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Seconde carrière 

Par Alexandra Mazzilli de l’association Aide aux Profs




Souffrir d'enseigner, faut-il rester ou partir ?

Enseignants sensibles s'abstenir. Quand un militant de la seconde carrière des enseignants et un psychiatre de la MGEN écrivent sur les enseignants, ça donne un livre riche d'expériences, mais surtout de mauvaises expériences. Mais les bons conseils, les exercices pratiques, les fiches pratiques donnent de la valeur à un ouvrage qui n'est pas qu'une longue plainte de profs au bout du rouleau.


Depuis 2006, Rémi Boyer et son association "Aide aux profs" militent pour que les enseignants qui le souhaitent aient accès à une seconde carrière, hors de l'enseignement. Un combat relayé par le Café pédagogique depuis le début. Durant ces 7 années, R. Boyer a accompagné des milliers d'enseignants. C'est cette expérience qui fait le fond de ce livre. Il propose des dizaines de témoignages poignants classés selon les difficultés rencontrées par les enseignants. L'ouvrage donne ainsi une typologie de la souffrance enseignante où on rencontre les affectations non désirées, le harcèlement par la hiérarchie ou les collègues, les agressions, le manque de valorisation. Au coeur de ces traumatismes, l'écart bien connu entre le métier rêvé et son exercice réel.


Alors on comprend mieux que le premier chapitre invite à "éviter de se tromper dans son choix" , exercices à l'appui. Ce chapitre invite le lecteur à tourber cent fois ses neurones avant de faire le choix fatidique d'enseigner... Les derniers chapitres du livre proposent des stratégies pour limiter les dégâts , une fois le choix fatal effectué. Il invite à détecter les symptômes de burn out ou de stress mais aussi à utiliser les dispositifs de congé de l'éducation nationale et les trop rares voies de sortie.


Le problème de la souffrance enseignante est suffisamment attesté et suffisamment important pour justifier ce livre. On ne pourra qu'être touché par les très nombreux témoignages apportés par cet ouvrage. Et on trouvera dans la rubrique seconde carrière du Café pédagogique de nombreux exemples d'enseignants qui ont sauté le pas et quitté l'enseignement.


Rémi Boyer, José Mario Horenstein, Souffrir d'enseigner... Faut-il rester ou partir ?, Les éditions de la mémoire, ISBN 2 930418 98 2


Dans le Café pédagogique :

Les témoignages de la rubrique seconde carrière du Café



Rémi Boyer : "Ce livre va servir de moyen de prévention pour entrer dans le métier d’enseignant"

Alors que le ministère tente de recruter des enseignants, votre livre propose des centaines de témoignages d'enseignants en souffrance. C'est un livre pour décourager les apprentis enseignants? C'est si désespérant d'être enseignant ?


 Il n’existait pas à ce jour d’ouvrage de prévention du métier d’enseignant, celui-ci étant aussi un outil de remédiation pour chaque difficulté qu’il est possible de vivre au cours de sa carrière.


Ce métier peut devenir désespérant très rapidement en raison des nombreuses difficultés que l’on peut y rencontrer, notamment le manque de formation à l’entrée dans le métier. Une formation étalée sur deux à trois ans, comme le préconise le GRFDE dès la licence, paraît nécessaire ; les jeunes enseignants sont fréquemment affectés comme Titulaires sur Zones de Remplacement (TZR dans le 2nd degré) ou comme Titulaires Remplacement Brigade (TRB dans le 1er degré), avec des conditions de travail difficiles, souvent partagés entre 2 à 4 établissements dans la même semaine ; le harcèlement moral est devenu monnaie courante de la part de la hiérarchie, en particulier dans le 1er degré et au collège pour le 2nd degré. L’article 178 de la loi n°2002-73 du 17.01.2002 ne permet toujours pas aux harcelés de se défendre efficacement, car la première réaction de la hiérarchie est de nier la situation, en se protégeant entre pairs, en faisant bloc ; la pénibilité du métier au fil de l’âge avec 82 médecins du travail seulement pour 850 000 enseignants, le manque de valorisation au travail avec un salaire qui plafonne dès l’âge de 50-55 ans alors que la durée de carrière ne cesse de s’allonger, constituent d’autres facteurs importants de désespérance.


