Les droits de l'enfant : Droits et devoirs de l'enfant 

André Giordan, Laboratoire de Didactique et d'Epistémologie des Sciences de l'Université de Genève

 

Parler d’éducation civique à l’école n’a pas bonne presse, ni pour les enseignants, ni pour les élèves. Le vocable d’«éducation à la citoyenneté» introduit plus récemment, malgré ses référents et ses connotations différentes, n’a pas changé la nature des choses. Pourrait-il en être autrement avec l’éducation aux droits (et quand on parle de droit, le terme de devoir doit lui être associé)… de l’enfant ?...


Dans la liste des multiples raisons qui bloquent un changement souhaitable et nécessaire de l’école, celles qui touchent aux personnes nous interpellent fortement depuis nombre d’années. On connaît bien les effets stérilisants de l’inertie d’un grand ministère, le conformisme et le manque d’intérêt des programmes, la rigidité des pratiques pédagogiques. On s’est beaucoup moins préoccupé de la place et des ressentis des différents acteurs de l’école.

Pourtant les problèmes «existentiels» actuels de l’école: climat, malaise, violence, souffrances d’une part, ses difficultés à se transformer d’autre part, ne peuvent être abordés et encore moins résolus, sans se préoccuper des personnes. L’amertume, le découragement, l’incompréhension, le sentiment de n’être pas reconnu sont trop souvent le lot aussi bien des élèves que des membres du personnel.

Une question importante à «creuser» dans le débat en cours sur l’école n’est-elle pas celle du changement du moral, mais également des convictions, du regard sur l’autre des acteurs de l’école. Pour faire évoluer l’école, il ne suffit pas de se polariser sur les changements relatifs aux missions, aux contenus ou aux méthodes. En parallèle, un changement des protagonistes, dans la dimension profonde de « la personne »(1) n’est-il pas un passage obligé. Quand la personne se transforme, la façon dont elle perçoit son environnement, son entourage, change. A leur tour, les relations au sein des groupes se modifient. L’état d’esprit, le climat de la collectivité change également, l’innovation devient possible.

Le respect de chaque personne

Le changement de la personne(2) procède d’une alchimie subtile et complexe… et il est délicat, voire impossible, d’en décrire tous les ressorts. Il est toutefois un point capital que nous avons sans cesse repéré : chaque personne a besoin de se sentir respectée. Et si l’on s’appuyait sur le respect de « la personne » pour faire évoluer l’école ?

Car chaque personne –y compris le décideur- se sent peu respectée au sein de cette institution. Les causes sont à rechercher dans les décalages entre les comportements spontanés, non réfléchis de chacun, dans les différences de valeurs personnelles jamais explicitées, encore moins partagées et d’une manière générale dans tous les non-dits entre les personnes.

Une façon de penser collectivement le respect –rien n’est spontané- pour l’intégrer en soi et par rapport à l’autre est de réfléchir sur les droits de chaque personne au quotidien. Une meilleure compréhension s’installe, la différence est mieux acceptée. Parfois celle-ci permet même d’émerger par le haut.

C’est dans le sens partagé que naît l’optimisme, l’allant, la motivation, le plaisir de faire autrement, qui manquent si cruellement dans l’école en crise d’aujourd’hui. L’approche du respect(3) , et donc des droits et des devoirs de chacun au sein de l’école ne serait-il pas un moteur puissant pour un changement en profondeur(4) !

L’éducation au droit, une démarche

L'éducation au droit ne peut être l'objet d'une discipline spécifique de plus. Faire comprendre la loi, le règlement ou les règles de vie, non comme un (but) absolu, mais comme un moyen nécessaire à la vie en société est un défi que l'institution scolaire se doit de prendre «à bras le corps» dans ses programmes, mais pas seulement… dans sa culture... Car respecter la loi et les règles supposent pour chacun – jeune ou adulte - non seulement de les connaître, mais aussi de pouvoir participer à leur élaboration, et surtout de pouvoir introduire en permanence – du moins à échéances précises- des procédures pour les modifier.

En premier, il s’agit de rompre avec la conception répressive de la loi (acquisition de conditionnements liés à la «peur du gendarme»), pour en donner un contenu positif s’appuyant sur la compréhension et l’analyse. L’objectif est d’inciter l’élève à passer de la soumission à la loi ou au règlement, à la reconnaissance de la pertinence de la loi pour vivre ensemble « au mieux »(5) . Décider ce qu’il est bon de faire et de ne pas faire et voir comment le faire respecter, n’est-ce pas cela le b-a-ba du droit ?

Le passage d’une pédagogie du modèle à une pédagogie du contrat, peut donner plus de sens aux actions enseignées. En sciences, ne dit-on pas que «l’argument d’autorité» ou encore «la voix de la majorité s’efface devant la preuve expérimentale». Le développement de la notion d’appartenance et de participation à un projet collectif, la reconnaissance identitaire par le contrat et l’engagement personnel, sont parmi les enjeux de cette éducation qui est en fait progressivement une éducation à la responsabilité. Agir par soi-même pour tenir ses engagements, refuser les conduites de fuite sont les indicateurs d’un tel comportement responsable(6) . Car il s’agit de s’impliquer dans divers rôles et d’assumer un contrat éthique au service du groupe.


Notes :

1. Les élèves par exemple entrent dans un processus très impliquant où ils se questionnent au quotidien. Leur capacité à se remettre en cause nourrit leur démarche. Leur questionnement les conduit à énoncer individuellement et collectivement l’école qu’ils souhaitent, et les moyens pour la transformer ensemble. Ainsi… l’école «fait sens»
2. Il s’agit bien sûr de réfléchir sur un changement qui touche «la personne» dans sa dimension profonde, au delà des fonctions et des rôles qui caractérisent les différents acteurs.
3. Bien sûr, au préalable il s’agit de dépoussiérer ce mot, en lui enlevant ces adhérences moralisatrices…
4. Chaque fois que nous avons introduit cette dimension y compris dans des situations délicates, voire conflictuelles, un changement de climat s’est manifesté instantanément et la situation de blocages s’est dégagée.
5. La substitution de la notion d’apprendre à obéir, à celle d’apprendre à approuver en passant d’une situation réglementaire à une situation contractuelle, doit être recherchée. L’objectif est de passer d’une attitude consommatrice –«j’ai le droit de.. » à une contribution volontaire à un collectif –«pour vivre ensemble, il serait pertinent de…»-.
6.Des exigences éthiques doivent être également respectées par les personnels de l’école. L’attitude du professeur, du directeur, des conseillers pédagogiques au quotidien, l’influence qu’ils ont sur les élèves et l’imitation sont des paramètres importants. De même, il n’y a pas de citoyenneté véritable si les élèves ne peuvent discuter le règlement de l’école ou quand les enseignants ne prennent pas leurs décisions de manière collégiale.

Sur le site du Café
Par fgiroud , le jeudi 20 novembre 2003.

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