L'analyse de S. Grandserre 

S. GrandserreA ceux qui ne voient pas bien le rapport…

 

Lundi 27 août, le président Sarkozy a donc reçu, avec une inhabituelle discrétion, le rapport annuel sur l'école du Haut Conseil de l'Education dont la parution a pourtant fait grand bruit. Pour l'essentiel, les médias et ceux qui les écoutent risquent de ne retenir - sans bien l'identifier – que le caractère alarmiste d’un document pourtant intéressant. Certes, on peut aisément comprendre le désarroi des enseignants qui vivent comme une nouvelle trahison l'angle choisi pour parler de ce bilan à quelques jours d'une rentrée que l'on espérait enfin pacifiée. A ceux qui titrent sans nuances que l'école ne s'occupe convenablement que de 60 % des élèves, on serait tenté de répondre avec un peu de mauvaise foi que la société française va si mal que 40 % de ses enfants sont en difficulté scolaire ! Dans le même ordre d'idée, on remarquera qu'il est soudainement dit du bien  du collège juste au moment où près de 10 000 postes d'enseignants du secondaire vont être supprimés. Quand on veut noyer son chien, on dit qu'il a la rage, mais quand on ne veut pas le sauver on peut aussi lui faire croire qu'il va bien ! 

 

 

Pourtant, il faut absolument aller au-delà de ces remarques justifiées pour s'intéresser véritablement au fond du dossier.

 

Tout d'abord, le plus surprenant... c’est que ça étonne ! En effet, il n’y a rien de neuf  sur les constats puisque dès 1998, le rapport de Jean Ferrier faisait sensiblement les mêmes, observant en moyenne dans une classe, 3 ou 4 élèves en grande difficulté, 6 ou 7 ayant fréquemment besoin d'aide et 15 pour lesquels les apprentissages s'effectuent convenablement, certainement vers le baccalauréat. Dix ans de réformes diverses pour améliorer ces chiffres n'y ont rien fait, preuve s'il en est de la complexité sous-estimée de la tâche.

 

Il faut ensuite noter une évolution appréciable du souci des plus faibles. Longtemps, notre système scolaire s'est peu inquiété du devenir de ceux, majoritaires, qui quittaient ses rangs sans formation pour rejoindre précocement le monde du travail. Heureuse époque où on ne parlait même pas d'échec scolaire... tant la chose semblait normale ! Or, moins il y aura d'échecs, plus on en parlera.  L'ascenseur social n'est pas en panne, mais les portes ne s'ouvrent plus à l'étage.

 

 

Par ailleurs, on peut pointer des manques regrettables dans ce rapport.

 

Ainsi, il n'est pas suffisamment dit d'où sortent ces élèves en échec. Tout juste est-il rappelé que "les enfants qui bénéficient à la maison d'un environnement favorable aux premiers apprentissages réussissent nettement mieux que les autres". Chômage, RMI, Resto du cœur, banque alimentaire... De nombreux Français rament quotidiennement dans des eaux autrement plus troubles que celles du lac Winnipesaukee. On évalue ainsi à deux millions le nombre d'enfants sous le seuil de pauvreté en France... Il ne leur est heureusement pas interdit de réussir à l'école, mais, statistiques à l’appui, il serait mensonger de faire croire que ça leur sera facile. On ne peut laisser sous-entendre que tout irait bien sauf l'école quand par endroit, c'est presque l'inverse que l'on observe. Et même si le niveau monte, les écarts se creusent terriblement, un peu à la manière d'un marathon où les différences sont d'autant plus flagrantes que l'on s'éloigne du point de départ.

 

 

Et puis, dans ces affaires de chiffres, tout est question de curseur.