Nous nous sommes fixés José Mario Horenstein (ancien Psychiatre de la MGEN) et moi plusieurs objectifs précis dans cet ouvrage :

- Informer tout lecteur sur ce que signifie être enseignant aujourd’hui, en posant des questions pour l’inviter à réfléchir, afin qu’il puisse échanger entre pairs ;

- Permettre à chaque professeur qui s’estime en difficulté de s’identifier dans la typologie proposée, afin de trouver des pistes pour s’en sortir, seul ou accompagné ;

- Être un outil de prévention, pour tous les étudiants en voie d’insertion professionnelle et les salariés en reconversion qui idéalisent parfois ce métier. Rien, dans ce métier, n’est jamais acquis, car tout y est toujours remanié, remis en question ;

- Enrichir la réflexion des personnels d’encadrement et des personnels administratifs, souvent contactés par des enseignants en difficultés variées.


Peut on parler d'une souffrance enseignante ou le métier est-il très diversifié ?


Nous n’avons pas voulu parler de la « souffrance enseignante » car selon José Mario Horenstein le terme « souffrance » renvoie à un concept flou. Parlons plutôt de difficultés d’intensité variée, selon les affectations, et l’expérience professionnelle. Celles et ceux qui y sont confrontés ont une capacité inégale de résistance dans leur capacité à les affronter. Le métier d’enseignant est suffisamment diversifié pour rendre les enseignants heureux. Seulement, les débuts de carrière sont difficiles car les enseignants doivent rapidement constituer leur stock de préparation de cours et ne sont pas encore familiarisés avec la correction des paquets de copies.


Le métier est tellement diversifié qu’il est possible, après 5 à 10 ans de métier, de s’y épanouir, mais cela suppose de ne pas rester bloqué dans son affectation, alors que les professeurs des écoles sont soumis à un système d’ineat/exeat très contraignant, et que le taux de satisfaction dans les mutations ne cesse de diminuer dans le 2nd degré d’année en année.


C'est vrai qu'il y a souvent un fort écart entre le métier rêvé et le métier réel. Comment le livre aide-t-il à saisir cet écart ?


Nous avons mis l’accent dans ce livre sur la parole des enseignants, près de 200 témoignages provenant autant du 1er et du 2nd degré sélectionnés dans un panel de 2907 vécus qui nous sont parvenus sur Aide aux Profs entre le 1er janvier 2011 et le 1er juillet 2013. Les réponses que nous proposons selon la typologie des difficultés réelles observées nous permettent d’apporter à chacun les outils et les pistes nécessaires pour réduire cet écart, et mieux vivre son métier. Certains décideront de ne pas s’y aventurer après avoir lu cet ouvrage, car ce qui leur est décrit et expliqué est aux antipodes de ce qu’ils pensaient y trouver. Dans ce cas, ce guide pratique aura été salvateur, car il leur aura évité de se retrouver en burnout ou en dépression après 2 à 5 ans d’activité seulement.


Le livre aide-t-il à faire le deuil du métier rêvé ou à prévenir d'entrer dans le métier ?


Les deux ! Ce livre permet le deuil du métier rêvé car il informe précisément sur tous les aspects contraignants du métier, ceux qui peuvent rapidement affecter l’estime de soi et la confiance en soi des personnes. Le métier tel que les « hussards noirs de la République » le vivaient sous la IIIe République n’existe plus : les élèves ont changé, les rapports entre leurs parents et les enseignants se sont complexifiés, judiciarisés, et le comportement de la hiérarchie est devenu pesant, parfois harcelant. Ce livre va servir de moyen de prévention pour entrer dans le métier d’enseignant. Il n’existe pas en 2013 de dispositif de prévention du métier d’enseignant, devenu difficile psychologiquement, de par la diversité des savoir-être et des savoir-faire qu’il suppose.


Dans la préface vous remerciez l'ancienne DRH de Luc Chatel. L'ancien ministre a t-il réellement agi pour aider les enseignants à accéder à une seconde carrière ? Que peut faire un enseignant aujourd'hui pour quitter le métier ?


Josette Théophile m’avait reçu deux fois, en avril 2010 et fin janvier 2012, et avait accepté une interview en 2011 de ma part. Je garde d’elle une grande qualité d’écoute et l’envie de faire bouger les choses, mais ceux qui l’entouraient alors ne l’ont pas entendu de cette oreille, ce qui a coupé court à ce que j’étais venu proposer, et qui la séduisait. Les secondes carrières qui ont été créées n’ont pas répondu aux aspirations des enseignants, puisqu’on leur propose quand ils veulent « quitter la classe » de « changer de niveau ou de discipline » ! Soit l’Education Nationale y met de la mauvaise volonté, soit elle manque cruellement d’imagination.


