LE CONSEIL DE CLASSE SURVIVRA-T-IL ? 

Le bal ou la symphonie des conseils de classe va rythmer pendant deux à trois semaines la vie des établissements scolaires. Mais ces conseils de classe, au-delà du rite et du mythe, joue-t-il réellement un rôle dans la scolarité des élèves ? Résistera-t-il à la prochaine réforme des lycées généraux et technologiques (nouvelle 2nde, possibilité de passerelles entre les modules voire les filières, 2nde professionnelle, décloisonnement de la classe, nouveau cadre référentiel des langues etc…) comme à celle des lycées professionnels (transformation des BEP en Bac Pro 3 ans ? Le conseil de classe, s’il existe encore, ne devra-t-il pas faire sa révolution copernicienne ?

Par Gardy BERTILI

 

A quoi sert le conseil de classe dans une école rythmée par la méritocratie, la compétition quelques fois outrancière mais aussi par le désengagement, le désinvestissement, ou encore par l’affrontement inégal de forces et de contre-pouvoirs, par des enjeux qui transcendent l’intérêt général ?

 A quoi sert le conseil de classe dans une institution scolaire qui tend à confondre, malgré les textes de juillet 2000, les résultats avec l’attitude, l’élève et la personne, le jugement sur la compétence et celui de valeur ?

 A quoi sert un conseil de lasse dans une école qui cultive encore, même si cela paraît de moins en moins vrai, une vision réductrice de l’élève, chacun s’évertuant à le circonscrire au travers de son prisme disciplinaire, et semble méconnaître volontairement ou non la nécessité vertueuse de le penser globalement ?

A quoi sert le conseil de classe sans considération de la réalité complexe de l’élève, sans la prise en compte du « quadruptyquue » domicile, quartier (bandes, communauté), médias (TV, radio, journaux, internet etc) et école ?

 A quoi sert le conseil de classe si le lieu et l’espace de pouvoir ne sont  pas le conseil de classe lui-même ? A quoi sert le conseil de classe lorsque le pouvoir pédagogique veut phagocyter les autres pouvoirs ou contre-pouvoirs ?

A quoi sert le conseil de classe lorsque l’on mesure le chemin à parcourir pour qu’il devienne un véritable lieu de démocratie, capable de débats et de distanciation, non seulement sur les élèves mais aussi sur son propre fonctionnement, et plus généralement sur lui-même ?

Le conseil de classe, dans sa forme actuelle, dans sa structure formalisée, organisationnelle, relèverait-il plus du rite et/ou du mythe ? Recouvre-t-il une réalité dont l’école ne peut se passer ? La question mérite d’être posée et débattue sans idéologie, sans sombrer dans la pensée unique.

Qui peut nier que le conseil de classe est lieu de confrontation de pouvoirs qui s’expriment, et pas seulement ou pas toujours dans l’intérêt de l’élève. Qui n’a jamais admiré la capacité d’un enseignant ou d’un CPE à monopoliser la parole, à la confisquer même ? Qui n’a jamais contemplé le charisme d’un chef d’établissement ou d’un enseignant, capable d’emporter l’adhésion alors qu’il défendait contre tous l’idée que tel élève mérite d’être sanctionné, n’est pas à sa place ou au contraire l’on se trompe à méconnaître les qualités exceptionnelles de tel autre ? Sans la perspicacité, le sens du management et l’autorité du président du conseil qui doit être capable de distribuer la parole, d’organiser sa circulation, de recentrer le débat et les raisons qui motivent la réunion, le conseil de classe peut être confisqué par un de ses membres parce qu’il parvient à faire autorité sur tous les autres ? Et les élèves n’en sortent pas gagnants ?

Qui n’a jamais assisté de manière éberluée à la confrontation incendiaire entre des champs disciplinaires, entre des catégories, entre des intérêts divergents, entre ceux qui règlent des comptes et ceux qui tentent de trouver le juste équilibre, entre les « faux-vrais » bourreaux et les « vrais-faux »  sauveurs ? L’on n’ignore point que le conseil de classe n’est pas un lieu neutre, il est un lieu politique fort. Il faut bien connaître l’établissement, pour comprendre les ressorts de telles demandes, de telle prise de position, de tel refus, de telle velléité. Il faut donc être vigilant. Le conseil de classe peut être le lieu d’allusions insidieuses, de propositions piégeuses, de considérations alambiquées, de silences porteurs, de souffrances indicibles. D’où la nécessité pour son président de ne pas laisser certains silences sans interrogation et certaines agitations sans réponses.

