- Délégué: une fonction à part 

Dossier spécial

LA FONCTION DE DELEGATION ET DE REPRESENTATION DES ELEVES

Les conseils de classe arrivent à grands pas, le moment du bilan s'impose. Plusieurs questions turlupinent les conseillers principaux d'éducation, notamment celle afférente à la formation des délégués de classe.

1) Former les délégués, pourquoi ?
Pourquoi faut-il donc former les délégués à affronter le conseil de classe ? Cette formation répond au moins à un triple objectif : institutionnel, éducatif et pédagogique. Institutionnel parce que la formation répond à une commande mais pas uniquement. Il s'agit bien d'inscrire les élèves dans un processus d'apprentissage de la parole maîtrisée, de la collaboration avec les adultes, il s'agit de les mettre au coeur des enjeux et de leur faire apprendre la démarche démocratique. Educatif parce que la fonction de délégation impose des droits et des devoirs à jouir et à respecter sans empiéter sur ceux des autres, ces droits et ces devoirs imposent la délimitation de la liberté de chacun, fixent aussi les limites et les repères, et là aussi la relation élèves-adultes ne peut pas être artificielle mais construite, elle ne peut pas être arbitraire, l'autorité s'articule autour des valeurs, d'une éthique et d'une ouverture à l'autre qui mérite d'être prospérées. Pédagogique, la fonction de délégation et de représentation des élèves permet l'accompagnement, le suivi et la compréhension des enjeux scolaires, et donc d'orientation, de la réussite.

A partir de là, former les délégués à comprendre ce qui se joue au conseil de classe s'avère fondamental. Le vocabulaire, les jeux de rôle, les rouages du système et les enjeux pour les élèves sont nombreux et complexes même si le conseil de classe a ses limites en terme de décision, celle d'orientation revient in fine au chef d'établissement après un dialogue constructif avec la famille. Et dans le contexte de questionnement sur l'efficacité des redoublements, la question sera encore plus prégnante.

2) La citoyenneté scolaire, leurre ou idéal ?
La formation des délégués, et pas uniquement dans l'objectif de bien affronter le conseil de classe, reste un enjeu majeur dans la construction démocratique, mais encore faut-il que chacun, élèves et enseignants accordent du crédit à cette fonction de délégation. Les enseignants la jugent souvent démagogique, contre-pouvoir, une volonté institutionnelle de réduire les marges de la pédagogie. Les élèves, conscients des limites de ce processus démocratique, il suffit de voir comment certains délégués sont élus (forte tête, élections artificielles, désignation par la vindicte populaire ou par le professeur principal ou non) pour s'en convaincre et pour les dégoûter du sérieux de la chose publique. L'une des problématiques fondamentales de la citoyenneté scolaire est qui représente qui, quel crédit, quelle légitimité pour ceux qui parlent, exercent, décident au nom de la majorité, une majorité silencieuse. D'où la question qui surgit : la citoyenneté scolaire est-elle possible dans l'espace scolaire, constitue-t-elle un leurre ou un idéal à atteindre. Et même, sans provocation aucune, il faut se demander si la citoyenneté adulte s'exerce au sein de l'établissement scolaire ? Qui parle au nom de qui ? Les adultes savent-ils se parler ? S'écouter ? Se comprendre avant de se juger ? Qui représente qui ? Qui s'impose et pourquoi ? La majorité a-t-elle un pouvoir ? Les sanctions sont-elles moyens d'obtenir la paix sociale ou prennent-elles en compte l'action éducative ? Pourquoi l'affectif, même entre adultes, a-t-il un rôle si prégnant ? Se respectent-ils ? Etc...

