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Objet : Réflexions sur le débat?


PISA 2009, réaction aux lieux-communs et propositions


La publication de PISA 2009 suscite beaucoup de réactions dans les médias. Parmi celles-ci, un grand nombre de lieux-communs me fait réagir, et m’inciter à y opposer quelques pistes de réflexion :


1 - « La droite, ou le grand capital, ou le libéralisme voudrait détruire son école, ou la privatiser »...

Notre système est assez élitiste pour que les fils de bourgeois y trouvent leur compte, l’enseignement n’est pas une source de profits telle que le grand capital pourrait être très désireux de s’y investir... Tout en convenant parfaitement que le système économique n’a que faire de l’échec scolaire, il me paraît difficile de nier qu’il a aujourd’hui intérêt à ce qu’augmente la quantité d’étudiants et leur niveau, et sans doute aussi de techniciens, et même d’ouvriers très qualifiés...


2 – « Les ministres de l’Education Nationale sont des incompétents ou des pourris »...

Il me semble que les ministres sont sans pouvoir par rapport à l’ensemble recteurs-inspecteurs-enseignants, qui a un mode de fonctionnement autonome, largement inconscient. L’écart entre les proclamations d’objectifs, les projets-vitrines, et les pratiques réelles est impressionnant : Consensus sur une langue de bois admise par l’immense majorité des acteurs du système. Allègre, à qui son positionnement politique, son amitié avec Jospin, aurait dû valoir la sympathie de la majorité du corps enseignant, a récolté l’hostilité générale, en critiquant globalement le système... Il s’y est mal pris, sans doute, mais le fait reste que le personnel de l’éducation nationale est profondément rétif à des changements fondamentaux dans ce qu’il ressent comme « son » système.


3 – « Internet, les jeux en ligne et l’ordinateur abrutissent nos enfants »...

pourtant beaucoup d’activités sur internet font acquérir des compétences importantes, en particulier une pratique efficace de la lecture (y compris les jeux : j’avais un groupe d’élèves qui jouaient avec Equideow, sur internet, et qui a fait ainsi des progrès impressionnants, en lecture)... d’autre part internet devrait permettre de développer des réseaux de partage scolaire, des offres d’exercices pour « s’avancer », tout aussi bien que pour « rattraper ». Il existe déjà un site remarquable pour les maths, « mathenpoche » : les profs ne l’utilisent guère, ne le font guère utiliser par leurs élèves, à la maison...


4 – « Certains réclament, en lecture un retour à la méthode Beuscher, en math un retour à la récitation des tables, etc. »...

Ca mélange un peu tout. Il me semble vrai que notre école, et particulièrement la primaire, sollicite beaucoup moins qu’autrefois la mémoire... J’ai moi-même fait partie de cette génération d’enseignants, obnubilés par l’éveil et le plaisir d’apprendre au point de négliger la mémorisation... J’en suis revenu !

Mais pour ce qui est de la lecture, c’est tout autre chose : L’apprentissage de la lecture en CP est toujours dominé par le B-A-BA, « la Globale » y est toujours restée marginale (ou temporaire, et considérée comme une mise en bouche)... le médiocre niveau de nos élèves en lecture, à 15 ans, commence avec cet apprentissage-là, qu’il en soit responsable ou pas ! Plus grave, je crois, c’est que, ni à l’école primaire, ni au collège, il n’y a de pratique individuelle organisée de la lecture « silencieuse ». Organiser pédagogiquement cette pratique supposerait au moins de doter élèves et profs d’un important corpus de QCM, facilement accessible par internet, portant sur une grande variété d’écrits, de tous genres et de tous niveaux. Un prof n’a pratiquement pas d’autre moyen pour valider la lecture personnelle d’un élève que de lire le livre lui-même, d’en parler avec l’élève, ou de fabriquer lui-même le QCM. Pour l’avoir un peu fait, je témoigne que c’est un travail écrasant. Mais ni le corps des inspecteurs, ni les éditeurs scolaires n’ont encore vu l’importance d’un tel outil pour valider, tout en les diversifiant, les lectures personnelles. On en reste donc généralement à la lecture suivie, le même livre, à la même vitesse, pour toute une classe!