Le président du conseil de classe doit aider à la mise en musique, à la mise en synergie des désirs, des volontés, des dynamiques sans que les uns l’emportent sur les autres. Il doit veiller à faire du conseil de classe « une situation collective » porteuse de sens pour les différents membres et partenaires. Chacun doit y trouver sa juste place, exprimer son ressenti sans chercher à étouffer la place et le ressenti des autres. Et pour le rendre plus efficient, le conseil de classe doit prendre  ses distances vis-à-vis de l’évaluation sommative qui comporte par essence une dose de subjectivité qui la rend « critiquable », « interrogeable ».

Cette situation collective se joue, bien évidemment, autour de situation communicationnelle, gestuelle, politique, pédagogique, éducative et interactive. Effectivement se jouent au sein du conseil de classe des jeux d’interactions implicites, symboliques, supposés ou réels. Des jeux d’interactions répétitifs et inconscients. Ces jeux d’interactions s’organisent autour des jeux de rôles dont la plupart  des membres s’en accommodent  soit  parce qu’ils s’y retrouvent, soit parce qu’ils imposent ainsi leur pouvoir, soit parce qu’ils ne souhaitent pas être embêtés, indexés, étiquetés, soit parce qu’ils désirent conquérir leur place au sein du groupe de pairs, soit parce qu’ils sont porteurs de principes, de valeurs, d’une vision inconscients, ou trop décalés.

Le côté mythique du conseil de classe provient de l’essence même du conseil de classe qui s’apparente à un espace théâtral où chacun tente de mettre en musique son jeu scénique, son scénario propre, sans forcément s’intéresser à celle des autres. Même si chacun s’intéresse au jeu de miroirs  dans lequel il  lit ou décrypte son propre jeu. 

D’où la nécessité de recentrer le conseil de classe autour de l’intérêt général, autour  de l’intérêt collectif tout en apaisant les tensions, tout en refusant aussi le consensus mou. Dans cette optique la capacité du président du conseil à porter ce rôle politique peut être prépondérant pour faciliter le déroulement d’un conseil de classe équilibré, juste et pensé autour des élèves, et non autour d’une succession d’intérêts individuels ou catégoriels.

Le rituel du conseil du conseil de classe transcende les velléités de dépassement exprimées par ses détracteurs ou ses critiques. Certes, il ponctue le paysage de l’EPLE en organisant ou désorganisant son fonctionnement. Certes, chacun s’adonne au rite, et tout l’établissement vit au rythme de ses incidences : la salle des professeurs bouillonne, les esprits s’échauffent, le temps s’accélère. Le conseil de classe engendre du stress, des angoisses et des inquiétudes pour toute la communauté éducative. L’on sait fort à propos que le conseil de classe ne représente pas seulement un temps de bilan et d’évaluation pour les élèves uniquement. Il constitue aussi un temps d’évaluation pour les enseignants, pour le CPE et pour le chef d’établissement ou son adjoint.

Ce temps là rend encore l’évaluation plus subjective. Quelques enseignants évaluent en fonction du sentiment d’autorité pédagogique et personnel qu’ils éprouvent, en fonction de leur place au sein du groupe, en fonction des messages qu’ils souhaitent adresser à l’équipe de direction ou aux parents. L’évaluation porte en elle, pour certains, la compétence, la reconnaissance, la valeur de l’enseignant. Et l’on sent bien à travers le regard interrogateur ou inquisiteur, voire éberlué face aux notes soit surévaluées soit « cassantes » que les enseignants jouent leur autorité. On veut pour preuve que certains enseignants notamment connus pour leur notation trop sèche, sévère ou trop laxiste n’ont plus de crédit vis-à-vis de leurs pairs, à part qu’ils font l’objet de récriminations, de critiques que le chef d’établissement doit gérer avec doigté. Pas devant le conseil de classe mais individuellement. 

Quelle place pour le Conseiller principal d’éducation au conseil de classe ?

Le CPE participe-t-il à ce rite et à ce mythe, Bien évidemment et comment pourrait-il en être autrement ? Tout dépend comment il joue sa partition ou du moins tout dépend les moyens dont il dispose pour jouer son rôle. La crédibilité du CPE au conseil de classe dépend à la fois de sa situation professionnelle au sein de l’établissement, est-il reconnu compétent, pédagogue, apte à porter un projet d’éducation mais aussi de sa vision du conseil de classe.

