LA REFLEXION DU MOIS 

A quand l’obligation de mobilité pour les personnels d’enseignement et d’éducation au sein du service public d’éducation ?


Par Gardy BERTILI


Question polémique, je le sais, mais question fondamentale : à quand l’obligation de mobilité des personnels enseignants et d’éducation.

Plusieurs raisons motiveraient une telle avancée.

 

a)         Casser les habitudes

Il est évident qu’en s’installant dans un établissement pendant 10, 15 voire 25 ans, on installe aussi ses habitudes, on s’installe aussi évidemment dans une routine. Difficile donc de prendre du recul, d’avoir une analyse objective des situations, de sa propre situation, de sa place au sein des équipes, au sein de l’établissement. Difficile de se fixer des enjeux, d’accepter l’innovation. Les habitudes empêchent de se remettre en question, les pratiques sont installées et pourquoi les changerait-on ? Et il est si aisé de qualifier celui qui veut faire évoluer le fonctionnement, qui veut rompre avec certaines habitudes, avec certaines pratiques d’« empêcheur de tourner de rond ». Pire, il faudrait que celui qui arrive dans l’équipe ou à la tête de la direction soit porteur de cet héritage, de ces habitudes, des pratiques qu’il juge révolues, inefficaces voire dangereuses. Bref, il ne faut rien changer mais subir, accepter, se mouler « dans les habitudes, dans l’histoire (avec un grand et un petit H) de l’établissement ou des équipes.

Du coup, en refusant ce « deal », le nouvel arrivant s’expose à la méfiance, à la défiance, à des coups bas, à des coups tordus. L’insidieux, la peau de banane remplacent le dialogue, la discussion, la confrontation des idées et des visions. Un mot mal interprété, une réflexion qui froisse, un écrit maladroit sont gardés en réserve dans le but de créer une faille, une difficulté. Le but de la démonstration est de vous prouver que vous vous trompez et que les pratiques installées ont porté leurs fruits, elles sont les meilleures. Ne pourrait-on attendre des adultes qu’ils dépassent leurs certitudes et qu’ils soient en capacité de sortir des a priori, des préjugés, des erreurs, des maladresses réelles ou supposées pour se mettre en mouvement, en dialogue, en altérité. 

Quelquefois, ces personnels bien installés ont une certaine influence syndicale, idéologique, professionnelle, ils exercent une certaine autorité du fait de leur charisme personnel et professionnel rarement et notamment du fait de leur ancienneté bien souvent parce qu’ils maitrisent tous les rouages, tous les ressorts, ils cultivent un certain sens de la manipulation des arrivants ou des fragiles, ils jouent avec les failles des collègues qui éprouvent du mal à gérer leurs classes, et voilà un établissement qui peut être à feu ou à sang et donc bloqué, immobile. Qui en pâtit de ces confrontations stériles, de ces joutes verbales, de ce marquage de territoire, de cette lutte de pouvoir : les élèves, l’institution, le service public d’éducation.

 

b)         Faire évoluer les pratiques

La mobilité des enseignants est complexe, je l’entends parfaitement, notamment des enseignants de l’enseignement professionnel. Lorsque l’on enseigne un enseignement professionnel « rare » ce n’est pas aisé de bouger puisque les établissements peuvent se trouver dans des départements éloignés. Faire de la route pour aller travailler agit évidemment sur la motivation, le dynamisme, l’implication car à côté il faut continuer à gérer sa vie de famille, personnelle. Mis à part ces enseignants, il n’y a pas de raison que la mobilité soit taboue. Quant aux conseillers principaux d’éducation, ils peuvent exercer dans tous types d’établissement, pourquoi ne seraient-ils pas soumis à l’obligation de mobilité. Les professeurs documentalistes, les assistantes sociales, les infirmières, les conseillers d’orientation psychologues pourquoi échapperaient-ils à la nécessité de changer d’établissements tous les 10 ans maximum. Il me semble que cette durée de 10 ans corresponde à un bon compromis. Il faut avoir le temps de s’installer pour s’imprégner et marquer de son empreinte l’établissement sans tomber dans le ronronnement quotidien préjudiciable. 

