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Rédaction : Didier Missenard



Dans cette rubrique, une critique de l’intéressant livre d’Yves Matheron : « Mémoire et Etude des Mathématiques ».



"Mémoire et Étude des Mathématiques"

Yves Matheron a soutenu en 2000 une thèse intitulée "Une étude didactique de la mémoire dans l'enseignement des mathématiques au Collège et au Lycée. Quelques exemples". Le livre qu'il publie aujourd'hui est à la fois un prolongement, et une synthèse de ce travail.

Le point de vue de l'auteur s'inscrit dans le courant "anthropologique" de la didactique, où le chercheur n'observe les phénomènes d'apprentissage, ni en ne s'intéressant qu'à l'élève (comme pourrait le faire un psychologue), ni seulement en examinant l'institution dans laquelle cet apprentissage se fait (comme le ferait un sociologue) : il se place plutôt à l'interface entre les deux et "s'efforce de comprendre (…) comment des individus parviennent à partager des pratiques, des représentations, des croyances, des souvenirs, en un mot du sens, produisant ainsi (…) ce que l'on appelle de la culture" (J. Candau).

Le choix d'une entrée par la mémoire comme fil rouge est assez risqué, vu la polysémie du terme, et son usage divers, aussi bien dans la langue courante que dans des disciplines variées. Néanmoins, après lecture, il apparaît cohérent, car permettant de bien "lire" certains aspects des déroulements des processus d'apprentissages en mathématiques. L'ouvrage est en effet émaillé de nombreuses observations de classes, qui viennent étayer et faire vivre les interprétations qu'en fait l'auteur.


Un passage (p. 166-167) me semble emblématique du type de questions évoquées. L'auteur cite E. Bautier et J.-Y. Rochex qui « renvoient dos à dos deux types d'explication causale pour l'échec de certains élèves. Celle qui consiste à l'attribuer à l'absence de "motivations" dont résulte un manque de travail des élèves. Et celle qui la recherche dans des lacunes et déficits cognitifs antérieurs ; il en résulterait, par contre coup, un manque de "motivation". (pour y remédier, il conviendrait d'analyser) l'activité réelle des élèves et les processus – cognitifs et subjectifs – qui peuvent en rendre compte, (…) et les résistances propres à leurs rapports au savoir, (…) en travaillant à mieux élucider ce sur quoi achoppe cette activité, ce en quoi ces rapports peuvent faire que certains élèves résistent à l'apprentissage et au travail qu'il requiert. »

Y. Matheron en dit que « ce programme nous semble être celui de la didactique. Parce que c'est l'objet fondateur de son champs d'étude, elle vise à rendre compte de l'activité mathématique, du rapport qu'y entretiennent les élèves et de son évolution, des processus de conversion des assujettissements aux dispositions nécessitées pour l'étude, loin des discours englobants et extérieurs à la réalité de l'activité mathématique. (…) Les processus subjectifs sont liés, en première approche, à l'adhésion plus ou moins forte au contrat didactique qui "interpelle les individus en sujets" (…). Une conséquence en est l'existence ou non d'un jeu permettant une réflexion menée vers sa propre pratique des mathématiques ; cette réflexion résultant de la place assignée par l'institution à l'élève, ou encore qu'il décide lui-même de s'assigner au cours du processus d'étude. Des élèves trop engoncés dans la fonction que leur attribue traditionnellement le contrat ne peuvent mener cette réflexion sur les outils de leur pratique. (…) On retrouve, en ce point, un des postulats anthropologiques sur lesquels nous nous appuyons, et qui pose que l'activité cognitive privée ne saurait s'exercer indépendamment des conditions sociales assignées à la personne qui s'y livre, et des conditions qui favorisent ou non l'engagement dans ces pratiques. »


Ce livre vous promènera à travers des analyses variées de l'enseignement des mathématiques, où vous pourrez rencontrer divers concepts didactiques, des exemples soutendus par une étude épistémologique, des analyses appartenant à d'autres champs disciplinaires que la didactique. À l'issue de cette promenade, vous vous serez familiarisés avec le distinguo proposé par l'auteur entre mémoire du savoir, mémoire pratique, et mémoire ostensive. Cette réflexion vous aura peut-être permis de prendre du recul vis à vis des phénomènes qui se déroulent dans vos classes, et, de ce fait, d'en avoir une meilleure lecture, voire une meilleure maîtrise.

Cet ouvrage est dense ; il vous initiera à l'usage d'un vocabulaire technique, et vous fera visiter divers rivages qui vous donneront peut-être envie d'en savoir davantage, en épistémologie, en philosophie, en théorie de l'apprentissage, faisant de vous un praticien encore davantage réflexif… L'abondante bibliographie est une invite à cela.


"Mémoire et Étude des Mathématiques", d'Yves Matheron, Presses Universitaires de Rennes.


Le site des Presses Universitaires de Rennes

http://www.pur-editions.fr



Par dmissenard , le jeudi 18 mars 2010.

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