Ailleurs : "Ce que le lycée américain nous apprend". Entretien avec Danielle Colardyn 

Par François Jarraud



"Aujourd’hui, 87 % des américains de 55-64 ans ont terminé la High School quand ils étaient jeunes. Les Européens ne sont que 55%" nous rappelle Danielle Colardyn, chercheur associé à Boston University, ex-administrateur à la direction de l'éducation de l'OCDE . D'où l'idée d'aller voir précisément ce que l'expérience américaine peut nous apporter. Danielle Cordyn en tire trois recommandations.


Vous montrez de grandes différences entre la high school américaine et le lycée français. Il y en a d'abord d'historiques. L'histoire de l'enseignement secondaire américain est traversée de crises et de débats nationaux qui semblent ici assez violents. C'est toujours un sujet qui passionne les Américains ?


L’éducation passionne toujours l’opinion publique et les hommes politiques aux États-Unis. En juillet 2009, le Président Obama a lancé une Initiative pour que d’ici à 2020, 5 millions de jeunes et d’adultes obtiennent un diplôme équivalent à une ou deux années après la High School. Il y a un débat permanent sur l’ingérence ou l’étendue des responsabilités de l’État fédéral dans l’éducation. La Constitution ne lui confère aucune responsabilité: les États et localités sont en charge. Ainsi, l’État fédéral n’intervient qu’à concurrence de 10% dans le financement de l’éducation (primaire et secondaire) et il n’est pas habilité à définir des standards (référentiels) ou des examens nationaux.


Toujours par la Constitution, l’État Fédéral doit assurer le bien-être de la population et à ce titre, il a une responsabilité d’intervention. Par son pouvoir législation l’État fédéral promeut des lois (Octroi de terres, 19e siècle, GI Bill en 1944). Par son pouvoir judiciaire, il veille à garantir des droits égaux à tous les citoyens. Tout citoyen peut faire appel à la Cour suprême (niveau fédéral) qui peut condamner une pratique éducative d’un État. C’est ainsi qu’en 1954, la doctrine « séparé mais égal » est condamnée (Brown versus Board of Education decision). 


Pour faire un parallèle : dans l’éducation, qui a quels pouvoirs dans l’Union européenne  et dans les États membres ? L’éducation est une prérogative des États membres et non d’un organe supranational. La situation et les tensions sont similaires. 



Une autre originalité historique c'est la volonté de construire un système de type collège / lycée unique dans un pays où les inégalités sociales et "raciales" sont fortes. Comment expliquer cette contradiction ?


Cette contradiction s’explique une interprétation différente de l’égalité d’accès.


A la création des États-Unis, le désir politique explicite et fort est de rompre avec un système éducatif élitiste copié sur l’Europe car il ne permet pas l’entrée massive d’enfants à l’école. Au 19ème siècle, l’industrialisation se développée vite et une école « de masse » est nécessaire. Dès lors, les choix sont faits d’un enseignement ouvert à tous (blanc à cette époque) et d’une structure unique en 12 années (K+12) : ce sont là les seuls éléments communs à l’éducation sur le territoire des États-Unis. Pour tout le reste, l’enseignement est une vaste mosaïque et non un système comme on le conçoit en France ou en Allemagne, par exemple.


Tout ce qui concerne l’organisation des études, le contenu des programmes, les examens et les diplômes sont des affaires qui relèvent des États et localités. La plus grande diversité est la règle assumée : « chacun doit être en mesure de trouver l’enseignement qui lui convient ». L’égalité n’est pas interprétée comme « le même dispositif est ouvert à tous ».



Comment évolue le lycée américain ? En quoi peut-il être proposé en modèle ?


Il ne s’agit pas de proposer un modèle mais de réfléchir aux leçons à tirer d’un pays qui depuis plus de 60 ans, conduit 80% d’une génération à la fin de la High School. Aujourd’hui, 87 % des américains de 55-64 ans ont terminé la High School quand ils étaient jeunes. Les Européens ne sont que 55% et avec de très grands écarts entre les pays. De cette formidable expérience d’ouverture de l’école, quelles leçons tirer pour nous en France et en Europe ?


Comme y sont-ils arrivés ? Par la diversité. Quel problème à surgit ? Celui de la qualité. Quelle solution a été trouvée pour y remédier ? Actuellement, aucune. Quelles approches ont été tentées ? De nombreuses (modules, choix des parcours, renforcement des standards, les États négocient pour s’accorder sur les exigences). Aujourd’hui, aucun pays n’a trouvé de solution miracle pour préserver la qualité d’un enseignement quasi-universel dès lors que les populations scolaires sont de plus en plus hétérogènes. Une première leçon est de ne pas copier ce qui n’a pas marché.