3) Les limites de la délégation
La fonction de délégation, pour qu'elle soit efficace, suppose que chacun sache ce qu'elle signifie, ses objectifs et ses finalités, mais aussi, pour qu'elle se révèle utile, que chaque élève et chaque personnel ait les capacités d'investir celui à qui il délègue tout ou partie de son pouvoir. Or, la fonction de délégation n'a pas dans l'établissement scolaire une réelle reconnaissance, elle s'exerce en et par les marges, elle est dans l'interstice. Et cela, parce que chacun n'est pas mû par l'exercice concret du processus démocratique. L'élève, bien qu'ayant reconnu exerçant un « métier » n'a pas de statut, on confond sa personne avec son rôle d'élève, on lui reconnaît peu de crédit tant à sa parole, ses initiatives, ses propositions, la pédagogie phagocytant tout. Il est là pour apprendre, réussir, s'insérer, si possible accréditer l'effet-établissement (bons résultats aux examens....), le reste ne serait que vent, littérature. Et toutes les instances, toutes les dispositifs, tous les textes visant à reconnaître une place à l'élève dans la relation pédagogique et éducative ne seraient que démagogiques, fallacieux, « poudres aux yeux » d'une institution pour flatter une jeunesse rebelle. Nous entendons plus souvent les personnels exalter le retour de l'autorité comme réponse à tous les maux et décrier toutes ces activités vaines qui prétendent donner du sens à côté du savoir et des apprentissages. Et pour étayer leurs arguments de cette prétendue vanité des dispositifs et des instances, les élèves eux-mêmes sont appelés au secours, « ils ne s'engagent pas, ils n'y croient pas, ils ne sont pas demandeurs ». Mais ce désintérêt, ce désinvestissement ne sont-ils pas la conséquence de ce que les adultes leur inculquent, et même de la manière dont ils jouissent eux-mêmes de leurs droits et devoirs au sein de l'établissement. Sommes-nous, en tant qu'adultes force d'exemples, d'initiatives, croyons-nous nous-mêmes à notre capacité d'avoir des droits et des devoirs et de les exercer, ou sommes-nous en attente, force de critique mais très peu force de propositions et d'initiatives, force de changements, non pas révolutionnaires, mais participatifs, réalistes ?

4) Dépasser la formation d'une « élite » pour former l'ensemble »
Pour former les délégués et leur permettre de donner du sens à leurs fonctions, il s'avère nécessaire de former l'ensemble de l'établissement. Les instances de parole, de débat, de confrontation, d'ouverture à l'autre sont donc indispensables. Mais le préalable nécessite que les élèves sachent maîtriser leur parole qui ne doit ni être blessante, ni diffamante ni vertueuse. Cette capacité de dire tout en sachant écouter, comprendre, s'ouvrir au regard de l'autre s'apprend. Le débat oui, mais refus du dogmatisme, de l'idéologie, du prosélytisme. Le problème est que l'exercice de la parole de l'élève fait peur parce qu'elle est spontanée et parce qu'elle contraint à la remise en question de soi, de ses certitudes et de ses prétendues vérités. Le problème est que si l'on veut permettre à chaque élève d'exercer sa citoyenneté : reconnaître ses droits et ses devoirs, reconnaître l'élève comme un « Homme », ce qui suppose la reconnaissance d'une égale dignité humaine, si l'on souhaite former chaque élève avant de procéder aux élections des délégués et de sensibiliser aux fonctions de délégation et de représentation, il faut du temps, une refondation des rapports pédagogiques et éducatifs, un renversement du regard, il faut en fait repenser le fonctionnement et les structures de l'école. Mais comme la pédagogie, le savoir, les apprentissages occupent plus 90% de la réalité de l'école, les 10% qui restent pour la chose éducative, l'exercice politique (et non pas politicien) ont du mal à exister. Ce n'est pas pour autant qu'il ne faut pas former les délégués, et faire avancer la formation à la citoyenneté, défendre la place de l'éducatif, croire en la capacité et en la volonté de chacun de repenser et de refonder sa propre place au sein de l'école : adultes et élèves. Faisons le rêve que cette refondation qui s'appuiera entre autres sur la reconnaissance à la fois de l'élève et de sa personne permettra d'éviter bien des crises qui secouent actuellement notre école. Les conseils de classe peuvent être un prétexte à la formation des délégués, mais celle-ci serait tronquée si elle ne se limitait qu'à cela. Cette formation doit être plus large, et s'exercer au quotidien de la classe et de l'établissement pour être formatrice. Ce qui suppose que le professeur reconnaisse le délégué comme un représentant de la classe et non pas représentant de lui-même, défendant ses intérêts particuliers (comment représenter la classe, comment parler au nom des autres cela s'apprend aussi), les adultes doivent reconnaître le délégué comme un intermédiaire, un médiateur, celui qui fait le lien, qui crée une impulsion, et non pas le chef de classe, ou celui qui accompagne les élèves malades ou fait la tournée de l'établissement pour retrouver le cahier d'appel et de textes. Le délégué n'est pas un défenseur ou un avocat même s'il se conçoit comme tel, ou est représenté comme tel, même par les adultes d'ailleurs. Sa prise de parole, ses initiatives se discutent, se préparent avec les autres élèves. Et il lui faut une formation à la communication, comme il faudra le former à communiquer avec la classe, à recueillir leurs doléances, leurs propositions, et il faudra le former à la transmission et au compte rendu. Parler en conseil de classe, faire valoir ses arguments, poser des questions et tout cela sans heurter, en étant diplomate n'est pas inné, un temps de formation est indispensable, sinon, la solidarité professionnelle le renverra à ses chères études. Et il sera peut être pris comme bouc émissaire alors qu'il parlait, certes maladroitement, au nom des autres. De même savoir prendre des notes, comprendre les enjeux, maîtrise les jeux de rôle et de pouvoir, savoir se positionner (voir et être vu), avoir une posture, dans la classe, au conseil de classe ou dans l'établissement, cela s'apprend, les délégués doivent y être formés. Il n'est pas non plus aisé de conduire une réunion de la classe, exploiter un questionnaire, relativiser les propositions et doléances, savoir ne pas entrer en conflit, contourner, savoir ne pas chercher à vaincre mais à convaincre, savoir écouter les autres, comprendre leurs arguments, les discuter sans insultes, sans violences, savoir s'ouvrir à l'autre sans chercher à le dénigrer faute de ne pas être en accord avec l'autre, savoir se départir de l'affectif pour entrer en relation, savoir prendre du recul, prendre de la distance et ne pas confondre sa personne avec sa fonction, apprendre à ne pas mépriser, à ne pas rabaisser, à ne pas se sentir supérieur, cela s'apprend, les délégués vis-à-vis de leurs pairs, les adultes vis-à-vis des délégués et des autres élèves.

