SECONDE CARRIERE N°109 

Par Rémi Boyer de l’association Aide aux Profs



Une mobilité externe peut être réalisée de manière temporaire, comme l’expérience de Patricio Undurraga, notre interview du mois, le prouve, ou de manière définitive.



La mobilité externe tente 15% de ceux qui contactent le dispositif associatif national d’Aide aux Profs depuis 42 mois. Que conseiller à ces enseignants ?


Comme les enseignants titulaires du public, les professeurs du privé sous contrat ont désormais depuis juin 2009 accès à la disponibilité. Ce statut permet d’expérimenter, en « convenances personnelles », une autre fonction dans le privé ou de créer son entreprise sans avoir besoin de démissionner, dans la limite des trois ans prévus dans les décrets de 2007.


Cependant, pour ceux qui utilisent la disponibilité comme situation transitoire avant de démissionner dans le cadre d’une création d’entreprise ou d’un projet personnel et qui envisagent de demander leur Indemnité Volontaire de Départ (IVD), il faut faire attention à ceci : l’IVD est calculée à partir du salaire perçu l’année précédant la demande. Aussi, lorsque l’IVD est demandée au cours de la 2e année de disponibilité, les chances de l’obtenir sont quasi nulles, laissées à l’appréciation des rectorats : c’est la mésaventure qui est arrivée à plusieurs enseignants qui nous ont contactés en 2009, et qui n’avaient pas bien compris le décret paru sur cette question.


Pour ceux qui envisagent un emploi salarié dans le privé, le calcul de la pension de retraite lors de sa liquidation est aussi une donnée à prendre en compte : actuellement, pour obtenir une retraite minimale de la Fonction Publique, il faut au moins 15 années d’ancienneté, le montant s’effectuant à partir du salaire atteint les 6 derniers mois de l’activité.

Lorsque l’on travaille dans le privé, le régime actuel est très différent : la pension de retraite est calculée sur le salaire moyen des 25 meilleures années.

Ainsi, un professeur décidant tardivement (s’il lui reste moins de 25 ans à travailler) de réaliser une mobilité externe sera, dans la majorité des cas, perdant lors de la liquidation de sa pension de retraite, car il risque alors de toucher une pension inférieure à celle qu’il aurait obtenue de l’Etat s’il avait poursuivi toute sa carrière à son service. Il lui sera en effet difficile, dès sa reconversion dans le privé, d’accéder, s’il a plus de 15 ans d’ancienneté, à l’équivalent du salaire qu’il touchait comme cadre A de la Fonction Publique.


Cette constatation met à mal cette fameuse « seconde carrière » qui existe avant tout sur le papier et qui ne s’applique qu’à partir de 15 ans d’ancienneté, au moment où, en fait, elle devient très difficile à réaliser, pour des raisons liées au degré de formation initiale et continue, à la professionnalisation à faire valoir pour espérer être employable ailleurs, à l’âge, à la famille et à son lieu de vie, au réseau d’amis des enfants, etc.


Pour ceux tentés néanmoins de se reconvertir dans le privé, jusqu’ici la voie principale était de répondre à diverses annonces de recrutement en adressant un CV et une lettre de motivation, en espérant un entretien de recrutement.


Désormais, une autre voie se développe peu à peu grâce à l’action humaniste de Paul Landowski, qui, au chômage à 49 ans, décide de créer en 2006 la marque et le concept de « Café Contact de l’Emploi » (www.cafecontactemploi.fr ), afin que les demandeurs d’emploi puissent rencontrer directement de manière informelle des chefs d’entreprises plutôt que de se cantonner à leur adresser leurs CV et lettre de motivation.

Dès le premier essai, cette formule de mise en contact direct dans un lieu convivial comme un café/brasserie a rencontré le succès, car cela donne vraiment une chance aux demandeurs d’emploi motivés d’exprimer leurs compétences et leurs attentes face à des recruteurs souvent en recherche de profils spécifiques.


Les Cafés Contact Emploi sont organisés quasiment chaque mois dans différentes villes de métropole, parfois dans des TGV, et peuvent être l’occasion pour des enseignants motivés – entre autres - par ce type de mobilité d’aller directement présenter leurs compétences et d’exposer leurs aspirations à des chefs d’entreprises de différents domaines d’activité.