Quand j’ai rencontré pour la première fois les conseillers du Ministre Vincent Peillon, le 27 août 2012, puis fin novembre 2012, il m’a bien été signifié que la priorité était donnée aux recrutements de nouveaux enseignants, et au numérique. Les secondes carrières des enseignants, pourtant inscrites dans la loi portant allongement des carrières de 2003 (article 77), n’ont pas encore intéressé le ministre.


Le dispositif de seconde carrière n’a pas bougé depuis son arrivée. Pis : il s’est dégradé. Nous le savons par les centaines d’enseignants qui nous ont contactés et qui nous exposent la situation dans leur académie. L’objectif du ministre est de recruter de nouveaux enseignants, pas de les aider à changer de métier, et c’est d’autant plus complexe que dans les 10 prochaines années, plus de 25% des enseignants dépasseront l’âge de 60 ans !


Pourtant, pour rendre le métier d’enseignant de plus en plus attractif, il faut savoir faire preuve d’audace, en fluidifiant les parcours de carrière et en les diversifiant. Actuellement, à peine 6% des enseignants auront fait un autre métier que le leur au cours d’une carrière de 43 ans, et ce sont les seuls agents de l’Etat à ne pouvoir réaliser leur mobilité professionnelle en cours d’année, car de sempiternelles « nécessités de service » leur sont invoquées. La loi du 3 août 2009 prévoit pourtant qu’un agent de l’Etat peut donner un préavis de 3 mois afin de réaliser sa mobilité. Pourquoi ce qui est possible en Belgique (les enseignants peuvent y donner un préavis de 30 jours avant de partir en disponibilité !) ne l’est-il pas en France ?


Tout comme le n°138 du bulletin de l’AFAE s’y est penché en juillet 2013, il faut aller vers une Gestion de Proximité des Richesses Humaines, à l’échelle des EPLE, en permettant aux chefs d’établissement de recruter sur profil un tiers de leurs personnels, ce qui débloquerait ainsi les mutations trop difficiles actuellement et valoriserait enfin professionnellement les enseignants les plus investis, les plus compétents, en conservant deux-tiers d’enseignants affectés par voie de mutation.


Un enseignant, actuellement, pour quitter son métier, a accès au détachement uniquement pour les fonctionnaires (3800 postes de non enseignants subsistent actuellement mais ne sont pas du tout organisés comme ils pourraient l’être) ; à la disponibilité (de plus en plus, celle pour convenances personnelles est refusée ces dernières années) ; au concours interne (mais les concours de catégorie C ou B ne sont pas adaptés à des personnels de catégorie A comme les enseignants) ; à la démission avec IDV pour un projet personnel (rarement accepté par les 30 académies) pour créer leur entreprise ou aller travailler comme salarié dans le privé.


Je pense, et Josette Théophile avait accepté mon idée avec le décret du 20 janvier 2011, qu’il est préférable pour l’Education Nationale de faciliter le cumul d’activités accessoires pour les enseignants, avec ce dispositif ingénieux qu’est l’auto-entreprise, car il permet de remotiver de nombreux enseignants dans une activité externe à leur métier. On incrimine souvent les enseignants de « ne rien connaître de la réalité économique extérieure, d’être en-dehors des réalités », alors que depuis la rentrée 2013 le Président de la République François Hollande veut développer l’entreprenariat à l’Ecole ! Qui plus est, le projet de Loi sur la déontologie des fonctionnaires du 17 juillet de la Ministre Marylise Lebranchu va mettre fin à cette soupape essentielle.


Le livre est finalement très sombre. Est ce un livre politique ? Il y a t il des raisons d'espérer ?


On peut être tenté de le croire, en lisant le titre ou les premiers articles de presse qui y font référence, en raison des témoignages poignants qui y sont présentés dans des difficultés qui y sont exposées crescendo, jusqu’aux suicides, qui demeurent un tabou.


Est-ce un livre politique ? Nous le l’avons pas souhaité, mais il est clair que la politique qui a été menée entre 2002 et 2012 se révèle dans la montée des difficultés vécues au travail par les milliers d’enseignants qui nous ont contactés entre 2006 et 2012. Le contenu des témoignages nous montre ce que pourrait être, de nouveau, le moral des enseignants sous un nouveau quinquennat de l’opposition actuelle, si elle persistait dans cette politique de GRH.


