Twitter : reconstituer l’histoire en 140 caractères 

Par Lyonel Kaufmann


Depuis 2007, les blogs pédagogiques ont connu un développement réjouissant. Qu’en sera-t-il de l’utilisation du microblogging (twitter, identi.ca) ? L’expérience en cours de TwHistory mérite déjà le détour.


TwHistory(1) est un projet développé par Tom Caswell et Marion Jensen, deux doctorants de l’Université de l’Utah. Leur objectif consiste à développer des scénarios consacrés à la reconstitution d’événements historiques. En été 2009, ils ont procédé à leur première reconstitution : la bataille de Gettysburg. Comme pour la vraie bataille leur reconstitution a duré quatre jours, organisée autour de participants endossant les habits de onze personnages-clés liés à la bataille, dont le président Lincoln. (2)

Pour les créateurs de TwHistory, une telle démarche permet aux participants de

1. développer du contenu favorisant la compréhension et la connaissance d’un personnage historique ;

2. développer leurs connaissances historiques au travers de l’analyse des sources historiques ;

au travers d’une démarche fortement participative et collaborative.

Alors que pour cette première expérience, celle-ci a réuni des étudiants universitaires, le concept a été repris ensuite à la rentrée d’août par C. Freeman, participante lors de la bataille de Gettysburg et enseignante dans un lycée de Saint-Louis pour une reconstitution à l’automne de la crise des missiles de Cuba. (3)

Pour sa part, de l’autre côté de l’Atlantique, à Coblence en Allemagne, Daniel Eisenmenger a également transposé cet automne la démarche dans une classe de dernière année du Eichendorff-Gymnasium (lycée). Cette fois-ci, il s’agissait de reconstituer les travaux et débats tenus entre le 18 et le 31 mai 1848 par l’Assemblée nationale constituante allemande (verfassunggebende deutsche Nationalversammlung), couramment appelée en allemand l’Assemblée nationale de Francfort (Frankfurter Nationalversammlung). Ses 831 membres siégèrent à l’église Saint-Paul de Francfort-sur-le-Main, où le roi Frédéric-Guillaume IV de Prusse donna son accord à l’idée d’une Constitution du Reich allemand.

Lors de cette dernière reconstitution historique, les étudiant-e-s ont assumé les rôles de six membres de la réunion de l’Assemblée nationale de Francfort. Trois outils numériques furent utilisés pour réaliser ce projet: un blog, twitter et un wiki. La séquence a été prévue sur 8 à 10 heures et organisée en quatre phases. Très clairement, les objectifs de la séquence combinaient tant des compétences disciplinaires en histoire qu’en éducation aux médias. En outre, la séquence alternait des phases de travail en petits groupes et d’intégration individuelle. (4)

De telles démarches nécessitent de la part des participants de faire notamment faire preuve d’un bel esprit de synthèse lorsqu’il s’agit, par exemple, de synthétiser en 140 caractères le fameux discours de Lincoln (5) prononcé après la bataille de Gettysburg. Elles engagent également les participants à une importante étude de sources que l’enseignant doit sélectionner en nombre limité, mais qui, sous une forme choisie, motve grandement les élèves. Autrement, comme l’indique D. Eisenmenger, le contenu retenu sera aussi aride au final que le matériel déjà contenu dans les manuels scolaires. Le côté vivant des débats doit être préservé. 

Néanmoins, D. Eisenmenger a aussi pu noter que si les élèves utilisent l'Internet de manière sélective, ils n’ont qu’une connaissance lacunaire des blogs ou de twitter. Dès lors, l’usage du blog, d’un wiki ou de twitter n’ira pas naturellement de soi pour les élèves. Toutes les questions concernant l’éducation aux médias restent très prégnantes. D’autant plus qu’il ne s’agit plus uniquement de consommer via l’Internet, mais 

- de produire du contenu mis en ligne

- d’acquérir et de maîtriser des outils peu connus des élèves (en cela la situation n’est guère différente de l’acquisition et de la maîtrise par les élèves de logiciels traditionnels);

- de réfléchir à la production médiatique ainsi réalisée.

