100 fois sur le métier... 

Sait-on assez combien la lexicographie est un auxiliaire précieux pour qui veut, par temps agité, faire le point sur une notion, un concept ? En prenant le temps d’aller explorer les dédales de l’étymologie, on peut retisser des fils, comprendre des oppositions apparentes.

metierUn métier est, dit le dictionnaire, une « activité manuelle ou mécanique nécessitant l’acquisition de savoir-faire, d’une pratique ». Dans métier, serviteur et ministre n’est pas loin (minister, ménestier, mistier, Xe s.), mais l’origine se mêle avec misterium, qui renvoie aux rites, à la célébration. Le métier, c’est donc aussi une organisation qui règlemente la pratique, la hiérarchie, les droits et devoirs des personnes qui exercent une activité déterminée, souvent définis par des registres.

Derrière ces deux définitions, deux expressions qui se répondent :
-    « être du métier », c’est donc se conformer  aux règles et aux usages en vigueur ; savoir « ce qui se fait », s’approprier l’histoire du corps dans lequel on entre, être reconnu par ses pairs pour éviter de « errer seul devant l’étendue infinie de bêtises possibles », pour reprendre l’expression de Darré. Chez les enseignants, c’est d’abord « faire la classe », c’est à dire à la fois fabriquer une cohérence minimale entre les individus des groupes qu’on a face à soi, et les faire apprendre, en initiant, maintenant et régulant une activité de chaque sujet-élève. On retrouve l’idée dans les expression comme «prendre la classe » (« faire que la classe prenne », dit Saujat) ou « tenir la classe ». Mais pour y parvenir, il n’y a pas qu’une solution : il existe plusieurs manières d’être enseignant, plusieurs « styles ».
D’où les nécessaires (indispensables !) « controverses » qui traversent le métier d’enseignant, comme tous les métiers. Pour « s’en sortir », il faut arriver à utiliser les contraintes (institutionnelles, techniques, matérielles, humaines…) pour installer les conditions de l’activité des élèves, et donc de la sienne propre. Autrement dit, pour assurer son «développement professionnel » (son sentiment de compétence, son estime de soi), il faut arriver à gérer le défi de sa propre activité : gérer le temps, limiter les inattendus, imposer des cadres suffisamment contenants pour cadrer les élèves et asseoir son autorité sans la réduire à l’autoritarisme...

-    Or, de plus en plus, les enseignants ont le sentiment de perdre ces « règles de métier », parce qu’ils ont l’impression qu’ils n’arrivent pas à les mettre en cohérence avec les savoirs issus des didactiques et des théories pédagogiques. Ainsi, les prescriptions socio-constructivistes souvent énoncées en formation mettent en difficulté les débutants : ils en partagent les valeurs (rôle de l’élève et du groupe dans la construction des apprentissages, pédagogies « actives »…), mais n’arrivant pas forcément à les mettre en action rapidement parce qu’elles exigent une expertise professionnelle forte, ils en conçoivent de la frustration, de l’anxiété, voire de la souffrance professionnelle.
Faute de confrontation régulière avec les « experts » chevronnés, ceux qui « ont du métier », faute de débats professionnels dans les établissements, la « controverse professionnelle » se transforme souvent en « conflits interpersonnels » entre les différents « styles » d’enseignant, chacun reprochant à l’autre de ne pas incarner le « métier », là où il n’y a souvent que des « compromis différents » entre les différentes contraintes du métier.


Un travail qui fait du souci...
Pour reprendre les propos d’Yves Clot, un des pères français de la psychologie ergonomique, le travail engendre de plus en plus des "soucis" : comment faire avec les nouvelles demandes sociales, les échecs, les résistances à apprendre ?


« Il est parfaitement normal que le réel se modifie, que de nouveaux problèmes professionnels apparaissent. Il n'y a pas là de difficultés insurmontables en tant que telles. En revanche, je crois que lorsque des bouleversements aussi importants surgissent, cela nécessite, pour les résoudre, la riposte professionnelle d'un énorme travail collectif. C'est un point essentiel. Pour affronter ces nouvelles préoccupations, faire face à ces nouvelles demandes qui viennent du réel, on ne peut plus se contenter de "faire son métier". Il faut fabriquer de nouvelles expériences professionnelles. Pour cela, il y a un énorme besoin de coopérations, de débats sur le métier, pour trouver du "répondant". (…)
Or, massivement, l'organisation du travail fait l'inverse : elle malmène les collectifs, ou les écarte, en développant des formes de précarité multiples. Le travail d'organisation nécessaire pour affronter les soucis qui viennent du réel n'est pas assez soigné. On a là des professionnels qui se trouvent dans des difficultés très grandes et qui devraient bénéficier de l'organisation du travail. Or celle-ci se dérobe à cette fonction centrale. Là où l'organisation du travail devrait être un moyen au service du travail, c'est le travail qui est mis au service de l'organisation. Et quand ça marche, c'est souvent "malgré tout", car les professionnels "prennent sur eux" pour continuer à "faire du bon boulot"…."




Par ppicard3 , le samedi 01 mars 2008.

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