En faisant tourner les personnes et donc les équipes, on ferait ainsi évoluer les pratiques. On sortirait du péremptoire « cela a toujours fonctionné ainsi ici, il me (nous) convient pourquoi changer. Un établissement scolaire doit être en mouvement, être en capacité de répondre aux nouveaux enjeux, aux nouvelles attentes, à l’évolution de son environnement socio-économique, et culturel, aux transformations. La mobilité exigerait remise en question, prise de recul, réflexion, obligations d’adaptabilité. Le collège ou le lycée ne saurait se transformer en cocon, en refuge, en territoire individuel, l’enseignant, l’éducateur doit toujours en quête de mouvement, d’évolution, de compréhension, de force positive et non obscure.

La mobilité permettrait aussi de combattre le corporatisme professionnel qui va jusqu’à défendre l’indéfendable parce que le collègue est là depuis 20 ans et il ne faut pas le remettre en cause. Le remettre en cause c’est remettre en cause le fondement historique même de l’établissement. Or en faisant bouger les lignes cela ne consiste pas à affirmer que rien n’a été fait, décidé, c’est agir sur l’améliorable, c’est dire qu’il est possible de faire encore mieux. N’est-ce pas plus valorisant de faire mieux que de s’installer dans des pratiques moyenâgeuses qui n’apportent plus de plus-value aux élèves, à l’établissement. En demandant mieux, il ne s’agit pas de porter un jugement péremptoire sur la valeur professionnelle de l’enseignant, du CPE, du COP ou de l’infirmière mais de recadrer, repenser, d’utiliser d’autres marges, de s’appuyer sur de nouveaux leviers, d’agir et d’interagir.

 

c)         Un service public d’éducation ouvert

L’obligation de mobilité aurait aussi pour conséquence heureuse de rendre tous les établissements accessibles. Un professeur de lettres modernes, de Mathématiques, un CPE, un documentaliste doit pouvoir exercer en zone d’éducation privilégiée, en zone d’ »éducation prioritaire, en zone rurale, etc. Pourquoi certaines ZEP, certains établissements de zone pavillonnaire seraient confisqués par des personnels, voire des équipes qui trouvent leur compte et qui refusent de céder toute parcelle du pouvoir qu’ils ont conquis depuis des décennies. Alors que ce sont les mêmes qui se plaignent, qui trouvent qu’il faudrait améliorer. Mais dans leur sens et souvent en revenant en arrière. Contradiction absolue donc.

Le fait de savoir que l’on sera amené à changer d’établissement sera sans doute source de richesses, de créativité, de mise en commun, d’innovations pédagogiques, éducatives.

Ce fut une excellente idée d’avoir mis en place la mobilité des personnels de direction. Il faudra conquérir la mobilité des personnels enseignants et d’éducation pour faire des établissements scolaires des lieux de mouvements, de changements. La continuité historique, l’héritage ne peuvent être facteurs d’immobilisme. Tout en assumant la spécificité à tous points de vue, tout en se fondant sur l’Histoire (et les petites histoires), la mobilité permettrait aux équipes et à l’établissement de trouver un nouveau souffle pour ne s’endormir sur ses lauriers ou dans son désespoir.


Il faudra discuter des modalités pratiques de cette obligation de mobilité (primes à la mobilité ou non, points en plus ou non, favoriser els mutations ou non …) mais elle me semble fondamentale pour un service public d’éducation moderne, juste, équilibré, ouvert. Il n’y aurait ainsi aucun territoire interdit, tabou. C’est l’intérêt supérieur des élèves et l’intérêt général  qui doivent prévaloir et non des intérêts catégoriels, idéologiques ou individuels.

 

Sur le site du Café
Par fjarraud , le lundi 15 juin 2009.

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