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Enseigner dans le 93 : "Accepterait-on cela à Paris ?" 



"La situation de la Seine Saint-Denis (93) est extraordinaire", explique Isabelle Guigon, secrétaire départementale du Se-Unsa 93, le 8 novembre. "La situation sociale ici est hors norme", confie Nicolas Monteil, un enseignant contractuel de Saint-Denis. Les syndicats de la Fsu ont déposé un préavis de grève pour le 20 novembre quand l'Unsa 93 réclame "un choc indemnitaire"  pour les personnels des Rep du département. À écouter tous ces professionnels de l'éducation nationale, le système éducatif en Seine Saint Denis est près de l'écroulement humain et moral. Quels remèdes y apporter ?


Isabelle Guigon, secrétaire départementale du Se Unsa 93, dénonce "la cécité nationale " sur le cas particulier de la Seine-Saint-Denis. Le 8 novembre, tous les syndicats Unsa du département ont marqué le coup en tenant conférence commune et en dressant un tableau alarmiste de la situation "extraordinaire" de l'École dans le 93.


"Longtemps on s'est battu pour des créations de postes", nous a dit Nathalie Steinfeld, secrétaire départementale "écoles", "là on se trouve face à quelque chose de désarmant  les postes ne sont pas pourvus". Selon le Se-Unsa il manque 450  enseignants pour le seul 1er degré dans le département soit 5% des effectifs. Le ministère estime pourtant que "la situation est en amélioration" puisque de 263 postes restés non pourvus au concours de professeur des école sen 2013 on est passé à "seulement" 53 en 2014. Entre temps le nombre d'élèves ne cesse d'augmenter. On compte 20 000 élèves en plus en 10 ans, près de 3000 à cette rentrée. Le manque d'enseignants est partiellement couvert par le recrutement de contractuels. 322 ont été recrutés depuis la rentrée. N'empêche, dans ce département où la moitié des écoles et établissements sont prioritaires, enseigner demande un sacré engagement. De fait le département reste très peu attractif. Une quarantaine d'enseignants auraient démissionné à la rentrée. Un enseignant sur trois demande à quitter le département chaque année et le turn over est important. "Dans certaines écoles, les élèves de CM2 sont les plus anciens dans l'école", affirme Nathalie Steinfeld.


La situation est identique chez les administratifs et cela rejaillit sur les enseignants. Faisant largement appel à des non titulaires, les services rectoraux doivent gérer beaucoup plus de cas particuliers (contractuels, néotitulaires, demande de mutation etc.). Résultat, les services fonctionnent mal. Selon Unsa, près de 600  jeunes professeurs n'étaient pas payés fin octobre. Une partie d'entre eux ont reçu une avance de 1000 euros...de la Mgen. Une quarantaine n'auraient toujours rien reçu. "Certains ne viennent plus car ils n'ont plus de quoi faire fac s'ils fraudent les transports en commun", assure le Se Unsa. Contractuel depuis 6 ans dans le département, Nicolas Monteil confirme les nombreux erreurs et retards de paye. "Quand le remplacement est court on a peu de chances d'être payé à la fin du mois. Les feuilles de paye sont souvent fausses", dit-il.


Le ministère n'est pas resté insensible à ces difficultés. Dans un communiqué du 8 novembre, il annonce 6 demi journées de formation pour les contractuels et la mise en place de tuteurs. Une troisième circonscription d'IEN est crée pour mieux encadrer les enseignants.


Pour l'UNSA l'effort est insuffisant. La fédération demande "un choc indemnitaire exemplaire" arguant du fait que la situation du département est exceptionnelle. Le Se Unsa demande une prime de 500 euros par mois pour els personnels des Rep et Rep+. Il souhaite aussi voir s'additionner une série de mesures pour les enseignants : cumul de droits à la retraite permettant de quitter le département au bout de 15 ans, des effectifs réduits d'élèves par classe, des heures dédoublées.