Notre guide pratique est avant tout un message d’espoir, des pistes d’autoréflexion, des exercices pratiques de prévention, des pistes de remédiation, pour s’en sortir avant que les difficultés ne deviennent trop importantes.


Il y a des raisons d’espérer car, si ce métier ne peut plus être qualifié de « plus beau du monde », il demeure un métier où il est possible d’être heureux, dès lors que l’on connaît dès le départ les moyens de désamorcer toutes les situations complexes qui peuvent affecter sa pratique professionnelle.


J’ai indiqué en fin d’introduction cette phrase qui est un message d’espérance à tous ceux qui ont envie d’exercer ce métier en sachant ce qu’ils veulent et vont y trouver : « Professeur, puisse cet ouvrage vous rendre ce service de continuer à apprécier votre métier d’enseignant dans toutes ses dimensions, en trouvant en vous les ressorts de la motivation pour vous extraire des différentes situations de difficulté que vous pouvez être conduits à rencontrer tout au long de votre carrière ».


Propos recueillis par François Jarraud



Seconde carrière : Nans Loigne, ancien prof d'arts plastiques et JRI pour une collectivité territoriale

Nans Loigne, jeune varois de 30 ans, a enseigné plusieurs années dans des collèges et lycées privés suite à un master 2 en histoire de l’art et arts plastiques. Autodidacte, il a renoncé à sa vocation première pour monter son auto-entreprise en communication multimédia. Actuellement, il est « contractuel par besoin » pour la Mairie de la Seyne-sur-Mer en tant que journaliste reporter d’images (cameraman). Son parcours, singulier, nous montre la diversité des reconversions possibles pour tout enseignement passionné dans un domaine, puisqu’il réussit actuellement dans un secteur très technique sans en avoir la formation universitaire de base.


Quelles études avez-vous suivies et pourquoi êtes-vous devenue enseignant ?


Je suis devenu enseignant par vocation car mon père était déjà enseignant en arts plastiques. J’ai toujours été bercé par l’art et en plus, j’ai toujours eu un contact facile, un relationnel agréable et une capacité à transmettre mes savoirs ou mes idées. Malgré tout, au lycée, j’étais quand même hésitant quant à la possibilité d’une éventuelle carrière dans l’infographie. Après un Bac Option Arts Plastiques, je suis devenu étudiant en histoire de l’art. Comme cette formation était trop théorique à mon goût, je me suis alors orienté vers un master plus pratique, qui liait à la fois l’histoire de l’art et la pratique en arts plastiques. Je suivais mes modules d’enseignement mais je réalisais déjà des stages pratiques et en même temps, je participais bénévolement à la préparation au bac des élèves de mon père en leur faisant passer des bacs blancs. A côté je travaillais énormément en infographie (imagerie numérique, retouches de photos). Je me définis comme un autodidacte. Entre mon master et mon master 2, j’ai fait une préparation à l’agrégation. Je l’ai loupée de peu puis j’ai passé le CAPES et le CAFEP en parallèle, sans les réussir. En même temps je cherchais du boulot en tant qu’infographe et j’étais inscrit au rectorat et au diocèse. J’ai présenté un dossier pour passer un second master en ingénierie des médias à la Garde. J’ai été pris. Mais j’ai refusé l’entrée car en même temps on m’a proposé un poste d’enseignant à l’institution Saint-joseph La Navarre à la Crau, en plus  de ce poste, je donnais également des cours dans les filières techniques à la Cordeille et dans les filières générales à Fénelon (collèges et lycées privés sur Toulon et alentours). J’ai enseigné un an et demi avant de tester un emploi d’agent de communication pour une chaîne de camping et de restaurant, puis j’ai enseigné de nouveau deux ans et demi. J’ai quitté l’Education Nationale en mars 2013 sans avoir jamais été titularisé puisqu’après je ne voulais plus passer les concours et parce que dans l’Education Nationale, il est nécessaire de comptabiliser plusieurs années d’enseignement en tant que contractuel sans aucune interruption pour pouvoir être titularisé.


Comment se sont passées vos premières années ? Quel a été votre parcours de carrière dans l’Education Nationale ?