Le CPE qui se contente de décliner les retards et les absences ne fait qu’informer le conseil de classe de l’assiduité des élèves. Pour être crédible, il doit être en position de pouvoir prendre du recul, de réfléchir avec le conseil des incidences de ces chiffres souvent bruts. Leur interprétation sous-tendue par une connaissance approfondie et globale de l’élève semble indispensable pour éclaires et non seulement informer le conseil de classe. Que veulent dire 15h ou 150h d’absences, 2 ou 10 retards, 3 ou 25  exclusions de cours, 3 ou 7 exclusions temporaires, 1 ou 20 rapports ?

 Quel suivi a été mis en place, quelle évaluation, quelles mesures autour de l’élève et par qui ? Le CPE a-t-il travaillé en équipe, a-t-il pensé ou défini un projet éducatif pour l’élève et pour l’établissement, comment se positionne-t-il, contente-t-il d’enregistrer ou est-il un acteur impliqué, investi, capable de dépasser son simple rôle de gestionnaire, d’éducateur ?

A-t-il une vision de l’école, de ses rouages, de la vie scolaire, et du rôle que celle-ci peut et doit jouer auprès des autres équipes ?

Considère-t-il que la vie scolaire joue un rôle de soutien technique, logistique ou a-t-elle une réelle portée sur la vie de l’élève ? Y-a-t-i perméabilité, complémentarité entre la vie scolaire ou la vie de l’élève.

La capacité du CPE à peser sur les choix, de participer à l’évaluation éducative et pédagogique des élèves, de comprendre les enjeux, de défendre une vision. Sans s’aliéner dans les rapports de forces quelques fois stériles et de toute façon insurmontables ou indépassables, le CPE peut aider au conseil de classe à s’assumer  en tant que pouvoir collectif d’un groupe. Il peut aider le conseil de classe à se départir de la relation pure, asymétrique maître-élève pour rentrer dans une relation d’altérité, d’écoute, d’aide, d’évaluation formative, de projets.

 En formant en amont et en décryptant en aval avec les délégués de classe et avec ses pairs le conseil de classe, le CPE devient facilitateur de ce processus constructif de pouvoir collectif du groupe tout entier, adultes-élèves y compris les parents. Sans perdre de vue que cette relation asymétrique qui fait que l’adulte a autorité sur les élèves, que l’enseignement ne peut se dérouler que si l’apprenant a autorité sur l’apprenti, le CPE peut aider à mettre du lien et du sens. En quoi les absences, les retards, les rapports, les punitions, les sanctions, les notes peuvent expliquer la place de l’élève au sein du groupe, peuvent avoir des incidences sur son implication dans la classe ou dans l’établissement, en quoi ils  influent sur le comportement, sur la motivation de l’élève et en quoi ils constituent des éléments parmi d’autres aux côtés des situations familiale, personnelle, psychologique, de l’histoire ou des influences extérieures subies ou induites par l’élève.

De ce point de vue, le conseil de classe peut évoluer dans son organisation et dans son fonctionnement ? Faut-il faire un conseil participatif, faut-il faire passer l’ensemble des élèves, les faire passer un à un seul ou avec les parents ? Faut-il préparer le conseil en amont avec le Professeur principal ou faut-il laisser au conseil de classe la primeur pour éviter tout a priori positif ou négatif ? Faut-il y  aborder uniquement l’évaluation, les résultats ou peut-on y discuter du bilan de la classe, des changements éventuels organisationnels de  la classe, parler des conflits ou des obstacles qui freinent les apprentissages, qui agissent manifestement sur l’évolution ? Faut-il parler des projets qui sous-tendent l’unité de la classe ou qui débloquent ou approfondissent les apprentissages. Des projets qui transportent les élèves, qui suscitent leur motivation, leur accrochage, qui donnent du sens à leur vie d’élève.  Auquel  cas, le conseil de classe devient un lieu d’organisation et pas uniquement un lieu d’information.

Le CPE peut et doit participer à ces réflexions décisives, il ne peut s’en tenir à l’écart sans que cela ait des conséquences néfastes sur l’autorité qu’il jouit auprès des pairs et des élèves mais aussi des parents et de l’équipe de direction.

Le problème est que les adultes critiquent la forme actuelle organisationnelle ou spatiale du conseil mais ne souhaitent pas non plus son dépassement. Celui-ci engendrait des remises en cause, de nouvelles interrogations sur les pratiques pédagogiques et éducatives. C’est tout de même mieux d’être en conclave, d’être entre-soi, de cultiver une certaine opacité synonyme de pouvoir. Rien n’empêche d’innover tout en fixant les contours pour éviter des dérives, par exemple, en décidant collectivement  en toute transparence devant élèves et parents pour tout ce qui concerne le groupe classe et en faisant participer chaque élève (et pourquoi pas ses parents) pour les situations individuelles. Tout en se gardant de transformer ou d’ériger le conseil de classe en tribunal, en gardien de la morale. Mais en procédant ainsi, on réduirait évidemment  le côté mythique du conseil de classe. Et là, personne ne veut en entendre parler car le pouvoir risque de s’évanouir un peu, et les enseignants, et pas seulement eux d’ailleurs, redoutent toute réforme qu’ils interprètent comme une volonté réformatrice de leur pouvoir pédagogique. Or l’Ecole vit déjà au rythme des crises de l’enseignement, du sens.

