RUBRIQUE SECONDE CARRIERE N°110 

Par Rémi Boyer de l’association Aide aux Profs



Ce mois-ci, le témoignage d’Amaury Flèges montre qu’il faut avoir confiance en l’administration lorsqu’elle propose une forme de reconversion sur un poste administratif en catégorie B ou C. En effet, il s’agit simplement dans un premier temps de tester la capacité de la personne à s’adapter à un nouvel environnement de travail, avant de lui proposer, comme cela a été le cas ici, d’autres responsabilités.

L’interview d’Amaury Flèges prouve aussi qu’une seconde carrière n’est pas un poste définitif, comme pourrait l’être une mutation sur un poste fixe, mais au contraire une succession de « fonctions tremplins » à responsabilités, permettant d’accroître ses compétences et de les optimiser.


AMAURY FLEGES, de l’enseignement à une carrière dans l’administration de l’Education nationale

Quel a été votre parcours professionnel jusqu’ici ?


« Après des études de Lettres à l’ENS Ulm, j’ai été reçu à l’agrégation de lettres classiques en 1988. J’ai alors passé un DEA et exercé une année dans un college aux États-Unis. En 1992, j’ai obtenu un poste d’allocataire moniteur normalien à l’université de Tours. Détaché en 1994-95 auprès du ministère des Affaires étrangères comme attaché linguistique à l’université de Pise, j’ai dû revenir en France pour des raisons familiales et ai été affecté dans un collège en Seine Saint-Denis, à Aulnay-sous-Bois. J’ai alors enchaîne entre 1995 et 2005 plusieurs postes dans des établissements classés ZEP, avec une année intermédiaire à l’université de Dijon, car j’ai poursuivi dans l’intervalle une thèse de lettres modernes sur « les recueils collectifs de poésie funéraire à la Renaissance », soutenue en 2000 au Centre d’études supérieures de la Renaissance de l’université de Tours.


Comme je souhaitais prendre de la distance par rapport à l’enseignement, je ne me suis pas porté candidat à un poste de Maître de conférences,  Après avoir continué d’exercer quelque temps en collège en m’interrogeant sur les reconversions possibles (on commençait à parler alors de « seconde carrière »), j’ai sollicité un entretien auprès du DRH de l’académie de Créteil, Louis Masliah, à qui je suis encore aujourd’hui reconnaissant de m’avoir donné ma chance. Je lui ai indiqué que je ne souhaitais plus enseigner et que j’étais prêt à repartir du bas de l’échelle pour m’engager dans une seconde carrière.


A la rentrée 2004, j’ai été affecté à la Division des affaires sociales du rectorat, sur des fonctions correspondant à un emploi de catégorie C. J’ai néanmoins conservé mon statut de professeur avec l’indice correspondant.

Mes collègues du service chômage m’ont accueilli avec beaucoup de gentillesse et m’ont accompagné dans la découverte des procédures administratives. J’ai beaucoup appris cette année-là, professionnellement et humainement J’ai eu l’occasion de démontrer que je n’avais pas de problèmes relationnels ni psychologiques et que j’étais non seulement employable mais désireux de m’intégrer à mon nouvel environnement professionnel. Cela n’a sans doute pas été étranger à la proposition qui m’a été faite en octobre 2005 de rejoindre le service communication du rectorat, dont j’ai pris la direction un mois plus tard, au moment des incidents dans les banlieues.


Je ne connaissais rien alors à la communication. J’ai dû m’adapter très vite à l’exercice d’un nouveau métier et au rythme assez particulier du travail en cabinet. J’ai occupé cet emploi jusqu’en septembre 2007, avant de rejoindre le recteur Bernard Saint-Girons à la Direction générale de l’enseignement supérieur. Je l’ai suivi en septembre 2008 quand il a été nommé Délégué interministériel à l’orientation. »



Lorsque vous travailliez à la Division des affaires sociales, quelles étaient vos responsabilités ?


