Daeninckx et Serres : engagements croisés 

Edito lirePassionnant moment que la rencontre à la tribune de Didier Daeninckx et d'Alain Serres, sous la férule complice de Pierre Magnetto, journaliste et grand connaisseur de littérature contemporaine.
Comme si vous y étiez, ou presque. manque le son et l'image, les accents et les postures des trois personnages de la tribune. A vous de combler les blancs du texte...
Une histoire sans trou de mémoire
Pierre Magneto : Didier Saeninckx, qu’est-ce qui motive ce parti pris de regarder l’histoire contemporaine ?
Une conjonction d’un goût pour le policier, le roman noir et la mort d’une amie de ma mère, morte à la manifestation du métro Charonne. Lorsque je me suis penché sur l’histoire de l’Algérie, il n’y avait pas de recherche sur ce domaine. Je m’intéresse donc aux angles morts. A cette période, la seule manière d’aborder l’histoire au vif était l’histoire artistique : théâtre, littérature, la chanson. Ma famille n’a laissé aucune trace, tout en ayant traversé des évènements extraordinaires. Quand j’ai commencé à écrire, j’ai eu envie de faire revivre des personnages, des périodes historiques. J'ai donc du limiter mon parcours aux arrières-grands-parents, en m'arrêtant vers 1900...


Quels sont vos engagements ?

Je suis antimilitariste depuis longtemps. Certains de mes copains ont encore les traces de ce refus... Mais je prends mes distances avec le terme d'engagement. Certains écrivains "engagés" des années cinquante n'ont pas vu à temps ce qui se passait à l'Est. Jacques Prévert disait qu’il était un écrivain dégagé, il a lutté contre le nazisme et a  toujours refusé d’être de parti pris.
Alain Serres, directeur des éditions "Rue du Monde", enchaine :
"J’ai la même difficulté à définir notre engagement qui dépasse ce simple mot. Avec Rue du Monde, nous sommes installés à côté des gens, dans le monde. Avec tout le respect dû aux poètes de la Résistance -nous tenons compte de l’histoire-, notre engagement est différent.

Vous avez publié un ouvrage jeunesse dans les années 80, pourquoi ce public ?

C’est dû au hasard d’une rencontre avec une institutrice, au marché qui m’a invité à revenir dans la classe où j’étais à l’école. J’ai demandé aux enfants d’être reporter sur leur chemin d’école. Ce travail a été transmis à la bibliothèque d’Aubervillliers, qui l’a proposé aux Edition Syros. Le livre a été publié en 1986, C. Pasqua a essayé de le faire interdire : on allait jusqu'à reprocher que dans le livre, le fils ne dénonçait pas son père malfaiteur... Le livre a été réédité, je me suis donc aperçu des enjeux autour de la littérature de jeunesse, et j’ai donc continué par le « Chat de Tigali » . Depuis la création de Rue du Monde, j’ai trouvé un espace pour écrire.
Comment écrivez-vous pour les enfants ?
J’écris des livres pour adultes, lisibles par les plus jeunes. Je ne pacifie pas mon vocabulaire, certains mots demandent à être interrogés. Mais la lecture  de mots inconnus ouvre les portes de l’imaginaire surtout dans les albums. Quand j’écris, je sais aussi que Pef (ou un autre illustrateur) va venir sur la page d’à-côté. Ce qui fait la différence, c’est la gravité des thèmes abordés.
Didier Daeninckx, vous abordez aussi des questions graves dans un cadre historique, dans "les trois secrets d’Alexandra" ?
alexSur le thème de la déportation, il y a un véritable manque. Je suis tombé sur l’histoire des policiers de Nancy qui ont sauvé des gens de la déportation. Un des policiers, à la sortie de l’école, avait jeté dans le sac d’un enfant les cartes d’identité pour toute une famille. Ces policiers étaient absolument admirables. Un des messages que j'affectionne, c'est que les apparences sont trompeuses. Ainsi, j’ai eu un jour une conversation avec Henri Krasucki, lors d’un séjour à la montagne. Depuis la Libération, il venait toutes les semaines dans cet hôtel, car depuis 1945, les métallurgistes avaient obtenu une semaine par an à la montagne. Ce jour-là, il m’a raconté que s’il a survécu à Auchwitz c’est qu’il avait pu reconstituer un opéra dans sa tête.
Alain Serres, c’est votre première collaboration avec Didier Daeninckx, vous pouvez nous en parler ?
C’est un auteur authentique. Ce n’est pas un faiseur d’histoire, c’est quelqu’un qui s’empare du passé pour pointer les drames et les douleurs, avec leur part de lumière. Il ne s’agit surtout pas de désespérer les enfants face à l’humanité. Didier Deninckx fait intervenir de nombreux personnages porteurs d’espoir, comme ces policiers de Nancy qui ont sauvé trois cents personnes.
Par delà la fiction, le fil historique reste authentique, notamment par l’iconographie. Nous sommes fiers du succès rencontré par Didier. Un vrai travail de mémoire a été réalisé.
Quels sont vos rapports avec les illustrateurs ?
C’est un rapport de confiance. Les livres sont préparés avec l’éditeur en commun, ensuite le dessinateur a toute liberté. Pef, sur la trilogie, a eu un gros problème lié au petit format des illustrations. Pef a également dû affronter son propre vécu de la guerre et son travail est d’une grande vérité. Cette dimension autobiographique fut une surprise.
Alain Serres, vous êtes impatient de nous présenter la dernière parution Rue du Monde, "Missak" ?
missak7L’histoire de cet engagement d’un Arménien pour la Résistance méritait d’être racontée.
Ce gamin émigré va défendre la France et la liberté. Le texte est très simple et peut être lu dès sept ou huit ans. C’est toute la vie de Manouchian qui est racontée. L Covaisy a fait un travail graphique remarquable d’allers et retours, entre la prison et des scènes de la vie de Manouchian. Si les membres de la liste rouge sont fusillés, la vie l’emporte par la couleur et l’écriture. Peu de livre fonctionnent de cette manière, et nous en sommes très fiers.
Didier Daeninckx, vous pouvez nous dire quelques mots sur Misak Manouchian ?Je ne voulais pas que Missak Manouchian soit cristallisé dans sa mort. J’ai voulu parler d’autre chose au sujet de Misak. Il y a trois ans dans une exposition sur la résistance arménienne, j'ai découvert un tableau représentant Misak torse nu en 1929. Qui pouvait s’intéresser à Missak en 1929 ? Après une recherche sur l’origine du tableau, j’ai rencontré la petite nièce de Missak. Dans son appartement, il y avait de nombreux documents inédits sur Misak M. J’ai étudié ces documents et fait de nombreuses découvertes. J'ai pris conscience qu'il vivait en France grâce à un passeport pour apatride. Le passage à la politique se fait à partir de la poésie. Le 6 février 34, il décide de passer le cap, de faire de la politique et s’opposer à la coercition ambiante.  Je me suis aperçu que le parcours de Manouchian est très riche. C’est un personnage généreux avec une grande ouverture d’esprit pour l’époque, et d’une grande densité humaine.

Alain Serres : dans le livre Missak, on trouve une copie lisible de la dernière lettre de Manouchian.




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