Aide aux Profs a été contactée depuis son existence (42 mois) par près de 2000 professeurs, surtout du Primaire et du collège, qui souhaitaient changer de métier. Les motivations exposées sont souvent liées à un manque de compréhension des instances hiérarchiques (inspecteur et chef d’établissement fréquemment cités, et que l’enseignant ne souhaite pas informer de son projet de mobilité de peur des « représailles », ce qui prouve que la volonté de rénover la GRH dans l’Education Nationale exigera un changement radical des mentalités et des comportements), et à un manque de reconnaissance et de valorisation du travail accompli. Le Grand Emprunt lancé en 2010 par le Gouvernement permettrait de sortir de cette impasse si une partie de cet effort national était consacré aussi à la revalorisation des parcours de carrière des enseignants.


De notre longue et riche expérience, il ressort que les mobilités qui ont le plus de chances de réussir, à l’interne comme à l’externe, sont le fait d’enseignants ayant moins de 10 ans d’ancienneté : celles et ceux qui estiment s’être trompés de voie, de métier, et que les conditions d’exercice du métier démotivent, en ne leur apportant que des désillusions.

Avec si peu d’ancienneté, le salaire atteint n’est pas encore un facteur de blocage, car il n’est pas très élevé, tandis qu’il est rare d’avoir déjà obtenu par la mutation un poste fixe. La « seconde carrière » est alors pour eux un tremplin, une réalité. Au-delà de 10 ans à 15 ans d’ancienneté, cela devient plus difficile, car il faut souvent tenir compte du métier occupé par le conjoint, de l’équilibre du budget familial, de la stabilité géographique, etc.

Si l’on espère réaliser une seconde carrière en cessant d’enseigner, il ne faut donc pas attendre d’avoir 40 ans et plus, le moment où cela devient « le parcours du combattant », en dehors des fonctions que peut proposer en interne l’Education nationale : conseiller en formation continue, inspecteur (IEN, IA-IPR), chef d’établissement.



Patricio Undurraga : un parcours de carrière diversifié au service des élèves en difficulté.

Quelles ont été les étapes de votre parcours de carrière jusqu’ici ?


« Après un DEA de physique des plasmas, j'avais le choix entre faire une thèse de doctorat ou bien chercher du travail,   alors je suis allé travailler un an (1998) dans l’informatique en région parisienne pour concevoir des logiciels pour l’instrumentation nucléaire. L’année suivante, à Strasbourg, je tente la même année le concours du CRPE le PLP, le Capes, et l’agrégation. Je suis reçu au CRPE et j’enseigne 4 années en école primaire. En 2003, je tente le Capes de physique appliquée, que je réussis en fait lors de ma 2e tentative en 2004, et deviens professeur TZR en lycée pendant 3 ans.

En 2007, le Rectorat de Strasbourg m’a contacté pour me proposer un emploi de chargé de mission au rectorat au sein de la DAET (Délégation Académique à l’Enseignement Technique), afin de travailler sur les marchés de matériel pédagogique. Il s’agissait de centraliser les besoins des lycées, de convaincre la région pour acheter les matériels sélectionnés par les enseignants. J’occupe ce poste de 2007 à 2009, car j’ai souhaité à la rentrée 2009 retourner enseigner, les élèves me manquaient.

En 2008, en parallèle de mon poste à la DAET, j’obtiens l’accord du rectorat pour créer mon entreprise, Prof@dis: http://www.profadis.fr/  une SARL dédiée au soutien scolaire. »


Quelles étaient vos activités sur ce poste à la DAET ?


« Je réalisais les achats de matériels de physique pour les lycées de l’Alsace. Cela passe par le recensement des besoins, en allant rencontrer les collègues ici et là, par le dialogue avec les IA-IPR et chefs de travaux des lycées. Je réalisais ensuite des tableaux Excel pour organiser les demandes et les besoins, pour 70 lycées au total. Ensuite, j’étais chargé de concevoir le cahier des charges à transmettre à la Région, un travail qui exige environ 6 mois de travail intensif. Le marché dont je m’occupais tournait autour de 2 millions d’euros pour un panel de 40 produits distincts.

L’ensemble de mes activités se réalisait en équipe, mais pour le cahier des charges, c’était ma responsabilité. »


Pourquoi avoir créé Prof@dis alors que vous étiez à la DAET ?


« J’en avais assez de la publicité  des grandes enseignes du soutien scolaire sur ma région, j’avais envie de les contrer dans ma ville, de montrer que l’on pouvait inventer une autre méthode de soutien scolaire pour les élèves en difficulté.