Si ce temps est nécessaire, il se fait quelque peu au détriment du contenu historique. Pour que l’utilisation de ces outils soit rentable, elle doit être faite, selon Daniel Eisenmenger, en permanence en classe et ne pas se limiter à une seule séquence, aussi intéressante soit-elle. Peut-être faut-il également réduire l’impact des technologies utilisées en classe en laissant quelque peu de côté blog et wiki pour utiliser prioritairement twitter ou une autre plate-forme de microblogging.

Au final, l’avis des élèves relativement à une telle séquence aboutit à une évaluation très controversée. Certains  y ont salué l'intégration des médias numériques dans la salle de classe, d'autres y voyaient une salle de classe tout simplement chamboulée et ont manifesté leur désir d’un retour à un enseignement “traditionnel”.

Du côté des enseignant-e-s, les initiants de TwHistory sont conscients que de telles activités doivent prendre en compte la variable temps, le nombre limité de périodes accordées à l’enseignement de l’histoire et la nécessité de concevoir des scénarios reproductibles d’une année à l’autre. Elles devraient également intégrer la question des curricula pour s’intégrer dans l’activité habituelle de la classe. Enfin, leur objectif consiste aussi à développer des scénarios en plusieurs langues, voire de développer des outils de traduction permettant la participation en temps réels ou différés en plusieurs langues.

Dans cette optique, TwHistory vient de conclure un partenariat avec OLnet (open learning network) pour développer leur projet et leur permettre d’évaluer l’apport de ces démarches dans l’enseignement et l’apprentissage de l’histoire. (6)

En outre, pour ma part, je compte développer avec un groupe d’enseignants francophones d'histoire ou enseignant le français en langue étrangère un premier scénario en français pour l’année scolaire 2010-2011. Toute personne intéressée est la bienvenue, n’hésitez donc pas à prendre contact avec moi si vous êtes intéressé-e. (7)


Lyonel Kaufmann, Professeur formateur, Didactique de l’Histoire, HEP Lausanne (Suisse)


Notes et Liens :

(1) Leur site : http://twhistory.org/
La présentation de leur démarche à Barcelone lors du 6e séminaire de l’Unesco consacré au e-learning :
http://prezi.com/u844gbe1oi34/.

(2) Les messages rédigés à l’occasion de la reconstitution :
http://twitter.com/Twhistory/gettysburg

(3) Le résultat des messages créés par les élèves :
http://thea.micds.org/twitster/index.php

(4) Daniel Eseinmenger a publié deux articles sur l’expérience réalisée avec les étudiant-e-s. Une version longue :
http://www.lehrer-online.de/paulskirchenprojekt.php?show_com[...] et une version courte :
http://www.lehrer-online.de/paulskirchenprojekt.php.
J’en ai réalisé une synthèse en français que vous pouvez lire ici :
http://lyonelkaufmann.ch/histoire/2010/01/19/twhistory-reconst[...].
Par ailleurs, le blog utilisé dans la séquence est consultable ici :
http://paulskirchenprojekt.wordpress.com/>

(5) Une version française du Discours de Gettysburg d’Abraham Lincoln :
http://www.larecherchedubonheur.com/article-5541461.html

(6) L’objectif de l’Open Learning Network (OLnet) consiste à favoriser le développement de ressources éducatives libres (Open Educational Resources) et d’apporter son aide à des chercheurs et à des enseignants. Ce projet est développé par l’Open University (Grande-Bretagne) et la Carnegie Mellon Université (États-Unis). Sources :
http://olnet.org/node/112.
Le partenariat présenté sur OLnet :
http://olnet.org/node/198

(7) Mon adresse courrielle: lyonel [point] kaufmann [at] hepl [point] ch



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Par jeanpierremeyniac , le vendredi 15 janvier 2010.

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