« J’instruisais des dossiers de demande d’allocation de retour à l’emploi pour les personnels en fin de contrat. Il s’agissait de recevoir les intéressés, de réceptionner les pièces de leur dossier, de calculer l’indemnisation à laquelle ils pouvaient prétendre et d’assurer le suivi administratif de leur dossier (réception des attestations Assedic, mises en paiement, transmission à la Trésorerie Générale, envoi de courriers, etc.). Cet emploi m’a permis de découvrir le fonctionnement d’une administration et, de façon plus générale, celui des services académiques.»



Quelles ont été vos missions lorsque vous étiez responsable du service de la communication du Rectorat de Créteil ?


« Les fonctions de responsable de communication d’un rectorat comprennent deux volets : la communication externe et la communication interne. La première consiste à gérer les relations avec les medias, qui représentent une charge de travail importante dans une académie comme Créteil, souvent placée au premier plan de l’actualité (avec les dossiers de l’égalité des chances, de l’éducation prioritaire, de la violence scolaire, etc.) et située à proximité de Paris – ce qui permet aux journalistes des grands medias nationaux d’être très vite sur place. J’ai beaucoup apprécié la relation avec la presse quotidienne régionale, qui repose sur une forme de partenariat : le journaliste a besoin d’accéder à l’information ; l’institution, de communiquer sur son action. C’est une relation exigeante et complexe, fondée sur la confiance et le respect mutuel (l’indépendance du journaliste et le devoir de réserve du fonctionnaire), qui requiert un certain sens politique. J’ai beaucoup appris au cours de ces deux années au « service com », où j’avais également en charge la communication interne : revue de presse quotidienne, newsletter, gestion du site académique, suivi des déplacements du recteur, reportages, etc. Le responsable de communication est en relation avec l’ensemble des services et les chefs d’établissement, qui souhaitent porter leur action à la connaissance du public et de leurs collègues. Il joue en permanence un rôle d’interface entre les différents acteurs et partenaires de l’académie. Sa position au sein du cabinet du recteur lui permet d’avoir connaissance de la plupart des sujets relatifs aux politiques éducatives et au fonctionnement des services. Au plan personnel enfin, la rencontre avec Bernard Saint-Girons a été décisive. Je lui dois d’avoir réussi, au moins partiellement, ma reconversion. Je lui dois aussi la découverte, à travers les missions qu’il m’a confiées, des problématiques de l’enseignement supérieur et de l’orientation tout au long de la vie.


A la DGES, quelles sont vos attributions ?


« Mes fonctions de chargé de mission consistaient pour l’essentiel à assurer l’interface entre le cabinet de la ministre et les services, à gérer, en relation avec son secrétariat, les rendez-vous et les déplacement du directeur et à suivre de plus près certains dossiers. Cela m‘a permis de me familiariser avec le monde de l’enseignement supérieur à un moment clef, celui de la mise en œuvre de la loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités. La DGES constitue à cet égard un merveilleux observatoire.»


Actuellement, que faites-vous auprès du DIO, Bernard Saint-Girons ?


« Je suis différents dossiers relatifs à l’orientation scolaire et professionnelle et à l’insertion des jeunes. J’ai eu l’occasion de travailler en particulier sur la prévention du décrochage scolaire, le renforcement de l’orientation active et l’évolution des formations supérieures professionnelles courtes, notamment les BTS.  Là encore, j’apprends beaucoup, sur les différents sujets auxquels travaille la délégation comme sur la mise en œuvre des politiques interministérielles. »


Puisque l’administration est ce qui vous plaît, pourquoi avoir commencé par être enseignant ?