Mon projet a été de concevoir des groupes en effectifs réduits, avec un programme adapté, et du temps, pour faire un travail de qualité. J’ai recruté deux étudiants préparant le concours du CRPE et je les ai moi-même formés à la pédagogie différenciée, en leur transmettant ma maîtrise de l’enseignement face aux élèves en difficulté. Dans ma méthode, le professeur transmet son savoir en adaptant le support pédagogique. L’accompagnement scolaire que nous proposons est destiné aux élèves du primaire et aux collégiens. J’ai adapté les tarifs pour être très accessible, étant donné qu’il n’y avait pas la possibilité d’obtenir une déduction fiscale, puisque les cours que je propose s’effectuent en groupe et dans des locaux aménagés, alors que la déduction fiscale s’applique pour des cours au domicile des élèves. »


Quelles ont été les étapes de création de cette entreprise ?


« D’abord, j’ai réalisé un demande de cumul d’emploi public avec la création d’une entreprise. Il s’agit d’un imprimé spécifique. Le renouvellement a lieu pour la 2e année à la rentrée scolaire suivante. J’ai donc adressé l’imprimé complété via mon chef d’établissement, qui a mis un avis et a signé le document (à ce stade il est important que le chef d’établissement émette un avis favorable).

Ensuite, le courrier part à destination du recteur de l’académie, mais aboutit en fait dans le service de la DRH ou de la DPE, ça dépend des académies. La personne chargée de la gestion du service de la discipline que l’on enseigne traite le dossier. Dès que le dossier a été reçu par le rectorat, j’ai pour ma part reçu une réponse, sous forme d’accord provisoire, car j’ai réalisé ma demande en fin d’année scolaire.

Six mois après ma demande, la commission de déontologie chargée de rendre un avis m’a officiellement autorisé, en m’adressant un courrier à mon domicile, à créer l’entreprise qui existait déjà depuis la fin de l’année scolaire. Lors du dépôt de ma première demande, j’ai dû fournir l’extrait de K Bis de la société créée ainsi que ses statuts. Si la commission avait émis un refus, il aurait fallu que je quitte mon poste de gérant, ce qui n’aurait pas posé problème puisque nous sommes cinq associés dans cette aventure. »


Quels critères garantissent le succès d’une telle demande ?


« La commission de déontologie examine le degré de compatibilité entre le poste que l’on occupe et le projet de création d’entreprise. S’il y a risque de compromission, comme dans le cas d’un chargé de mission travaillant au rectorat et qui créerait une entreprise où il travaillerait avec les mêmes clients, l’administration ne peut pas accepter une telle confusion des genres. Il faut qu’il y ait dissociation des deux activités, et que la seconde, dite accessoire, ne gêne en aucune manière l’exercice de la première, dite principale. »


Quel a été votre objectif en créant cette entreprise ?


« Je n’ai pas voulu quitter l’enseignement, car j’aime m’occuper d’élèves en difficulté. Je voulais connaître ce que signifie créer une entreprise, créer des emplois, assurer un service de qualité. Au-delà de la période que l’administration m’accorde au niveau de la législation pour mener ce projet, j’aurais le droit de rester actionnaire, en détenant des parts sociales, sans être actionnaire majoritaire. Actuellement je suis un dirigeant bénévole. Si une personne est actionnaire d’une société sans être salariée de cette société, elle n’a pas besoin d’obtenir d’accord de cumul de l’administration, car il s’agit alors tout simplement d’une gestion de son patrimoine en « bon père de famille ».


Pourquoi avoir choisi de revenir dans l’enseignement ?


« Cette création d’entreprise m’a aidé, m’a apporté un autre regard sur les élèves en difficulté, m’a permis de mieux me situer par rapport à ces difficultés d’apprentissage qu’ils rencontrent parfois en classe, dans la compréhension des programmes, au niveau du rythme, qui laisse peu de temps en général aux enseignants pour s’occuper des élèves en difficulté.  L’activité de Prof@dis, justement, c’est de consacrer son énergie aux élèves en difficulté. »


Quelles compétences aviez-vous acquises avant de créer Prof@dis ?


« Comme professeur des écoles, j’avais en charge les élèves toute la journée, ce n’est pas le même métier qu’en collège ou qu’en lycée. De plus, j’enseignais toutes les matières. Comme j’ai appris à travailler en équipe, à pratiquer la pédagogie différenciée, j’ai réinvesti tous ces savoir-faire et savoir-être lorsque j’ai été affecté en lycée. »


Quelles compétences vous a procuré la conduite de Prof@dis ?


