Lycée : Une réforme qui n'épargne pas les déceptions 

Par François Jarraud




"La réforme est un art d'application" rappelle C. Thélot sur son blog. La publication des décrets a mis en branle la préparation concrète de la réforme dans les établissements. Les premières réunions, les décisions, la publication des nouveaux programmes confirment l'appréciation de C. Thélot : en passant du papier au monde réel, quels désenchantements !



La réforme mise en textes

 

Le B.O. spécial du 4 février 2010 publie les textes réglementaires de la réforme du lycée. A coté de la reprise des décrets et arrêtés publiés au Journal Officiel du 28 janvier, ce B.O. publie six circulaires d'application concernant l'accompagnement personnalisé, le tutorat, l'apprentissage des langues, les stages de relise à niveau, l'accès des lycéens à la culture et les Maisons des lycéens. Il nous donne donc une visibilité plus complète sur la mise en place de la réforme.


Principale nouveauté de la réforme, l'accompagnement personnalisé doté de 2 heures hebdomadaires, "est conduit de manière privilégiée dans le cadre de groupes à effectifs réduits". C'est " l'équipe pédagogique (qui) élabore le projet d'accompagnement personnalisé" avant de le transmettre au conseil pédagogique et au conseil des délégués pour la vie lycéenne puis au C.A. . " Sous l'autorité du chef d'établissement, l'équipe pédagogique met en œuvre les choix retenus par le conseil d'administration, et le professeur principal en assure la coordination". Tous les professeurs peuvent y participer.


Sa forme est complexe. Il comprend "des activités coordonnées de soutien, d'approfondissement, d'aide méthodologique et d'aide à l'orientation" mais "il prend notamment la forme de travaux interdisciplinaires". Concrètement il restera aux équipes à définir des projets associant orientation et TPE et usage des TICE puisque celui-ci est recommandé. Le B.O. énumère ce qui peut être fait : travail sur les compétences de base, parcours d'orientation et bien sur travaux interdisciplinaires. "Il peut, par exemple, prendre la forme d'un suivi plus particulier d'un ou de quelques élèves, via l'usage des technologies de l'information et de la communication" nous dit le B.O. ce qui pourrait amorcer une reconnaissance officielle de nouvelles activités pour les enseignants.


Le tutorat concerne les enseignants et CPE volontaires qui seront rémunérés par indemnités (montant encore inconnu). Pour sa mise en œuvre, le ministère promet des actions de formation avant la fin de l'année scolaire.


La circulaire sur les langues vivantes définit les groupes de compétences et invite à les organiser indépendamment des classes. " L'apprentissage de la communication en langue étrangère passe par l'acquisition de compétences dans cinq activités langagières : la compréhension de l'oral, la compréhension de l'écrit, l'expression orale en continu, l'expression écrite, l'interaction orale. Le travail en groupes de compétences est centré sur une activité langagière dominante que l'on souhaite renforcer chez les élèves tout en prenant appui sur une autre activité langagière dans laquelle les élèves ont plus de facilités. La constitution des groupes est modifiable au cours de l'année et est indépendante de la série, du statut de la langue choisie (LV1, LV2, voire LV3 pour certaines langues) et de l'organisation par classes. La démarche de projet est adaptée à ce mode d'organisation". Les établissements pourront organiser des "périodes intensives d'enseignement". Par ailleurs le texte invite les lycées à nouer des partenariats avec des établissements étrangers, comme des "jumelages numériques", et à encourager les enseignements en langue étrangère d'autres disciplines, même hors section européenne. Il mise sur la baladodiffusion pour améliorer les compétences des élèves. " La familiarité des lycéens avec les baladeurs numériques (audio ou vidéo) ou autres outils nomades (ordinateurs ou téléphones portables), la grande disponibilité de ces appareils et leur simplicité d'utilisation permettent d'envisager une généralisation rapide de leur usage". Enfin le texte fait référence à des intervenants extérieurs : assistants de langue, assistants d'éducation.