« En fait, j’ai moins passé l’agrégation pour devenir professeur, que je ne suis devenu professeur après avoir  passé l’agrégation. C’était la conclusion naturelle d’un cycle d’études, en même temps qu’une voie d’accès à l’enseignement supérieur. Pour autant, j’ai toujours entretenu un rapport complexe avec l’enseignement, peut-être parce que je suis issu d’une famille d’instituteurs et de professeurs très investis dans leur activité professionnelle et pour qui la réussite scolaire – la mienne en particulier – était déterminante  J’ai ainsi consacré une bonne part de mon adolescence aux études. Après l’agrégation et la thèse, j’ai éprouvé le besoin de prendre de la distance, de m’éloigner un peu de l’École, dont j’avais le sentiment de n’être jamais vraiment sorti. J’étais attiré par Science Po et l’ENA – disons le service public en général, et l’administration en particulier. Je redoutais peut-être aussi certains aspects du métier d’enseignant, pour lequel j’éprouve par ailleurs un grand respect : un certain caractère répétitif, la solitude peut-être aussi… Un professeur, même s’il s’entend bien avec ses élèves et ses collègues, est souvent seul : face à la classe, quand il prépare ses cours, quand il corrige ses copies... J’avais envie, je crois, d’un travail présentant un caractère plus collectif…»


Avez-vous eu des collègues qui ont réalisé aussi une seconde carrière ?


« Assez peu. Certains préparaient l’ENA, d’autres travaillaient dans une maison d’édition, puisque un enseignant peut exercer une activité parallèle qui découle de la nature de ses fonctions. J’ai rencontré peu d’enseignants qui voulaient quitter définitivement leur métier ; beaucoup, en revanche, n’envisageaient pas de l’exercer toute leur vie. La difficulté est de franchir le pas. »


Quelles compétences pensez-vous détenir ?


« Au cours de ma formation initiale, j’ai acquis des capacités rédactionnelles et me suis toujours intéressé à la vie publique et aux institutions. Par la suite, j’ai eu l’occasion d’approfondir ma connaissance du fonctionnement de l’administration de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur ainsi que des politiques éducatives ;  j’ai également appris à encadrer une équipe, notamment à Créteil, et développé des compétences relationnelles. J’ai pris confiance en moi, sans cesser pour autant de me remettre en question. »


Quelles compétences sont nécessaires pour réussir une carrière dans l’administration ?


« Avant tout la curiosité, qui est plus une qualité qu’une compétence, la capacité d’adaptation et, pour les personnels qui s’engagent dans une seconde carrière, une certaine d’humilité ; la loyauté, enfin, qui n’exclut pas l’esprit critique, mais limite parfois son expression : les différentes fonctions que j’ai exercées impliquaient toutes un devoir de réserve, qui me paraît au demeurant naturel de la part d’un agent du service public. »


Pourquoi à votre avis existe-t-il un fossé entre l’administration et les enseignants qu’elle gère ?


« Les enseignants ne s’intègrent pas toujours facilement dans l’administration. Certains ont une assez haute opinion d’eux-mêmes et de leur capital culturel ; l’exercice de leur métier ne les a pas préparés à s’inscrire dans une structure hiérarchique ; ils ont enfin du mal à renoncer à ce qu’ils considèrent parfois comme des « droits acquis », en matière notamment d’obligations de service ou de congés. L’administration, de son côté, adopte souvent une attitude de méfiance à l’égard de personnels qu’elle considère comme étant en situation d’échec. Certains parlent de « bras cassés », sans qu’il soit toujours possible de leur donner tort. Pour ma part, je n’ai pas eu à souffrir de cette incompréhension réciproque, dans la mesure où je souhaitais réellement m’engager dans une carrière administrative ; il ne s’agissait pas d’une solution de repli, mais d’un choix délibéré, dont j’étais prêt à assumer les conséquences. »


A ce stade, Aide aux Profs pense que la difficulté qu’a l’enseignant à se projeter dans une seconde carrière, c’est le fait qu’il l’imagine définitive, sur un même poste, puisque dans le cadre de ses fonctions, le fonctionnement de la mutation peut le conduire s’il le souhaite à enseigner toute sa vie dans le même établissement. A contrario, dans l’administration, on ne reste pas toute sa vie sur le même poste, il faut se renouveler régulièrement. C’est aussi l’analyse que dresse François Muller dans son intervention lors de notre conférence-débat sur les secondes carrières le 21 novembre 2009 au Salon européen de l’éducation et que vous pouvez visionner à partir de la page d’accueil du portail de l’association Aide aux Profs,  ainsi que celles des autres intervenants : http://www.aideauxprofs.org


Etes-vous satisfait de votre évolution de carrière ?