Problème ! Toute réforme profonde du conseil de classe touche forcément à son essence mythique et à sa dimension rituelle. Si le conseil de classe ne veut plus être une instance d’enregistrement, de confrontations de résultats, d’expression de pouvoirs, d’intérêts individuels ou catégoriels, il lui faut bouleverser trop d’acquis, trop d’habitudes. Si l’on veut réellement évaluer globalement l’élève et non déclamer qu’il est bon en français, moyen en histoire et meilleur en mathématiques, si l’on ne souhaite pas le réduire aux bavardages, à son absentéisme, à ses difficultés diverses et variées, il faut lui consacrer du temps, confronter les points de vue, l’analyser au travers du prisme et des vérités des différents adultes qui l’entourent, au travers de sa représentation de lui-même, de l’école, de la place qu’il imagine occuper au sein de ses pairs, de sa famille, de l’établissement, du quartier. Et tout cela demande du temps. Le conseil de classe deviendrait vite indigeste pour tout le monde.

L’une des problématiques fondamentales est justement celle-ci : comment rendre le conseil de classe vivant, interactif, capable d’évaluer sans ne tenir compte que des résultats, tout en écoutant chacun, tout en reconnaissant la valeur des positions individuelles et en trouvant l’équilibre collectif qui fait sens ?

Et comment éviter que le conseil de classe soit confisqué par une personne ou un groupe aussi puissant qu’il puisse être ?

 Comment faire que le conseil de classe ne perde de vue que le but de l’évaluation est de faire progresser et réussir chaque élève et préserver le projet commun qui fait que la  classe ne soit pas uniquement la somme des individualités mais devient une intelligence collective et sociale dynamique et dynamisante ?

Enfin, le conseil de classe aura-t-il encore un sens ou une portée avec la future réforme des lycées ? En organisant en semestre le lycée, et au terme de la réforme, le temps du rituel va se trouver différent.

En réduisant considérablement les redoublements qui n’ont pas fait leur preuve pédagogique, éducatif, qui engendrent des frustrations, la mésestime de soi, des violences, et qui coûtent cher à la Nation, le conseil de classe perdra du sens. D’ailleurs, ne l’a-t-il pas déjà  perdu lorsque les décisions du conseil de classe peuvent être infirmées par celles des familles, par exemple pour le passage de la 4ème à la 3ème ou encore de la 1ère à la terminale.

Le conseil de classe doit se révolutionner s’il veut perdurer. Il lui faut faire sa révolution mythique et sa dimension rituelle sera à repenser. Il lui faut s’organiser autour d’autres formes. Sans abandonner le temps du bilan évaluatif, le conseil de classe doit devenir une véritable instance de réflexion, de débats, de construction du collectif, d’imagination de projets pour la résolution des conflits, pour mettre du lien, pour fabriquer du sens, pour repenser le vivre-ensemble, pour dessiner du sens collectif. D’autant plus que la classe ira en se décloisonnant avec la réforme des langues, la possibilité pour les élèves de changer de modules en cours d’année, avec l’interdisciplinarité (déjà le cas pour les TPE, les PPCP, les Itinéraires de découverte ou encore l’accompagnement éducatif …). Le conseil de classe deviendra un temps d’organisation et d’intégration et moins d’évaluation sommative pure.

Nous devons anticiper d’ores et déjà pour ne pas sombrer dans la nostalgie d’un temps où le conseil de classe était un mythe et un rite. Il faudra repenser et construire ensemble, élèves et adultes (y compris parents, CPE, COP, AS, Infirmière, direction…) ce temps du collectif pour ne pas laisser s’exprimer que l’individualité de l’élève. Car l’intérêt de l’Ecole est d’inscrire l’élève dans le collectif, de lui faire partager principes et valeurs communs l’aidant à mûrir, à exercer une citoyenneté avertie, son jugement personnel, bref à devenir de plus en plus « humaniste ».

Il y a du travail en perspectives pour que le conseil de classe survive aux prochaines réformes et aux prochaines révolutions et mutations de l’Ecole.

Sur le site du Café
Par fgiroud , le samedi 15 novembre 2008.

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