Professeur contractuel, Nicolas Monteil a été choqué par ce qui a pu être dit sur les contractuels "profs amateurs" dans certains médias. "J'ai un master 2 et j'enseigne depuis 6 ans", explique-t-il. "J'ai fait mes preuves". Pour faire face à la crise du recrutement Nicolas Monteil propose une mesure tellement simple que même le ministère n'y a pas pensé : titulariser les contractuels ayant au moins 5 ans d'ancienneté après une inspection spéciale. Remplaçant dans un collège Rep+ de Saint-Denis, il apprécie son établissement. "Je vois des collègues qui se démènent", dit-il. "Avec la pondération accordée aux Rep+ on bénéficie d'une heure et demi par semaine pour se voir en équipe et c'est très appréciable", dit-il. Son collège participe à un programme d'analyse de pratiques mené par Luc Ria. "Ca fait vraiment bouger les pratiques " estime-t-il. "Pour moi c'est une vraie formation". Dans ce département abandonné par Paris, les professeurs aussi sont hors norme.


François Jarraud





Les enseignants du 93 se font entendre à Paris

"Pour faire venir des profs en Seine Saint-Denis il faut des ambitions et du pognon !" Au lendemain du plan spécial de recrutement d'enseignants annoncé par la ministre de l'éducation nationale en faveur de la Seine Saint-Denis, 600 à 700 enseignants du département ont défilé dans Paris le 20 novembre pour demander des moyens pour un département particulièrement en crise. La moitié des écoles étaient en grève dans le département à l'appel de la Fsu, de la Cgt et de Sud. Le mouvement a touché aussi nombre d'établissements secondaires sans qu'on puise avancer un chiffre.


"La ministre travaille effectivement à reconstituer le vivier d'enseignants", reconnait Rachel Schneider, secrétaire générale du Snuipp 93. "Mais pour remettre à flot le 93 il faudrait 975 postes tout de suite dans le premier degré", nous a-t-elle dit.  Ce calcul revient simplement à appliquer dans le 93 la moyenne nationale d'élèves par classe, de rétablir les 190 Rased supprimés depuis 2008 et un volant de 150 remplaçants. Pour R Schneider, l'effort ministériel est réel, avec l'annonce d'un concours spécial doté de 500 postes et un plan de prérecrutement en M1, mais pas à la hauteur d'une situation très dégradée. Elle demande "un vrai prérecrutement à partir de L1 ou L2 permettant aux jeunes des familles populaires du département de faire des études supérieures et de devenir enseignant. Pour attirer des enseignants, il faut selon elle améliorer les salaires, jouer sur des avantages comme des trimestres de retraite ou d'autres bonifications, aider les enseignants au niveau du logement.


Martine Clodoré, professeure de SVT au collège J Jaurès de Montreuil, estime aussi que la question salariale se pose. "Pourquoi n'arrive-t-on pas à recruter pour un métier si intéressant", demande-t-elle. "On est payé un minimum et les gens se retrouvent dans des situations difficiles et sans perspectives de carrière". Dominique et Catherine sont des professeures des écoles en fin de carrière à Saint-Denis. Elles défilent "par solidarité avec les collègues" mais aussi pour obtenir des moyens. "La situation se dégrade depuis 5 ans", nous dit Dominique. "On a moins de postes et de plus en plus de vacataires. On manque de personnels spécialisés et on a dans les classes 2 ou 3 primo arrivants non francophones, des enfants relevant de la CLIS ou d'une aide spécialisée. On ne peut pas s'occuper de ces enfants". Avec sa collègue elles ont les points pour quitter le département mais décident de rester. "Il y a un dynamisme pédagogique que l'on ne trouve pas ailleurs. On fait des choses qu'on en fait pas à paris, des innovations, des projets. Les enfants sont très attachants. On a aussi des parents qui ont foi en nous", dit Dominique. "On sait pourquoi on se lève la matin", conclue Catherine.