5 - « Comme cette évaluation fait remarquer que le respect des profs est un élément important de réussite scolaire, certains proposent qu’on débarrasse la classe des éléments perturbateurs »...

mais dans beaucoup d’établissements, de classes, l’exclusion des élèves perturbateurs est tout simplement impossible... Pour pouvoir virer un intolérable, on supporte 5 peu tolérables, parce que le CPE ferait une drôle de tête, si on lui envoyait 6 élèves d’un coup ! Quand l’intolérable est parti, parmi les 5, il y en a souvent 1 pour prendre la place vacante... Chaque prof est trop seul, peu sûr du soutien de ses collègues sur la réalité de son travail, de ses pratiques. La communauté pédagogico-éducative est inexistante aux yeux des élèves. C’est pourtant cette communauté qui doit gagner le respect, parce que le système scolaire paye la recherche du respect vis à vis de l’individu-enseignant de l’augmentation du mépris vis à vis d’un autre individu-enseignant. Des instances hebdomadaires comme le conseil d’école de la pédagogie Freinet, sont à mettre en oeuvre dans le primaire, à penser dans le secondaire, ainsi que des projets pédagogiques transversaux permettant aux profs... obligeant les profs à travailler à plusieurs, en présence des élèves...


6 - « Certains réclament un retour (?) aux classes de niveau, ou mettent en cause le collège unique »...

L’écart croissant entre les « bons » et les « nuls », est un indice dramatique. Il y a l’échec massif dans les « quartiers », il y a les « mauvaises classes » dans les collèges moyens, et il y a les quelques « nuls » mis à l’écart dans une classe normale. Pour avoir expérimenté cela dans l’équipe pédagogique de Madame Pierrelée (Auto-Ecole de Saint-Denis, et collège expérimental du Mans) -et chez les scouts, dans mon enfance- je crois que le brassage des niveaux et des âges dans une même groupe (pas forcément la classe, peut-être un groupe relevant d’un tuteur), pendant une partie du temps scolaire, est positif. Le non-redoublement ne sera un vrai progrès que dans une conception du groupe-classe différente de celle qui domine en France.


7 - « La mise en cause des procédures d’évaluation de PISA »...

Les procédures d’évaluation pratiquées par nos enseignants sont tellements incohérentes, tellement opaques, tellement peu pertinentes, qu’on ne peut guère s’opposer à ceux qui réclament la suppression des notes. C’est dommage, parce que j’ai observé les mêmes jubilations chez des élèves qui réussissaient 100% à un qcm sur un livre qu’ils venaient de lire, que chez un footballeur qui marque un but. Je crois que notre système scolaire aurait tout à gagner à mettre à la disposition des profs, qui pourraient les utiliser souplement, des outils d’évaluation inspirés de PISA, et pas seulement à pratiquer des évaluations massives et systématiques à l’entrée en sixième.


8 - « Augmenter les moyens » …

Le nombre d’élèves par classe, le salaire des profs, les heures de soutien individuel ou par petits groupes, les RASED, les AVS... où investir, où faire des économies ? Il n’y a qu’une chose dont je suis sûr, c’est que les manuels scolaires, renouvelés dans des délais fixés par les textes, et par les réformes des programmes, représentent un budget considérable ... Il est bien évident que des « leçons » et des exercices pourraient être proposés à tout le monde, gratuitement, sur internet... qu’il serait bien simple de les mettre à jour en temps réel... qu’il serait facile de les accompagner d’auto-correction. Bref, tout bénéfice, sauf pour quelques éditeurs que ça mettrait en difficulté, et sauf pour la hiérarchie de l’Education Nationale, inspecteurs, enseignants bien en cour, qui touchent une partie du pactole ! J’imagine que ce que l’on appelle « le libre », dans le jargon informatique, finira par assumer cette tâche, mais en attendant, quel gâchis financier.


9 - « Se concentrer sur les apprentissages fondamentaux, lire-écrire-compter, dans le primaire »...

Il est sûrement souhaitable que les maîtres identifient mieux et évaluent mieux ces fondamentaux, mais leur acquisition par les élèves ne se fera certainement pas mieux en les privant de jeu, de sport, de dessin, de musique, de découverte du monde, d’expérimentations (la main à la pâte)... En outre, à n’évaluer que ces fondamentaux, on aggravera le sentiment d’échec des élèves en difficulté dans ces apprentissages... Ce n’est pas le chemin suivi par la Finlande, en tout cas.

État d'approbation Approuvé 
 
Pièces jointes
Type de contenu: Message
Créé le 09/12/2010 13:09  par F Mellot 
Dernière modification le 09/12/2010 23:53  par fgiroud 

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