 

A partir de quel seuil estime-t-on qu'un élève est en grande difficulté ou en difficulté légère ? A partir de quel diplôme pense-t-on qu'un élève a réussi : Brevet au collège ? CAP ? BEP ? Bac pro ? On le voit, les avis divergent selon la façon dont on place les 25 % d'élèves du ventre mou de ce classement. En 2003, Christian Forestier, membre du HCE, déclarait :" Nous avons un système éducatif qui fonctionne plutôt bien pour 85 % des élèves et qui dysfonctionne pour 15 %" (« Fenêtres sur cours" 25/11/2003). Pourquoi les 25 % intermédiaires seraient-ils maintenant classés de l'autre côté de la barrière du convenable ? D'ailleurs, il a été précisé que la population intermédiaire n'est pas en situation de faire des études au collège dans de bonnes conditions. Mais de quel collège parle-t-on ? Celui conçu, pensé, organisé, pour ne recevoir qu'une partie de la population scolaire comme autrefois? Qui peut prétendre sérieusement que les structures du collège se sont adaptées à ces nouveaux élèves dont l'accueil n'était pas initialement prévu ?

 

 

Les acteurs les plus progressistes de l'Education nationale auraient tort d'enterrer sous la colère un rapport qui peut donner l'impression de "noircir le tableau".

 

En effet, le HCE ne ferme pas la porte à l'innovation et condamne fermement l'immobilisme et l'inadaptation du système que nous connaissons actuellement. Même s'il y aurait à dire, notamment sur la question des directeurs ou des concentrations d'écoles, il faut bien lire que sont réaffirmées tour à tour l'importance du respect des rythmes individuels, la recherche de formes de soutien et de rattrapage efficaces, l'inutilité du redoublement, la nécessaire souplesse des organisations avec la mise en place effective des cycles, une meilleure gestion des moyens humains et de la formation et surtout la place cruciale de la maternelle, niveau auquel on trouve encore normal d'entasser par trente les enfants de trois à cinq ans. Bref, ce rapport du HCE peut même être perçu comme sévère à l'égard de ceux qui ne voient en la maternelle qu'une variable d'ajustement des effectifs. Rappelons que les plus virulents anti-pédagogues réclament la suppression pure et simple de la maternelle ! Quel désaveu. De même, on ignore quelles pratiques pédagogiques ont été évaluées. Mais tout observateur sérieux de l'enseignement sait à quel point le conservatisme l'emporte plus qu'on ne le croit dans les classes, avec des adaptations plus souvent subies que choisies.

 

 

Pourtant, on ne peut qu'être inquiets : d’abord de ce qui a été dit de ce rapport, mais aussi de ce que fera le pouvoir politique d'un tel document. Cette école primaire, ni toute puissante ni totalement innocente, qui ne corrige pas les difficultés scolaires et les injustices sociales, peut-elle être dynamisée pour aller de l'avant ou sera-t-elle condamnée à un glissement en arrière ? Chacun ira de son interprétation, piochant dans ce texte - qui s'interdit de véritables propositions pourtant exigibles d’un tel  "Conseil"  - de quoi confirmer ses croyances préalables. Preuves de la difficulté du politique à pénétrer clairement l'enceinte des questions scolaires, les déclarations contradictoires du nouveau ministre de l'Education nationale capable d'affirmer à quelques mois d'intervalle que les établissements qui fonctionnent bien sont ceux qui "innovent, bricolent inventent" (convention de l'UMP 22/2/ 2006) mais aussi qu'il est le défenseur "des méthodes les plus traditionnelles" (La Croix du 12 juillet 2007). Décidément tout pousse à croire que nous sommes à l'heure de choix cruciaux entre un système archaïque dont on ne peut être nostalgiques que par amnésie ou intérêts particuliers et une réelle évolution inspirée ici de l'expérience de Mons-en-Baroeul (Libération du 24/8/07) ou là-bas de la Finlande. Que ce soit en pédagogie ou en politique, l'heure est au courage !

 

Sylvain Grandserre 

Maître d’école 

Auteur de Ecole : droit de réponses Hachette 2007

Par fgiroud , le dimanche 09 septembre 2007.

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