Les premières années ont été très dures. L’établissement Saint-Joseph La Navarre reçoit un public défavorisé, il s’est spécialisé dans l’accueil et l’éducation des adolescents en grande difficultés. J’ai eu à faire face à des situations dramatiques :  « dossiers lourds, graves problèmes familiaux, abandon, déscolarisation… Dès le début, j’ai dû réaliser un travail de très longue haleine et vraiment difficile au quotidien pour intéresser les élèves. Certains avaient des dossiers très lourds, connaissaient déjà les tribunaux ou la gendarmerie,… Cette expérience m’a fait changer. Ma réflexion a beaucoup évolué à l’époque : ce que l’Education Nationale proposait n’était pas adapté aux élèves. J’ai réadapté une partie des programmes aux élèves et j’ai développé des activités pratiques : reportages photos, numérique, jeux de rôle, etc. En plus de tout cela, je créais des opportunités avec des professionnels pour les préparer à partir tôt dans un métier et pour les aider à prendre conscience de la réalité du monde du travail. Maintenant, a posteriori, je trouve que ces années de « galère » ont été très formatrices.


Quel a été le déclic qui vous a fait quitter les élèves ?


Je n’ai pas quitté les élèves. J’ai quitté l’Education Nationale. Pour commencer, l’éducation, ce n’est pas notre rôle, c’est celui des parents ! Notre rôle, c’est de mettre les élèves dans la pédagogie. Le problème, c’est que je ne me reconnaissais plus dans l’enseignement. Nous avons peu de formation pratique concrète, intéressante et adaptée et il y a beaucoup trop d’administratif : on en oublie la pédagogie, ce qui fait l’essence même de notre métier. En poste, on essaie de compenser mais au bout d’un moment, on en a marre, ça épuise. On en oublie le rapport aux jeunes. L’Education Nationale est une grosse machine qui te fait complètement oublier le côté relationnel et le rapport humain avec les élèves. Après, je suis très content de cette expérience et je garde encore contact avec des élèves. Mais je me pose constamment cette question : concrètement est-ce que les programmes sont adaptés à ce dont les élèves en difficultés ont besoin ? La réponse ne me convient toujours pas…


Concrètement, comment se sont effectuées les démarches pour le changement (formalités administratives et pratiques, opérations financières,…) et quelles difficultés avez-vous rencontrées ?


Je suis parti, tout simplement. J’ai prévenu plusieurs fois le chef d’établissement à l’avance en lui expliquant que je gagnais trop peu. Pour pouvoir subvenir à mes besoins, j’officiais sur quatre boulots – professeur, formateur en arts appliqués pour des étudiants de la DCNES et de Véolia, animateur et agent de communication : et avec ça, je gagnais à peine le SMIC ou, dans le meilleur des mondes, à peine plus avec souvent des paiements grandement décalés (HSE). Les trajets me coûtaient énormément. Mais on m’a malheureusement fait comprendre que l’établissement ne pouvait se permettre d’assurer un complément salarial plus élevé à mon salaire de base payé par l’Education Nationale. Je suis parti car je n’ai rencontré aucune réaction convaincante de la direction. Un collègue a fait de même. J’ai fait en sorte de couper à une fin de mois. Mais le rectorat n’a pas fait ce qu’il faut dans les temps et donc je dois maintenant rembourser une somme supérieure à celle que j’ai gagné en un mois. Je n’ai eu que des ennuis avec l’Education Nationale. De plus, ils sont injoignables, te passent de service en service lorsque tu appelles le rectorat et ils sont sans concession.


En quoi consiste votre reconversion professionnelle exactement ?


