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La chronique de Lyonel Kaufmann 

Après le maelström en 2008 des commémorations du quatre-vingt-dixième anniversaire de la signature de l’armistice de Rethondes et de la disparition la même année du dernier poilu, le temps de la recherche historique est peut-être revenu. Renouvellera-t-il notre enseignement de 14-18, voire notre enseignement de l’histoire tout court à l’ère du numérique ?

Dans le champ éditorial, il faut relever la parution à fin 2011 de l’ouvrage d’Emmanuel Saint-Fuscien, À vos ordres ? La relation d’autorité dans l’armée française de la Grande Guerre [1] qui apporte une nouvelle pierre à notre compréhension des liens entre les soldats du rang et leur hiérarchie au long de la Grande Guerre. Dans cet ouvrage, note La Vie des idées


« [Emmanuel Saint-Fuscien] prend le problème à bras-le-corps en cherchant à décrire et à expliquer les mécanismes par lesquels l’autorité militaire a pu s’exercer, apparemment sans trop de heurts, quatre années durant. » [2]


Ce compte-rendu met en évidence la qualité du travail réalisé sur les archives par l’auteur sur quatre grands massifs documentaires soit environ 150 écrits militaires consacrés à l’autorité et à l’obéissance avant et dans l’immédiat après-guerre confrontés à 140 témoignages de guerre visant à saisir ce qu’a été, sur le terrain, l’exercice effectif de l’autorité auxquels s’ajoutent encore les archives du contrôle postal et finalement les archives judiciaires du tribunal du conseil de guerre de la 3e division d’infanterie (DI).

Un tel ouvrage sera utile à l’enseignant dans l’appréhension d’une dimension importante dans le champ historiographique français comme il pourrait permettre à l’élève d’appréhender le métier de l’historien et la distance qui sépare le travail scolaire sur un corpus limité, formalisé et généralement convenu de sources et documents du travail de bénédictin réalisé ici pour un travail de thèse désormais publié.

Par ailleurs, avec la lecture du compte-rendu, l’enseignant dispose même de deux problématiques à proposer à ses élèves.

La première se poserait de la manière suivante : « obéir est-ce adhérer à la guerre? »

Une deuxième problématique envisageable prend corps alors que l’analyse des archives judiciaires mettent en évidence que

« la justice militaire vise quasi exclusivement (97% des 1 078 individus incriminés) les hommes du rang, […], issus presque exclusivement des classes populaires et marginalement, de la petite bourgeoisie. »

Cela amène Nicolas Mariot, auteur du compte-rendu, à poser la question : « une justice de classe ? »

Ainsi donc deux questionnements issus d’un travail d’historien deviennent un matériau pour la compréhension historique de nos élèves et peuvent s’inscrire dans l’espace de la classe. [3]

Ceci doit nous amener à réfléchir aux conséquences de l’enseignement à l’ère numérique en rapport avec nos pratiques habituelles, car  l’enseignant qui complète sa connaissance d’une problématique historique côtoiera peut-être l’élève qui cherche de l’information sur le même sujet. A moins qu’ils n’abordent cette histoire côte à côte dans un enseignement renouvelé de l’histoire ? [4].


Lyonel Kaufmann, Professeur formateur,

Didactique de l’Histoire, Haute école pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse)

 


 

Notes

[1] Emmanuel Saint-Fuscien, À vos ordres ? La relation d’autorité dans l’armée française de la Grande Guerre, Paris, Éditions de l’EHESS, 2011, 310 p.

[2] Nicolas Mariot, « Obéir en 1914-1918 », La Vie des idées, 3 mai 2012. ISSN : 2105-3030. URL :
http://www.laviedesidees.fr/Obeir-en-1914-1918.html

[3] D’autres matériaux sont disponibles en la matière. Concernant les travaux d’Emmanuel Saint-Fuscien, signalons le dossier du CNDP sur les fusillés de la Grande Guerre qui comprend notamment un interview de l’auteur (http://www.cndp.fr/pour-memoire/les-fusille[...]) et des documents issus de son travail ainsi qu’une émission du «Bien commun» sur France culture (20 mai 2010) sur les Conseils de Guerre (http://www.franceculture.fr/emission-le-bi[...])

[4] A ce titre je vous invite à méditer sur les propos d’Eric Sanchez

«Il faut arrêter de se dire on va transposer des pratiques usuelles avec le numérique et on va faire moins bien finalement parce qu’on va forcer les choses, mais plutôt on va se dire « ok » ça nous offre des possibilités de faire des choses qu’on ne pouvait pas faire avant.»

Eric Sanchez. Être enseignant à l’ère du numérique, défis et opportunités.

URL :
http://www.canal-u.tv/video/centre_d_ense[...]



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Par jeanpierremeyniac , le lundi 28 mai 2012.

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