François Jarraud





Un concours de recrutement spécial pour la Seine-Saint-Denis

La ministre de l'éducation nationale a annoncé le 19 novembre une série de mesures pour faire face aux difficultés de recrutement de professeurs des écoles en Seine-Saint-Denis. Dans quelle mesure apportent-elles des solutions réelles à un département où il manque au moins 500 postes de professeurs des écoles ? Le 20 novembre, la majorité des écoles du département sont en grève.


Un département hors norme


"Longtemps on s'est battu pour des créations de postes, là on se trouve face à quelque chose de désarmant  les postes ne sont pas pourvus", nous confiait le 9 novembre Nathalie Steinfeld, secrétaire départementale "écoles" du Se-Unsa 93. Selon ce syndicat il manque 450  enseignants pour le seul 1er degré dans le département soit 5% des effectifs. Au même moment, le ministère estimait que "la situation est en amélioration" puisque de 263 postes restés non pourvus au concours de professeur des écoles en 2013 on est passé à "seulement" 53 en 2014. Entre temps le nombre d'élèves n'a cessé d'augmenter dans le département le plus jeune de France. On compte 20 000 élèves en plus en 10 ans, près de 3000 à cette rentrée. Alors, le manque d'enseignants est partiellement couvert par le recrutement de contractuels. 322 ont été recrutés depuis la rentrée. Dernier élément du tableau : dans ce département où la moitié des écoles et établissements sont prioritaires, enseigner demande un sacré engagement et le département est très peu attractif. Une quarantaine d'enseignants auraient démissionné depuis la rentrée. Un enseignant sur trois demande à quitter le département chaque année.


Un concours exceptionnel


Le 19 novembre, N Vallaud-Belkacem a présenté 9 mesures spécifiques pour ce département. La plus importante est la création de 500 postes dans le premier degré. Le ministère va les inscrire aux concours ordinaires de 2015 à 2017. Mais  il crée aussi un concours particulier national et exceptionnel pour la Seine Saint-Denis proposant 500 postes. Le concours aura lieu les 19 et 20 mai pour les épreuves d'amissibilité et les inscriptions seront ouvertes le 3 février. Le ministère souhaite attirer par ce concours les candidats de qualité qui n'ont pas été retenus dans des académies excédentaires comme Bordeaux ou Toulouse. En cumulant les deux mesures, hausse des postes offerts au concours normal et concours exceptionnel, le ministère souhaite réussir à toucher 500 nouveaux enseignants. Le ministère proposera aussi dès la rentrée 2015 une formation en alternance aux concours de l'enseignement sur les deux années de master. Les étudiants seront rémunérés à hauteur du smic. Enfin le ministère soutiendra davantage les enseignants contractuels. Un concours spécifique sera mis en place à la rentrée 2016 "reconnaissant l'expérience des contractuels" grâce à des épreuves adaptées. En attendant le rectorat de Créteil met en place des formations spécifiques pour les contractuels à raison de 6 sessions de formation d'une demi-journée par an. Les prochaines années les contractuels seront recrutés dès juin juillet et une formation leur sera donnée avant la rentrée, promet le ministère.


Mieux affecter les titulaires ?


Pour lutter contre la fuite des zones les plus difficiles du département, le ministère s'engage vers une modification des procédures d'affectation. "Pour les professeurs des écoles stagiaires, les lieux de stage seront définis avant que les mouvements des titulaires ne s'effectuent", annonce le ministère. "Les autorités académiques veilleront à ce que les lieux de stage soient adaptés à la prise en charge d'une première classe (les classes de CP par exemple seront évitées) et que la présence d'un tuteur expérimenté soit assurée (professeur des écoles maître formateur, maître d'accueil)". Pour les titulaires, "les opérations de mouvement de titulaires devront dans le département veiller à ce que des secteurs géographiques ne se retrouvent pas « dégarnis » et de fait à ce que le recours à des contractuels ne se concentre pas dans certaines écoles. Le calendrier et les règles du mouvement devront donc être retravaillés en conséquence". Voilà qui risque de créer de nouveaux mécontents...