« Oui, mais rien n’est jamais acquis. Il faut toujours faire ses preuves. J’ai du reste conservé mon statut d’enseignant, bien qu’étant affecté à l’administration centrale. »


Que conseilleriez-vous à un professeur tenté par une seconde carrière « hors de la classe » ?


« De se renseigner sur l’ensemble des possibilités qui lui sont offertes et d’élaborer un projet personnel. Suivre une formation peut être utile ; la voie la plus simple est en définitive celle du concours. Il faut être motivé, faire ses preuves à chacun des emplois occupés. Il ne faut pas non plus trop tarder à changer de voie. Une fois la décision prise et le projet mûri, il faut agir, et non remettre sans cesse au lendemain sa réalisation. Le champ des possibles tend à se réduire au fil des ans, la disponibilité aussi. Il est plus facile de demander un mi-temps ou une mise en disponibilité pour préparer un concours à trente ans qu’à quarante. »


Que vous inspire le dispositif d’Aide aux Profs ?


« Il répond à l’évidence à un besoin. Il convient d’apporter aux enseignants qui souhaitent changer de voie l’information, le conseil et l’accompagnement qui leur font souvent défaut. Beaucoup d’entre eux ne pensent même pas à contacter les services du rectorat, qui pourraient les aider ; d’autres redoutent d’effectuer cette démarche, de crainte d’être jugés. Ils se sentent souvent seuls, quand ils n’éprouvent pas une forme de mauvaise conscience. L’idée a beau s’imposer peu à peu que les trajectoires professionnelles ne seront plus à l’avenir aussi rectilignes, et celle de formation et d’orientation tout au long de la vie faire son chemin, les mentalités sont encore dominées par une conception relativement rigide du parcours professionnel ; c’est encore plus vrai dans l’enseignement, dont les personnels sont dotés d’une forte culture professionnelle et considèrent, plus ou moins consciemment, que leur métier répond à une vocation, une forme de sacerdoce : celui qui le quitte est toujours suspect d’avoir perdu la foi ou fait preuve de faiblesse, tel un moine défroqué. Dans ces conditions, le conseil à distance peut se révéler utile. Les services des rectorats, qui font admirablement leur travail, ne peuvent répondre à eux seuls à la demande. Votre action est complémentaire de la leur. Un partenariat pourrait être envisagé. Il y a là, me semble-t-il, une piste à explorer… »



Un site utile pour les enseignants, comme tous les autres fonctionnaires

Le site www.fonctionnairplus.com est réalisé par une association Loi 1901. Jérémy Guez, technicien ITRF et son épouse enseignante, se sont aperçus qu’il n’existait pas de comité d’entreprise pour les fonctionnaires, et ont donc commencé à réaliser un Club d’avantages et de loisirs, permettant ainsi à ceux dont le salaire n’est pas très élevé de bénéficier quand même de remises souvent intéressantes auprès de multiples partenaires.

En même temps, pour ces personnels de l’Education nationale, cette association peut dans les années à venir constituer une seconde carrière, puisqu’il y a près de 5 millions de fonctionnaires.



C’est dans l’air…

Les premiers décrets d’application de la Loi Woerth sur les parcours de mobilité interministérielle comment à poindre. Ainsi est-il annoncé le décret indiquant qu’au-delà de trois postes refusés par un fonctionnaire dont le poste est supprimé par une mesure de restructuration, il sera placé en disponibilité d’office. Cette mesure est la plus contraignante de cette loi destinée à favoriser la mobilité et les passerelles entre les différentes fonctions publiques, et mettrait les personnes concernées en difficulté.


Pour en savoir plus :

http://www.latribune.fr/actualites/economie/france/201[...]

http://www.maire-info.com/article.asp?param=12211[...]

http://www.fonction-publique.gouv.fr/article611.html

http://www.ouest-france.fr/actu/economieDet_-Mobilite-d[...]



Par fjarraud , le lundi 15 février 2010.

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