6) Former, une affaire d'équipe
Cette formation peut être dispensée par le CPE mais elle n' a de sens que si elle engage les professeurs, la direction, l'infirmière, l'assistante sociale, si elle repose sur une équipe, si elle a un cadre, si chacun est convaincu de sa nécessité. Mais quand ? La question du temps est souvent la question qui fâche. Soit cette formation se fait sur le temps de cours, et donc l'on prive les élèves de cours, et les collègues se fâchent, estiment que « le jeu ne vaut pas la chandelle », les cours, la pédagogie, la réussite scolaire priment sur la citoyenneté, sur l'éducatif, mais là rien de nouveau. Soit cette formation se déroule hors du temps, et là qui vient ? Les activités des uns et des autres happent, et surtout la conviction que cela ne servira à rien achève de convaincre les uns et les autres que ce sera du temps perdu. Et d'autant plus que ce sont toujours les mêmes qui donnent de leur volontariat, qui acceptent de faire plus. Le facteur temps et la nécessité du bénévolat tuent souvent dans l'oeuf toute initiative, tout projet, il manque souvent l'impulsion collective, la force du nombre. D'autant plus que la formation s'étale sur une durée assez longue, si elle se veut vraiment « formatrice », efficiente, utile. Des moments d'échanges, de connaissances mais aussi de retour, d'échanges de pratiques.
On peut aussi utiliser les services payants d'un organisme spécialisé : AROEVEN, CEMEA et CLEMI (plus spécifiquement sur la problématique de l'usage de la communication et des médias) ; Mais ce type de formation se fait sur un temps précis, fait peur parce que les élèves peuvent être manipulés et surtout il ne repose pas sur une équipe. Il peut néanmoins être utile faute de temps et d'équipe au sein de l'établissement.

7) Aller au-delà de l'établissement
La formation des délégués peut dépasser le simple cadre de l'établissement en se mettant en place dans le cadre d'une formation inter-établissements, soit dans le cadre d'une liaison collège-lycée, lycée-lycée ou dans celui d'un CESC commun. Des projets, des activités, des formateurs communs. L'idée consiste à permettre aux élèves d'appréhender d'autres réalités, de comprendre la problématique de la citoyenneté scolaire comme une problématique générale, systémique et non une réalité locale. Par exemple, on peut mettre ainsi en place, des actions concernant la sécurité routière, une visite de l'assemblée nationale, assister à un débat, à un procès, avoir des interventions communes (exposition 13-18), partager une journée commune de formation, etc.


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