Calcul : Robien impose ses idées 

 

"Je souhaite que, dès le cours préparatoire, les maîtres consacrent 15 à 20 minutes, tous les jours, à des exercices de calcul mental pour construire patiemment ces automatismes qui manquent aujourd'hui à beaucoup trop d'élèves". Lors d'une conférence de presse,le 23 janvier, le ministre de l’éducation nationale a annoncé une circulaire sur l'enseignement des mathématiques à l'école primaire, début mars.

 

Celle-ci s'appuie sur l'avis d'une commission de l'académie des sciences (voir L'Expresso du 19 janvier qui avait publié ce texte). Elle imposera le calcul mental, déjà largement pratiqué dans les classes. Par contre elle modifiera les programmes de 2002 en introduisant les 4 opérations dès la grande section de maternelle. "Je retiens également la nécessité d'aborder les quatre opérations de façon simultanée… Les opérations doivent être introduites dès la grande section de maternelle pour qu'à la fin du CE1, les élèves sachent additionner, soustraire, multiplier et diviser des nombres entiers simples".

 

Le ministre revient donc aux programmes de 1945 et va même au-delà puisque il introduit les 4 opérations avant le CP. Une prise de position qui rappelle ses affirmations sur la lecture ou, plus récemment, sur la grammaire. Celles-ci avaient été largement contestées par les spécialistes et les cadres du système éducatif au point, pour la lecture, d'aboutir à un texte rappelant les programmes antérieurs.

 

Selon l'AFP, le discours ministériel est vivement critiqué par les syndicats enseignants. "Ce qui nous étonne toujours, c'est que le ministre détient la vérité, ce qu'il dit mérite un débat contradictoire" estime Philippe Niemec, du SE-Unsa. "Travailler les quatre opérations le même jour, c'est impossible, illusoire et dangereux, c'est un peu comme si on apprenait dans la même séquence de l'anglais, de l'allemand et de l'espagnol" affirme Gilles Moindrot, secrétaire général du Snuipp.

 

Mais il est surtout sous les feux des mathématiciens. Ainsi Guy Brousseau, professeur honoraire des Universités, Médaille Félix Klein 2003 de l'ICMI (International Commission on Mathematic Instruction), président d'honneur de l'ARDM (Association pour la Recherche en Didactique des Mathématiques) analyse point par point le texte de la commission. Il s'attarde plus longuement sur le 4ème point, celui qui prévoit le retour des 4 opérations dès la maternelle.

 

"Il est le plus discutable. Il peut recevoir des interprétations très diverses. Certaines sont très acceptables et décrivent ce que font la majorité des enseignants aujourd'hui, d'autres complètement extrêmes sont tout à fait dangereuses. Le public prendra ce texte au pied de la lettre et s'attendra à voir les enfants poser et « calculer » mentalement des divisions, dès l'école maternelle. Ce qui ne peut qu'accroître les malentendus avec les professeurs qui connaissent leur métier. Et conduire les autres à effectuer des dressages dont nous connaissons bien les méfaits… La lecture de ce texte ne me convainc pas que les mesures qu'il préconise soient une réponse adéquate aux difficultés rencontrées aujourd'hui dans l'enseignement des mathématiques, ni même que leur action aura les effets qui sont espérés".

 

"La déclaration fondatrice sur laquelle s'ouvre l'avis donne un exemple des raisonnements et des évidences sur lesquels il s'appuie parfois. Elle est formée d'une prémisse explicite composée de deux déclarations : « à l'issue du collège et du Lycée, chez filles et garçons, de nombreuses observations convergentes indiquent une insuffisante maîtrise du calcul » et « les fondements du calcul se mettent indiscutablement en place à l'école primaire ». La conclusion qui en est tirée est implicite, ce qui la fait tenir d'autant plus pour évidente : c'est la mise en place du calcul à l'école primaire qu'il faut réformer. Peut-être serait-ce utile, mais sûrement pas à cause de cette inférence curieuse. En fait les connaissances à la sortie des études dépendent moins de leur toute première initiation que de l'usage qui en est fait tout au long des études, et de celui qui en sera fait après. Les influences s'exercent aussi bien en amont qu'en aval. Il faut regarder l'usage réel qui est fait du calcul humain, mental ou « à la plume », dans notre société, de ce qu'en voient les enfants, de l'opinion qu'en ont les professeurs des différents niveaux, de l'attention qu'ils peuvent y porter etc… L'idée que l'on pourrait enfermer définitivement un apprentissage de bases dans un socle sur lequel on pourrait ensuite développer des activités intelligentes sans jamais revenir sur ces prérequis est un fantasme récurrent de la didactique spontanée… Associé à l'usage incontrôlé d'une évaluation, il est un des obstacles majeurs, toujours renaissant aux progrès que proposent la didactique et l'épistémologie".

 

Guy Brousseau conclut : "Il y a plus de vingt cinq siècles les mathématiques comme nous les entendons sont nées de la rupture avec la très ancienne tradition de l'ésotérisme qui permettait à des experts de conseiller les tyrans sans avoir d'autres comptes à rendre que leurs résultats. La démocratie, naissante elle aussi, avait heureusement d'autres exigences. Nous pourrions nous en inspirer aujourd'hui en matière de connaissances sur l'enseignement des mathématiques". Pour en savoir plus , lisez notre dossier dans la page "La Recherche".

Par fjarraud , le .

Partenaires

Nos annonces