Les stages passerelles et de mise à niveau font partie des nouveautés de la réforme. On en attend une diminution des redoublements. Ils restent soumis au C.P. et au C.A. Ils font appel à des enseignants volontaires ou à des assistants d'éducation. " L'élève qui souhaite changer de série ou de voie construit avec l'aide du professeur principal, du conseiller d'orientation-psychologue et de son tuteur son projet de changement d'orientation. Après avis du conseil de classe ce changement d'orientation est prononcé par le chef d'établissement qui, le cas échéant, au vu des besoins spécifiques de l'élève, peut proposer à celui-ci de suivre un stage passerelle. Le contenu, la durée et les modalités d'organisation du stage sont communiqués à la famille ou à l'élève majeur qui fait connaître son accord dont il est fait expressément mention dans la fiche-navette d'orientation. Le lycéen peut être amené à réaliser tout ou partie du stage dans un autre établissement que le sien, en accord avec les chefs des établissements concernés".


Deux circulaires concernent directement la vie lycéenne. Celle sur l'accès de tous à la culture invite les lycées à signer un partenariat avec au moins une structure artistique ou culturelle. Un professeur référent culture est mis en place mais sans qu'on sache précisément comment la fonction sera reconnue. L'autre texte concerne la Maison des lycéens, une association " qui rassemble les élèves souhaitant s'engager dans des actions citoyennes et prendre des responsabilités au sein de l'établissement dans les domaines culturel, artistique, sportif et humanitaire".

Le B.O. spécial

http://www.education.gouv.fr/pid23791/special-n-1-du-4[...]

L'Expresso du 29 janvier

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/01/[...]



Editorial : Le lycée pour les lycéens ?

 

Après des années de rappels ministériels constants à un enseignement traditionnel, de retour aux fondamentaux, de glorification de l'autoritarisme, la publication des circulaires d'application de la réforme des lycées apporte une véritable bouffée d'oxygène. Est-elle durable ?


Les circulaires publiées le 4 février mettent toutes le lycéen au centre du lycée. Il y est question de son accès à la culture, de l'accompagnement personnalisé, du tutorat, et même d'une Maison des lycéens à instituer dans les établissements. Tous ces dispositifs sont imaginés pour apporter du sens aux enseignements, motiver les jeunes et les aider individuellement à progresser. Voilà donc des mesures qu'on ne peut que soutenir.


Pour autant la lecture de ces textes met aussi mal à l'aise. En effet certains dispositifs peuvent aussi bien se retourner contre les lycéens. C'est le cas par exemple des stages passerelles. S'il est évidemment bon qu'un jeune puisse changer de filière en cours de cycle, ces stages peuvent aussi bien augmenter la sélection dans certaines filières. Il risque de rendre plus facile une réorientation et donc une sélection accrue dans certains cas. Un autre exemple est fourni par l'appel à des assistants aussi bien pour l'enseignement des langues que pour les stages. Il peut sembler positif que les enseignants soient aidés dans la prise en charge des élèves par des assistants, par exemple pour encadrer un groupe d'élèves un peu nombreux en langues. Mais l'exemple des assistants d'éducation anglais a montré que leur utilisation avait des retombées tout à fait perverse : l'habitude de confier à des assistants de petits groupes d'élèves faibles pour qu'ils soient mieux pris en charge a abouti en fait à ce que leur niveau baisse.


Enfin il y a cette atmosphère de bricolage que l'on sent dans plusieurs circulaires. Ainsi les stages de remise à niveau sont prévus durant les vacances mais rien n'est dit sur le fonctionnement d'un établissement durant les congés. Il a un coût qui sera payé par les collectivités locales si elles le veulent bien. L'énumération des projets qu'on peut mener en faveur des langues fait appel à des partenaires extérieurs à l'éducation nationale. La politique culturelle se résume elle aussi à l'appel à des organismes extérieurs et au bénévolat enseignant.


Si réformer est un art d'exécution, on notera que finalement peu de moyens concrets sont mis en sa faveur. Demain comme hier l'application de la réforme dépendra de la bonne volonté enseignante. A-t-on tout fait pour la mobiliser ?



Les programmes du lycée proposés en consultation

 

La publication des nouveaux programmes de seconde soulève de nouvelles difficultés. A coté de programmes réellement innovants dans certains enseignements d'exploration, le ton général reste l'empilement des connaissances dans des horaires réduits. Une incohérence qui risque de déstabiliser la réforme.