« D’abord, de savoir recruter, en évaluant les compétences d’un professeur, afin de savoir s’il a envie d’enseigner, s’il est réellement motivé pour ça. Je questionne la personne sur son cursus, son expérience professionnelle, et j’observe sa gestuelle durant l’entretien. Ensuite, immédiatement, je mets la personne en situation d’enseignement, alors qu’elle ne s’y attend pas, ce qui permet tout de suite de se rendre compte de la qualité des compétences du postulant.

J’ai appris qu’il ne faut jamais se décourager, qu’il y a toujours une solution, qu’il faut prendre le temps de se renseigner, qu’il faut apprendre à sortir de sa coquille, en allant voir quelqu’un qui sait, lorsque l’on arrive au bout de ses propres compétences. Par exemple, lorsque j’en ai besoin, je recherche sur www.viadeo.com parmi les différents contacts de mon réseau lequel est susceptible de m’aider. »


Quels conseils donneriez-vous à un professeur qui souhaite créer son auto-entreprise ?


« Surtout pas, car c’est beaucoup de boulot de créer son entreprise. Donc, tant qu’à faire, si la personne a pour projet de réellement créer son entreprise, ce n’est pas ce statut là qu’il faut choisir, mais celui d’une EURL, d’une SARL ou d’un cabinet libéral, car elle ne sera pas limitée au niveau des fonds dont elle peut disposer au départ, et surtout en terme d’image de marque. Une EURL, une SARL ou un cabinet libéral est pris bien plus au sérieux par les éventuels partenaires qu’une auto-entreprise. Le statut d'auto entrepreneur peut lui permettre de tester son idée avant de se lancer complètement.

Quand on crée une entreprise, si l’on souhaite un gain de 1 euro, il faut investir 1 euro. Pour ce qui est des bénéfices, c’est une alchimie complexe qui aboutit au fait qu’en moyenne, pour 100 euros de Chiffre d’Affaire, il reste 10% de bénéfices avant le paiement des impôts, et au final, il reste environ 5% pour soi (en complément du salaire versé). Je conseille à ceux qui souhaitent se lancer dans la création d’entreprise de parcourir le site www.societe.com pour consulter les différents bilans des entreprises, et se forger une idée ainsi sur les seuils de rentabilité des unes et des autres, et sur leurs charges. » (Cela permet très vite de ne pas se bercer d’illusions, et de remettre les pendules à l’heure).

« Le problème de l’auto-entreprise, c’est que le fonctionnaire qui utilise cette possibilité ne saura pas au bout du temps qui lui est accordé par les décrets si cette activité est viable financièrement ou pas, alors qu’il ne peut disposer que d’une fois dans sa carrière de la possibilité de cumuler son emploi public avec la création d’une entreprise. Donc si l’enseignant veut créer une entreprise, alors il ne faut pas hésiter et se lancer à fond, se donner, sans se cantonner à un « statut du pauvre », avec peu de fonds propres. »

« Enfin, il faut mûrir son projet bien avant de l’entreprendre, car c’est du temps de gagné pour la suite. Pour ma part, j’avais préparé ce projet depuis deux ans. »


Quels avantages y a-t-il alors à créer une SARL ?


« Une SARL nécessite de monter son business plan, de montrer son projet, d’aller convaincre des investisseurs, de rencontrer les banquiers. Pour ma part, je suis allé rencontrer toutes les banques que j’ai pu, car il fallait que j’obtienne une somme qui constitue le capital de la SARL. Le capital est investi dans les locaux, le matériel, la publicité, les frais divers. Ce capital immobilisé est une garantie en cas de problèmes, en particulier pour les créanciers de la SARL. »


Quels sont les inconvénients de la création d’entreprise ?


« On peut espérer se verser un vrai salaire au bout de 3 ans en moyenne…et on se serre la ceinture avant, car durant le premier exercice comptable, donc pendant 18 mois au moins, tant que l’expert comptable n’a pas rendu son analyse des comptes, on ne sait pas encore quel salaire on va pouvoir se verser. Il faut savoir qu’en moyenne, une entreprise sur trois ferme au bout de sa première année d’existence. Dans mon entreprise, et avec mon emploi d’enseignant je travaille en moyenne 70 heures par semaine, mon travail est devenu ma passion. »


Que vous inspire la conception d’un dispositif associatif comme Aide aux Profs ?


« Super ! C’est toujours important de disposer d’une ressource de cette nature quand on ne sait plus vers qui aller, et qu’on n’a pas trouvé de réponse ailleurs. »



Par fjarraud , le vendredi 15 janvier 2010.

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