Le pilotage par l'évaluation est pourtant très critiqué en Grande Bretagne et aux États-Unis. Une récente étude du NCES montre que les États ont baissé leurs exigences. Les enseignants anglais craignent que l'on réduise l'enseignement aux matières testées. Globalement l'accusation c'est que les tests d'évaluation font tomber le niveau. Quelles réponses apportez-vous à ces critiques ?


Les examens du Bac sont-ils soupçonnés de faire baisser le niveau de l’enseignement ? Si une interrogation est de mise, elle concerne les référentiels (contenu d’un programme) et non l’examen (assimilation du programme par l’élève).


Aux États-Unis, test, examen et évaluation sont de nature profondément différente : il y a des tests à la High School, des « examens nationaux » gérés par des associations extérieures et les évaluations sous la responsabilité de l’État fédéral.


A la High School, l’élève passe des crédits et éventuellement un test final (QCM) avec un diplôme. Les résultats sont nominatifs. Les États fixent leurs exigences.


A la High School, un élève peut choisir de suivre des cours avancées (anglais, mathématiques, langues, etc.) pour se préparer à l’enseignement supérieur. L’examen (QCM) est « national » : les questions sont identiques sur tout le territoire et les résultats sont nominatifs. Les tests d’aptitude scolaire (SAT) pour postuler à l’université sont due même nature.


Depuis les années 1960, les évaluations nationales sont de la responsabilité de l’État fédéral qui les utilise pour suivre et « piloter » l’enseignement. Le NCES (Centre national pour les statistiques éducatives) réalise ces évaluations sur des échantillons représentatifs, les résultats sont ne sont pas nominatifs.


Donc, oui, le NCES, organisme fédéral, évalue les actions des États et signale que certains baissent leurs exigences scolaires comme stratégie pour répondre aux demandes la loi « aucun enfant laissé pour compte (Président Bush).



Un autre débat se porte sur le testeur lui même. Qui est le mieux placé pour évaluer l'efficacité d'un établissement ? L'État ? L'échelon local ? Un organisme extérieur ? L'établissement lui même ?


Le principe fondamental est de ne pas être juge et partie. Ensuite et selon la question, chacun (classe, école, localité, État, État fédéral) a son apport spécifique. Avec la loi « aucun enfant laissé pour compte (Président Bush), il y a eut une obligation de juger du résultat des écoles sur la base des résultats des élèves et non plus uniquement sur la gestion des budgets. L’application ne s’est pas révélée très probante. Aujourd’hui, le Président Obama recentre les politiques : il demande aux États de s’accorder sur des exigences communes et d’aligner le niveau en fin de High School sur les exigences du supérieur. D’ici à 2020, il souhaite que les États-Unis retrouvent leur position de leader dans le domaine de l’éducation.



Ces résultats doivent-ils être rendu publics ? 


Oui, la transparence est préférable à l’opacité.



Quels enseignements peut-on retenir de l'exemple américain ?


Voici quelques leçons, non exhaustives :

-           pour intégrer des populations hétérogènes, il ne faut surtout pas baisser le niveau d’exigence ;

-           préserver le niveau du secondaire signifie qu’il reste aligné sur les exigences à l’entrée dans le supérieur (le cours de rattrapage à l’université est le signe de problèmes dans le secondaire) ;

-           les résultats d’une école sont à juger aussi sur les résultats des élèves : la famille et l’élève ont une responsabilité ;

-           pour piloter des dispositifs à l’échelon d’un continent, les évaluations sont indispensables. Elles donnent un signal d’alarme rapide. Par exemple, dans l’Union européenne, une évaluation européenne permettrait une réaction plus rapide que 27 examens nationaux. Elle ne pourrait remplacer les examens pour juger du niveau des élèves dans chaque État.


Danielle Colardyn

 

Entretien : François Jarraud


Danielle Colardyn, La High School aux Etats-Unis. Quelles leçons pour l'éducation en Europe ?, De Boeck, Bruxelles, 2009, 152 p.

Présentation et commande de l'ouvrage

http://universite.deboeck.com/livre/?GCOI=28011100050220


Voir aussi sur le Café :

Denis Meuret : le lycée américain

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Dossier Réformer le lycée

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Par fjarraud , le dimanche 15 novembre 2009.

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