptibles de les employer ne l’imaginent : il y a là un travail de persuasion à mener, long et progressif, pour faire évoluer les mentalités qui cantonnent actuellement l’enseignant dans sa classe.

Enfin, nous avons une vision à la fois très large et très précise de toutes les fonctions administratives actuellement occupées par des enseignants. Notre rôle est donc de proposer d’autres solutions que celles mises en œuvre par le dispositif actuel de seconde carrière, puisque la méthode et les outils d’accompagnement à distance à la mobilité des professeurs conçus par notre association ont prouvé l’an passé leur efficacité et leur grande économie : à deux bénévoles, avec 1800 € de budget associatif, nous avions favorisé la réussite du projet de mobilité temporaire ou définitive de 10 professeurs. Depuis 2008, notre équipe s’est étoffée à 10 bénévoles…
Entretien : François Jarraud
Association Aidoprofs :
http://www.aideauxprofs.orgSur le Café la rubrique seconde carrière
 
Par ppicard3 , le samedi 01 mars 2008.

Partenaires

Nos annonces