Avant, j’étais dans des associations, comme bénévole dans la communication. J’ai appris sur le tas en étant dans la réalité du terrain et en côtoyant des pros. J’ai croisé ces expériences avec ce que je savais déjà. J’avais un peu d’expérience. J’ai monté une auto-entreprise de communication multimédia et j’ai monté des projets avec des collèges et des lycées, dans un premier temps. En fait, je me suis construit parallèlement à ma période d’enseignement. Je me suis aperçu que ça me plaisait et que j’en avais les capacités alors je me suis lancé. Ca n’a pas été facile tous les jours. J’ai prospecté pendant des années et j’ai reçu beaucoup de réponses négatives. Mais, en multipliant les projets, les expériences, les entretiens, je suis arrivé à un point où j’avais acquis une certaine pluridisciplinarité. Je me suis diversifié et en tant que personne seule, je suis capable de subvenir à une bonne partie d’un service de communication. Finalement, on m’a proposé un premier gros travail que j’ai rempli correctement suite à plusieurs entretiens, pour la Mairie de la Seyne-sur-Mer, puis un second. Ensuite, en tant que prestataire on m’a demandé si j’étais capable d’assumer une année entière de prestations : concrètement, j’occupe actuellement un poste de cameraman JRI (Journaliste Reporter d’Image) : je suis à la fois reporter et monteur et accessoirement, j‘en assure la diffusion sur le site de la mairie. A cela s’ajoutent des activités de webmaster. Malheureusement, je ne suis que « contractuel par besoin ». Je suis recruté jusqu’en décembre. Nous entrons dans une période électorale importante pour les municipalités donc je sais que jusqu’en mars, ça va être compliqué d’être repris car les municipalités voient leurs budgets bloqués en période électorale. Je continue avec mon auto-entreprise de répondre à des besoins de clients : activités de communication, clips musicaux,… Un peu de design également pour mettre à profit mes années d’arts plastiques (en ce moment, avec des collègues, nous sommes en train de monter une SARL dans le domaine du mobilier design).


Quelles compétences acquises dans l’enseignement vous semblent avoir été utiles et transférables dans votre nouvelle activité ?


Il y en a des tas ! A commencer par le relationnel humain de base et intergénérationnel : le relationnel avec les élèves quel que soit leur âge, le relationnel avec les parents et le relationnel avec l’équipe pédagogique. L’enseignement m’a appris l’art du contact, m’a appris à être ouvert. Par ailleurs, incontestablement, l’enseignement forme à l’administratif : autorisations, rapports,… Enfin, il nous montre la réalité de la vie : il permet de prendre connaissance des dessous des choses, du passé des familles… Enseignant, qu’on le veuille ou pas, on est obligé de mettre le pied là-dedans. On ne s’arrête pas à la façade de la personne. Il y a une véritable mise en situation de soi-même et des élèves. De plus, le fait de partager ma passion pour la vidéo, la communication, la photo, le numérique m’a ouvert des perspectives : en tant qu’enseignant, on n’a pas la même perception des choses que les élèves ou les parents. La confrontation de tous points de vue est intéressante : elle permet de se resituer dans la société, d’avancer, de se former encore et encore. On est, on reste un éternel élève. Ce sont eux qui nous font grandir.


Avez-vous eu besoin de suivre une nouvelle formation pour accompagner votre reconversion ?


Non, je n’ai pas eu envie de suivre une nouvelle formation parce que si j’avais suivi une formation pour mon boulot, ça aurait été simplement pour acquérir un titre sur mon CV. Un titre qui ne permet pas forcément de rendre compte d’une maturité dans le travail que tu n’obtiens que par l’expérience... Mais depuis de longues années, je me paie des formations online essentiellement ou des stages courts pour apprendre le maniement de logiciels ou de matériels spécifiques. Ce sont des formations très ciblées.


Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez dans cette reconversion ?


Pour moi, la principale difficulté à laquelle il faut faire face dans ma situation, un enseignant qui se reconvertit, c’est l’incrédulité : je suis dans le bénévolat depuis l’âge de quatre ans (groupe folklorique de danse et musique traditionnelles). A sept ans, on m’a confié la gestion d’un premier défilé. A partir de dix ans, je suis rentrée avec mes parents dans des associations d’événementiel… Très rapidement, j’ai acquis de l’expérience sur le terrain (budget, management,…). J’ai fait également pas mal de boulots bénévoles, ado, pour réalisés des bandes sons (feux d’artifice sonorisés par exemple) ou des activités de communication pour des écoles… Malheureusement, en France, quand tu arrives avec une expérience bénévole forte et réelle, les gens ne te croient pas car tu n’as pas le titre de la formation requise ou celui du « dircom ». On accorde plus d’importance aux titres qu’à l’expérience. Il y a un réel problème de confiance aussi : un recruteur choisira plutôt celui qui a un an d’expérience professionnelle que celui qui a dix ans d’expériences sur le terrain avec toutes les qualités d’engagement qu’il y a derrière (motivation, dynamisme,…).


Que conseilleriez-vous à un enseignant qui souhaite réaliser une mobilité professionnelle hors de l’enseignement ?