Les syndicats insatisfaits


C'est justement les titulaires qui sont oubliés selon le Se-Unsa. Le syndicat demande des mesures permettant de quitter le département plus facilement. Actuellement il faut parfois attendre 27 ans pour pouvoir obtenir une mutation dans un autre département.  Le Snuipp 93 partage cette analyse et demande de la reconnaissance pour les enseignants du département. Pour lui "la question de postes à créer est sous estimée". Le Snuipp 93 demande 4 100 créations de postes. Pour lui les 500 postes ne permettront pas à la fois de faire face à la croissance démographique et au besoin de maitres surnuméraires.


François Jarraud





JL Auduc : Comment résorber la pénurie d'enseignants dans les banlieues populaires de l'Ile de France ?

Comment faire face à la pénurie d'enseignants dans l'académie de Créteil et particulièrement dans la Seine Saint-Denis ? En supprimant la frontière académique suggère Jean-Louis Auduc, ancien directeur adjoint de l'IUFM de Créteil. "25 ans après la chute du mur de Berlin, il apparaît impossible de maintenir le périphérique comme un mur" pour l'école...


 Tout le monde en convient, il y a aujourd'hui une pénurie grave de professeurs des écoles dans les banlieues populaires de l'Ile de France. Cette situation doit être fortement combattue, car elle aggrave les inégalités entre les enfants des catégories les plus favorisées et les enfants des catégories les moins favorisées qui voient les enseignants malades non remplacés, des postes restés vacants plusieurs semaines…..


Trois pistes pourraient être mises en œuvre dans ce domaine :


          Un effort salarial consistant qui montre que la nation reconnaît le travail important fourni  par ces enseignants pour faire que la démocratisation d'accès à l'école se traduit par une démocratisation de la réussite. Je pense qu'une rémunération ( hors primes) et une progression de carrière similaire à celles des actuels agrégés pourraient avoir un réel effet incitatif.


          Une réelle formation continuée aux réalités du terrain, à la pédagogie différenciée, à la diversité des publics scolaires,….. durant les trois premières années d'exercice. L'Etat devrait passer un contrat avec ces personnels leur garantissant l'équivalent de quinze jours par an sur leur temps de service pour une véritable formation d'accompagnement à la prise de fonction.


          Une réforme des concours : Enfin, alors que les politiques ne cessent de parler du « grand Paris », il est impossible de continuer à avoir en Ile de France des concours de recrutement des professeurs des écoles séparés Paris, Créteil, Versailles qui donnent les résultats suivants en 2014:

- Académie de Créteil : 68,77% d'admis par rapport aux présents, 70 postes non pourvus, pas de liste complémentaire

- Académie de Versailles : 63,16% d'admis par rapport aux présents, tous les postes pourvus, 71 noms en liste complémentaire

- Académie de Paris : 35,97% d' d'admis par rapport aux présents, tous les postes pourvus, 77 noms en liste complémentaire.

S'il y avait eu un concours Ile de France, en prenant pour base les résultats de l'académie de Versailles, tous les postes auraient été  pourvus et il y aurait eu au minimum 200 noms sur la liste complémentaire, de quoi par exemple, résorber la pénurie actuelle en Seine Saint Denis !


Bien entendu, une telle décision d'un concours Ile de France nécessite d'être articulée avec les mesures incitatives évoquées plus haut, mais 25 ans après la chute du mur de Berlin, il apparaît impossible de maintenir le périphérique comme un mur qu'on présente à certains dans des universités parisiennes   comme permettant d'éviter les banlieues populaires grâce à un concours professeurs des écoles ne concernant que Paris ! Espérons que Paris-Métropole, préfiguration du Grand Paris pèsera dans le sens d'un concours Ile de France auprès de l'Éducation Nationale !


Jean-Louis Auduc



Sur le site du Café

Par fjarraud , le samedi 22 novembre 2014.

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