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La Tribune du mois 

 

Par Gardy Bertili

 

 

Le signalement au procureur de la République, un acte non anodin…

Le signalement au Procureur de la république communément appelé signalement au Proc s’impose sans aucune forme de doute comme une nécessité juridique, comme un indispensable moyen de protection des élèves en danger, comme une obligation de mettre fin au sentiment de puissance des coupables, comme une volonté institutionnelle de ne pas laisser seules les victimes dans leur désarroi mais il peut être aussi source d’inquiétudes, de peurs, de craintes et d’angoisses, à la fois pour celui ou celle qui le formule, pour les familles et notamment pour l’élève concerné. Ce n’est en  rien un acte anodin.

 

L’aspect juridique incontournable

Le principe juridique s’impose à tous et notamment à tout fonctionnaire. Celui-ci doit dénoncer les délits et crimes dont il a connaissance dans l’exercice de ses fonctions. Aucun état d’âme ne saurait être permis.

 

Protéger les élèves et notamment les mineurs, contre la maltraitance familiale et sociale, contre les abus sexuels (dans la famille, à l’école ou ailleurs) contre toute dérive concourant à la mise en danger (décrochage, délinquance …) constitue évidemment une nécessité. L’école a été trop longtemps tenue à l’écart de la justice ordinaire, ce qui a pu laisser s’installer des dérives telles que la pédopornographie, l’humiliation qui sont restées longtemps non punies. Il n’est pas question de s’interroger sur le fond, tout fonctionnaire a le devoir d’appliquer les textes définis par le législateur et/ou par sa hiérarchie. Dans le cas contraire, il doit tirer les conséquences et démissionner.

 

Pourquoi le signalement au Procureur de la république fait-il peur… ?

Ce qui nous intéresse ici ce sont les conséquences périphériques que si malheureusement, elles sont mal gérées, peuvent freiner l’application stricte de ces principes fondamentaux. En effet, comment rédiger un signalement surtout lorsque l’on dénonce des crimes que la violence, l’inceste ou la pédophilie. Dénoncer l’inconscience familiale, l’irresponsabilité parentale qui peuvent engendrer le décrochage, la délinquance ne produisent pas les mêmes conséquences ni les mêmes angoisses lorsque l’on dénonce des faits criminels qui peuvent concourir à entraver la liberté des personnes dénoncées, où mettre à mal leur honneur, leur réputation, leur psychologie. Nous avons tous en mémoire ces enseignants ou ces notables qui se sont suicidés parce qu’ils ont été salis alors que la dénonciation dont ils faisant l’objet n’avait le moindre fondement. Certains élèves ou jeunes utilisent ces accusations comme règlements de comtes, comme chantages et ne mesurent pas toutes les conséquences sur la vie personnelle, morale, familiale des personnes mises indûment en cause. C’est pour cela, il ne revient pas à l’école de s’ériger ni en procureur ni en juge d’instruction ni en tribunal, elle n’a pas à mener des enquêtes mais simplement à rapporter la parole, et rien que la parole des élèves ou des faits constatés.  Cette nécessité de neutralité doit être une exigence d’objectivité, et une volonté de ne pas traumatiser l’élève.

 

Le signalement peut avoir des conséquences traumatiques

Par ailleurs, comment faire ce signalement au Proc sans créer de traumatisme chez l’élève. En nous confiant la maltraitance  ou l’abus sexuel dont il a fait l’objet, l’élève souhaite inconsciemment ou volontairement attirer notre attention, notre écoute, notre sympathie et peut-être notre intervention. Il faut donc ne pas passer à côté et donc accorder toute la considération aux mots, aux maux, aux souffrances exprimés. Il ne nous appartient nullement de nous interroger, de mettre en doute, de relativiser ou d’amplifier, le mal être de l’élève est à entendre, poin,t final. Le problème est que souvent l’élève cherche à se soulager en sen confiant sans chercher à engager une procédure qui lui fait peur : des représailles, de ses culpabiliser, de devoir s’expliquer, de devoir revivre des moments douloureux, de s’affronter, d’affronter ses propres démons. D’autres éléments fondamentaux peuvent orienter l’action de l’élève et la non volonté de porter plainte : la crainte d’être stigmatisé, la honte d’avoir pu se laisser faire ou subir, les représailles ; la peur de ne pas être à la hauteur, le fait de ses  culpabiliser et de se sentir à l’origine de ses souffrances alors qu’il est en fait la victime. Et puis être « balance » quelle douleur, surtout lorsqu’il faut « balancer » un parent ; la loi de l’omerta prend de l’ampleur. Et quelle honte de devoir se découvrir, avouer que l’on a été victime, exprimer son désarroi et accepter d’être aidé par un extérieur.

 

Savoir prendre de la distance

Si le signalement sert à protéger l’élève victime, il ne faut pas que celui qui le formule se rende lui-même victime d’une quelconque culpabilité qui peut devenir traumatisante. Il faut répondre à son devoir, mesurer les risques mais doit se tenir à l’écart de toute implication personnelle. En signalant, certes on engage une procédure qui peut déboucher sur des situations que l’on ne saura plus maîtriser mais l’on n’est pas coupable des ennuis causés à celui ou celle qui a commis un délit ou un crime, si ennuis il y a . Il faut donc tenter de vivre avec distance cette action, accepter que l’élève, ses parents vous en tiennent dans un premier temps rigueur. Il ne faut pas chercher à se justifier mais à expliquer la nécessité et l’utilité de son action, juridique et/ou morale. Il ne s’agit pas de s’investir affectivement mais de rester dans une posture professionnelle qui vous permet d’encaisser s’il le faut, et continuer à suivre et à aider l’élève. Et si des menaces de représailles sont émises, il ne faut pas hésiter à porter plainte et ne pas être transis par ses peurs ou ses angoisses.  

 

Et la suite…

Le problème est justement dans la suite. Non seulement, elle prend du temps ; on n’y est pas non plus informé, et il faut continuer à s’occuper de l’élève. On aimerait tant que les choses avancent, et avancent vite pour sortir l’élève de son mal-être mais le temps judiciaire ne correspond pas forcément au notre.

Et la suite, pour bien la  conduire, il faut éviter de ressasser avec l’élève sa situation, ses maux, ses souffrances, il faut passer le relais aux professionnels aguerris, il faut faire preuve d’une vigilance souple, il faut travailler en équipe sans mettre à nu l’élève, il faut comprendre, suivre sans utiliser la situation contre l’élève ou comme moyen de dédouanement, il faut remettre l’élève dans sa situation d’élève tout en étant à la fois ferme et empathique.

 

Le signalement au Procureur de la république  est un acte éducatif majeur qui ne doit pas être banalisé mais qui ne doit induire aucun état d’âme. Bien au contraire, il peut permettre à nombre d’élèves en souffrances à se restaurer dans leur statut de victime. Le signalement au procureur de la république et le procès qui peut en découler peuvent convaincre les victimes qu’ils ne sont en rien coupables de ce qui leur arrivé. Ils ou elles ne doivent se sentir coupables d’avoir séduit, offensé, provoqué, les rôles ne doivent pas être renversés.  Enfin, il convient d’accompagner l’élève victime vers une prise en charge par une ou des personnes qualifiées, un suivi psychologique, éducatif et judiciaire est souvent requis. Et là le travail en équipe est absolument indispensable.

Sur le site du Café
Par fsolliec , le samedi 15 mars 2008.

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