Je lui conseillerai de croire en lui. Je pense qu’une personne qui est capable d’enseigner et de transmettre un savoir est forcément capable de progresser et d’évoluer. Si la personne a le recul pour savoir ce qu’elle veut faire, elle est capable d’obtenir les compétences pour y arriver. Un bon enseignant est un éternel élève. La personne qui le sera, sera capable de voir que le monde est grand : il a des capacités et des possibilités énormes, et la capacité de se dire « j’y arriverai car j’en suis capable ». Tu ne peux réussir à faire ça que quand tu as un déclic dans ta vie. Les enseignants qui se dénigrent eux-mêmes sont des enseignants qui se sont perdus dans une utopie du système. Il faut voir ce que chacun est capable d’apporter à ses élèves en dehors des programmes. Qu’est-ce qui a le plus de valeur ? Ce que les autres t’apportent et ce que toi tu es capable d’apporter aux autres. Ca vaut tout le reste.


Connaissiez-vous Aide aux Profs et que pensez-vous de son action pour aider les enseignants à se reconvertir ?


Je ne connaissais pas Aide aux Profs jusqu’à maintenant mais je pense que ça m’aurait servi énormément. Et ca servirait beaucoup à mes collègues encore enseignants actuellement. Les enseignants en reconversion ont besoin de ce support, surtout psychologique. C’est nécessaire. Il y a un trop grand décalage entre la réalité du métier et la théorie : les enseignants qui en sortent se remettent déjà en cause sur toute leur vision de l’enseignement. Ils prennent conscience qu’on ne peut pas enseigner de manière aseptisée, comme le sous-tend l’Education Nationale. J’ai fait ce cheminement tout seul mais l’enseignement passe par ta propre personne. On a besoin dans ces moments-là de partager des expériences, de communiquer, de progresser, de trouver des solutions. C’est ce que devrait apporter l’Education Nationale mais qui contrairement, été perdu par l’institution. Se préoccuper des conditions de carrière devrait être le rôle premier d’un inspecteur. Son rôle primaire aurait dû être d’inspecter les conditions de pratique de l’enseignant et son niveau psychologique plutôt que de réaliser une inspection « évaluative et sanctionnelle ». Aide aux Profs peut donc permettre aux profs d’avoir un meilleur relationnel avec leur environnement immédiat de travail (élèves, équipe, direction). Malheureusement, dans l’Education Nationale, il y a quand même un souci de rentabilité. Si elle fonctionne comme une entreprise, c’est que quelque part elle fait le commerce de la culture, du savoir et de l’humain au profit d’intérêts qui n’ont pas leur place dans la dispense d’une pédagogie. Mais il faut savoir aussi être dans la réalité des choses et s’adapter aux besoins de chacun, ne pas tomber dans la rentabilité à l’extrême et conserver le sens de l’humain. 


Propos recueillis par Alexandra Mazzilli



Se reconvertir vers les métiers du multimédia, de l’audiovisuel, de l’informatique et du web

A l’image de Nans Loigne, notre enseignant reconverti du mois dont vous trouverez l’interview dans cette même rubrique, nombreux sont les enseignants désireux de se reconvertir dans les métiers du multimédia, de l’audiovisuel, de l’informatique et du web. En effet, avec l’explosion des nouvelles technologies dans les années 2000, ce secteur est devenu très porteur… Les enseignants, bien souvent très innovants en classe, ne s’y sont pas trompés et les compétences développées au sein de la classe peuvent tout à fait être valorisées à l’extérieur de la classe.


C’est un secteur à la fois mouvant et très porteur. Il s’agit du domaine des nouvelles technologies, des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) ou TUIC (Technologies Usuelles de l’Information et de la Communication), comme on les appelle à l’école, qui regroupent différentes sortes de métiers : métiers de la télévision et du cinéma (monteur, scénariste, réalisateur), de la musique et du son (ingénieur du son,…), métiers de l’informatique, du numérique et du web (photographe, webmaster,…). Si ces métiers semblent très techniques en apparence, il n’en reste pas moins que les enseignants testent pour la plupart pas mal de ces techniques lors de leurs projets de classe durant leurs années d’enseignement et sont en général très attirés par ces objets du numérique : les élèves eux-mêmes – y compris ceux qui sont en grosses difficultés-  accrochent mieux sur certains apprentissages lorsqu’ils sont réalisés au moyen de divers outils numériques. L’impact des TBI (Tableaux Blancs Interactifs) sur les élèves qui ont la chance d’en bénéficier en est un exemple concret : interactions, plaisir de l’écran, possibilité d’« écrire » sur le TBI à l’aide d’un stylet numérique, de varier les formes, les couleurs, possibilités de manipulations… sont tout autant de possibilités d’intéresser les élèves, de les motiver et de les faire réussir.