Les nouveaux programmes du lycée ressemblent, par l'empilement des connaissances, à leurs prédécesseurs. Ils contrastent avec des enseignements d'exploration beaucoup plus ouverts sur les compétences et le projet.


S'il est une caractéristique du système éducatif français c'est l'existence de programmes nationaux, leur définition contraignante et la volonté encyclopédique qui les anime. Fruits d'une éducation nationale, les programmes scolaires s'imposent à tous les établissements du nord au sud du pays en termes officiellement identiques. En l'absence de toute grille solide de compétences, ils s'imposent comme le guide de ce qui sera réellement délivré dans la classe. Officiellement ils laissent à l'enseignant la liberté de les traiter. Mais, de fait, leur masse influe sur la démarche pédagogique et cet effet est accentué par des indications horaires. Du nord au sud du pays, chaque enseignant a un nombre d'heures défini pour aborder un thème précis qui n'est toujours légitime que par rapport à l'histoire d'une discipline scolaire.


La réforme du lycée n'a pas rompu avec l'empilement des connaissances. Plutôt qu'aborder un nombre défini de situations problèmes qui seraient étudiées de façon approfondie, les programmes additionnent des savoirs de façon à couvrir la totalité des savoirs d'une discipline scolaire et satisfaire ce faisant toutes les catégories de spécialistes. Bien loin de rompre avec cet esprit, les nouveaux programmes de lycée renforcent cette tendance. Ainsi les programmes d'histoire de seconde étaient conçus par rapport à une citoyenneté européenne en construction et consistaient en une série d'éclairages précis sans continuité chronologique : la citoyenneté athénienne, la naissance du christianisme, la Renaissance, la Révolution et ses suites. Les nouveaux programmes ressemblent fâcheusement à un résumé des années collège. On passe d'Athènes à Rome, de la chrétienté médiévale à l'époque moderne, de celle-ci à la Révolution et au début du XIXème. On a ainsi "refait" le programme du collège, comme si les élèves n'y avaient pas appris grand-chose et qu'il fallait tout recommencer. Et ce voyage de près de 2500 ans est à faire en 49 heures (devoirs inclus) à travers des thèmes encyclopédiques. Difficile d'échapper au cours magistral. Qu'on ne pense pas que la géographie rattrape cette évolution. Le programme de géographie invite, par exemple, à traiter en 3 heures des thèmes aussi "faciles" que "nourrir les hommes"…


Quelle cohérence avec les enseignements d'exploration ? Les enseignements d'exploration s'inscrivent exactement à l'opposé des enseignements du tronc commun. Ainsi pour "littérature et société" il est question de co-disciplinarité. Le cours magistral est précisément écarté. Les élèves doivent être "mis en activité" et le programme décrit des compétences à développer. On parle de "domaine d'exploration" et de "situation de travail". L'élève va donc se trouver dans un lycée qui pratique une pédagogie singulièrement incohérente.


Les nouveaux programmes sont restés fidèles à la tradition magistrale et encyclopédique pour tous les enseignements à coefficient important. S'il est à la mode aujourd'hui de critiquer certaines difficultés liées aux méthodes actives, il faut quand même rappeler que l'enseignement magistral pénalise beaucoup d'élèves et singulièrement les élèves de milieu défavorisé. Il augmente l'ennui, le sentiment de ne pas pouvoir y arriver et la tentation du décrochage. En mettant les élèves en situation passive, les nouveaux programmes ne les rendent pas "acteurs de leur éducation" comme le proclame la brochure ministérielle. Ils ne les préparent pas aux compétences qui leur seront nécessaires dans l'enseignement supérieur. A la tête bien faite que sa tradition culturelle devrait l'inviter à privilégier, le système éducatif français a préféré la tête bien pleine.



Les textes

EduScol, le site de la Direction de l'enseignement scolaire, vient de mettre en ligne les projets de programme de seconde prévus pour la rentrée 2010. Sont proposés les programmes d'Histoire-géo, de langues, physique-chimie, S.V.T. et E.P.S. Le site diffuse également les programmes des enseignements d'exploration : S.E.S., Principes fondamentaux de l'économie et de la gestion, Littérature et société etc., au total 13 enseignements différents. Les enseignements facultatifs voient également leurs programmes publiés. Le programme de maths de seconde, qui a changé en 2009, est maintenu à la rentrée 2010. En français, le programme actuel de seconde est maintenu à la rentrée 2010. Un nouveau programme sera disponible en 2011. A cette date paraîtra également un nouveau programme d'ECJS.


Au pas de course. Tous ont été rédigés dans l'urgence, en associant, si l'on en croit l'exemple des S.E.S., association professionnelle, experts et inspection générale. La consultation, elle aussi, se fait sur un délai court. Vous avez jusqu'au 12 mars pour donner votre avis. C'est la course aussi chez les éditeurs qui doivent produire en 6 mois des ouvrages totalement nouveaux dans pas moins de 18 disciplines.

Les nouveaux programmes

http://www.eduscol.education.fr/cid49936/consultation[...]



Sur le terrain : oppositions, "dysfonctionnements" ou déceptions ?

 

La réforme du lycée a fait éclater l'éventail syndical en deux. Alors que 6 syndicats s'opposent aux principes mêmes de la réforme et tentent sans grand succès de lancer un mouvement d'opposition, les partisans de la réforme se heurtent aux conditions d'application. Pas facile d'affronter le concret…


Le Sgen signale des "dysfonctionnements"

Dans une lettre adressée le 12 février au ministre, le Sgen Cfdt se plaint de "dysfonctionnements" dans plusieurs académies. "Les établissements ne sont pas associés au choix des enseignements d'exploration… Les dotations attribuées aux établissements sont inférieures au volume prévu par les textes, notamment pour les divisions de baccalauréats professionnels". Les enseignements d'économie, l'accompagnement personnalisé posent aussi la question des moyens. " Parce que notre fédération s'est engagée et a pesé pour améliorer les textes réglementaires, elle n'admettra pas que ceux-ci soient détournés ou ignorés, tant au niveau des académies que des établissements, fût-ce en raison de la politique budgétaire" souligne le Sgen.Le syndicat pose aussi la question des programmes. " les programmes, qu'ils aient été revus ou non, sont bien trop lourds comme en français, en histoire-géographie ou en SVT, et ne tiennent pas compte des diminutions d’horaires. Tels quels, ils risquent donc de rendre impossible la mise en place de nouvelles approches pédagogiques et demeurent déconnectés des réalités du terrain".

http://www.cfdt.fr/content/medias/media23667_yfhWjFRgLRaWVLI.pdf


Les sociétés savantes renouvellent leur opposition à la réforme des lycées

Elles sont presque toutes là : APHG, APBG, APMEP, AFEF, IREM, UdPPC, IREM etc. Au total une trentaine d'associations qui s'opposent à la réforme. "Les sociétés et associations insistent sur leur attachement à l’équité géographique de l’offre de formation. Elles désapprouvent la disparition d’enseignements disciplinaires précis contre un volume horaire sans cadrage. Elles dénoncent un déséquilibre accru entre filières et l’irréversibilité de l’orientation. Elles regrettent l’incohérence de la formation scientifique pour les scientifiques et l’incohérence de la formation en langues pour les linguistes".

http://www.apmep.asso.fr/


Ile-de-France : Le mouvement piétine

Mille à cinq mille enseignants ont manifesté le 18 février à Paris à l'appel de 6 syndicats du secondaire (Snes, Snep, Sncl, Sud, FO, Cgt, Snalc), soit à peine plus que la manifestation du 16 février. On compterait, de source syndicale, une centaine d'établissements fermés. Autant que le 16. L'intersyndicale entend relancer le mouvement d'opposition après les vacances. Les 6 syndicats appellent à la grève le 12 mars. " L’Intersyndicale, avec une détermination toujours plus forte, réaffirme son opposition entière à la réforme des lycées, à la réforme de la voie professionnelle qui aggravent encore les conditions d’enseignement, et à celle du statut régissant les établissements (EPLE), à la politique budgétaire qui dégrade toujours plus les conditions de travail et d’étude et réduit l’offre de formation". Mais dès le 10 mars, la Cgt appellera à la grève dans le primaire et secondaire.

http://www.snes.edu/Appel-a-la-greve-le-12-mars.html



Sur le site du Café
Par fjarraud , le lundi 15 février 2010.

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