Actuellement, le secteur du « e-learning » se porte très bien et recherche des personnes capables de développer et de concevoir des formations en ligne. Pour exemple, nous citerons la très belle réussite de Jean-Luc Codaccioni dans ce domaine particulier, directeur général du Groupe Icadémie, après avoir mis un terme à sa carrière d’enseignant. Pour mémoire, nous avions écrit un article sur lui à l’occasion de la conférence d’Aide aux Profs organisée à Paris en novembre 2012 lors du Salon Européen de l’Education, sur le thème des enseignants entrepreneurs :

http://www.aideauxprofs.org/index.asp?affic[...].

Vous le retrouverez également en interview filmée ici :

http://www.youtube.com/watch?v=JkFNnrG-suw

et ici : http://www.youtube.com/watch?v=Qo7IsHura40 .


Les enseignants, bien souvent de manière autodidacte mais cependant experte, se forment régulièrement à l’utilisation de ces techniques et technologies de l’information et de la communication, de l’audiovisuel, du numérique ou du multimédia selon les projets de classe et d’apprentissages qu’ils mettent en place. En voici quelques exemples précis :

-           utilisation du TBI en classe (préparation de cours, de graphiques, d’illustrations, d’exercices,…  et gestion en classe) ;

-           utilisation de l’appareil photo numérique en classe et travail sur l’image en arts et en TICE (cela va du simple reportage d’activité à un véritable travail de retouche de l’image : recadrage, détournement, détourage, travail de la couleur, ou même à un travail sur la vidéo ou au moyen de la vidéo) ;

-           utilisation de ressources numériques diverses : traitements de texte, fichiers excel, tableau, internet, recherche web, logiciels spécifiques liés aux apprentissages en lecture, calcul, sécurité routière, à la recherche documentaire, … ;

-           capture du son et travail du son (projets chorale, création de CD musicaux, voire enregistrements en studio…) ;

-           communication internet : création de sites de classe, de blogs, utilisation de la Beneylu School, ENT, plateformes de « e-twinning », création de pages Wikipédia ou Vikidia pour les plus jeunes,…

Par ailleurs, de nombreux logiciels libres de droit -ou non parfois- sont utilisés en classe : Didapages, Audacity, Windows Movie Maker, Publisher, PowerPoint, Final Cut, logiciels de traitement de texte,…


Tout cela fait que les enseignants sont particulièrement amenés à développer des compétences dans tous ces domaines. Malgré tout, il reste difficile pour les enseignants de se faire recruter en détachement ou dans une entreprise privée lorsqu’ils sont mis en concurrence avec d’autres candidats qui peuvent être de véritables professionnels du numérique, du multimédia ou de l’audiovisuel. Qu’à cela ne tienne, des solutions peuvent exister : se présenter à l’entretien de recrutement avec des exemples concrets de réalisation (book, CD, vidéos…) et éventuellement un PowerPoint qui mettent en avant l’expérience acquise au cours de la réalisation des divers projets, photos à l’appui. Autre possibilité : anticiper sa reconversion et profiter de ses dernières années d’enseignement pour réaliser des stages et des formations, y compris des formations « online », sur des thèmes ciblés, afin d’acquérir certaines techniques particulières et de valoriser à la fois son CV et ses expériences professionnalisantes. Enfin, il est nécessaire de « sortir de l’école » en proposant et réalisant divers projets extérieurs, pour des associations par exemple ou  pour des structures institutionnelles, en tant qu’auto-entrepreneur par exemple. Bien sûr, comme dans de nombreux autres domaines, il ne faut pas négliger l’aspect relationnel et l’aspect « réseau » de ce type de pratiques… Le bouche à oreille reste primordial car il amènera de nouvelles demandes et un projet réussi pour un « client » aura autant de valeur, sinon plus, qu’un titre sur un CV.


Ainsi, même si elle s’avère complexe, une reconversion des enseignants dans les secteurs numériques, multimédias et/ou audiovisuels reste toujours envisageable, dès lors que des projets de classe numériques ont été menés à bien et que l’enseignant qui la souhaite se donne les moyens de s’auto-former et de se démener en dehors de l’école pour étoffer son expérience.


A. Mazzilli



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Par fjarraud , le jeudi 17 octobre 2013.

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