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ENSEIGNEMENT ET ENVELOPPEMENT STRATEGIQUE à travers l’exemple de l’histoire-géographie

Pour Gérard NAUDY, « notre système croupit d’un manque de stratégie à long terme » et dans cet article il défend, sous l’expression « enveloppement stratégique » l’idée d’aborder l’enseignement de façon plus globale par les situations-problèmes et en déplaçant notre relation au savoir. Radical, subversif, dérangeant… A lire.

Jean-Claude Michéa le dit. L’école d’aujourd’hui se trouve au rendez-vous d’un syndicalisme communisant qui a rejeté depuis les années soixante dix la culture qualifiée de bourgeoise et qui contribue aujourd’hui par contrecoup à la vision ringarde assenant celui qui transmet le savoir, et d’un capitalisme aliéné et consumériste riche de conceptions minimalistes. Celles-ci réduisent le service public au service du public par des mesures « technocratiques » développant une école aseptisée, radicalisant les mystères de l’appartenance aux rayons rasants de l’intendance. L’ordre de repli strict a sonné sur la forme la plus froide de la  forme scolaire: une heure, une classe, un enseignant, des cours et des exercices, évaluations. Dès lors, vouloir transmettre la culture à une nouvelle génération qui joue un rôle grandement passif dans son acquisition se heurte de plus en plus à une fin de non recevoir à moyens constants. Le self-service de notre « formation expérientielle » continue de nous proposer ses recettes aujourd’hui trop strictes, ses formules coutumières confortées par quelques adhésions éparses d’élèves bannissant d’autres postures et inspirations. Il y a aujourd’hui plus une crise de l’enseignement qu’une crise de l’Ecole. Entre le temps court de nos séquences qui est aussi celui des ego cherchant de part et d’autre à valider leur existence - l’accélération des échanges qui théâtralisent la classe obligeant la réflexion à se faire réflexe- et les temps longs qui sont ceux de la programmation officielle, le parti pris ici est de proposer le temps de l’action qui rime avec stratégie.

Notre système croupit d’un manque de stratégie à long terme sur le plan national.  L’accélération en effet, du processus d’intégration dans les années soixante dix n’a jamais engagé le changement de règles du jeu alors que l’école n‘était plus la même. On s’étonne des élèves qui ne savent toujours pas lire ni écrire correctement au lycée, mais ce sont plus de 800 heures de français auraient été sucrées aux élèves depuis les années 70 sur leurs quatre années de collège. La stratégie est aussi ignorée en tant que règle du maître. Si nous pensions désormais, non plus en termes d’objectifs - contraintes, au sens où l’on voudrait atteindre des objectifs tout de suite en éliminant les obstacles par la contrainte, mais en prenant comme point de départ les ressources de l’élève, de la matière, des dispositifs possibles. Au III ème siècle avant JC, Pyrrhus, roi d’Epire, tente de conquérir l’Italie. Il remporte une série de victoires tactiques sur les romains mais en subissant des pertes énormes, d’où ce mot fameux « Encore une victoire comme celle-là et nous sommes perdus ». Incapable d’exploiter son succès qui entretenait la poursuite de ses objectifs, il doit évacuer l’Italie… Nous n’agirions plus alors en termes de tactiques, sous forme d’objectifs planifiés, de plan de classe, plan de cours, plan de formation, plan de devoir, le plus souvent bien plan-plan au sens reproductif et traditionaliste, mais plutôt dans une optique de formation qui désigne la stratégie. Celle-ci engage la réflexion à moyen terme sur les ressources qui existent et sur les moyens d'en tirer partie. Ce sont les ressources qui sont déterminantes pour, ensuite, adapter les objectifs. Les choix sont ceux des contenus en tant que processus de l’action. La tentation du diable repérable ici dans la référence même travestie, à l’entreprise ou au champ de bataille s’arrêtera à imaginer une évolution possible de notre enseignement, passant d’une pratique de bricolage cherchant sans arrêt à acheter la classe, à un niveau supérieur de décision et d’action. Elle ne se confond pas avec la manipulation. De quelles traductions pourrions-nous bénéficier en prenant l’angle de vue au final de l’enveloppement stratégique qui invite à se positionner au niveau supérieur des règles de conduite plutôt que d’affronter les forces vives qu’elles organisent dans la classe. Un moyen : les situations-problème. Certes, elles ne font pas apprendre davantage ceux qui déjà n’apprenaient pas. Elles ne donnent pas de sens aux programmes, mais ont d’autres vertus.



Le recadrage d’une situation

L’enveloppement stratégique reviendrait dans un premier temps à recadrer la situation de telle façon qu’elle apparaisse totalement différente. L’histoire s’en nourrit. Churchill, par exemple,  pour continuer de recevoir de l’aide des Etats-Unis invente l’idée de « guerre froide » et de « rideau de fer », tournant l’allié russe d’hier en ennemi et les ennemis de la veille (allemands et japonais) en alliés de la démocratie pour mieux en exercer le contrôle économique. Voilà l’enjeu quand il est envisageable. C’était déjà le principe de la simulation globale, méthode développée par les professeurs de français langue étrangère dès la fin des années soixante dix et mis à l’honneur par Francis Debyser dans son ouvrage : «  l’immeuble », (1986). Un autre exemple en histoire-géographie :


Exemple de situation-problème didactique « Présentation de l’Europe » en géographie (4ème).

La consigne officielle est hachée menue : « L’Europe est d’abord située sur un planisphère, et on pose la question de ses limites, de son unité, de sa diversité. On met en place les principaux repères de la géographie de l’UE : environnement, caractéristiques de la population, axes majeurs d’échange…. » Cette présentation prise à la lettre apparaît sans âme. A moins d’envisager le programme comme un cadre, et la géographie comme un support et de rappeler sa vocation sociale de notre office auxquels tous les enseignements sont de près ou de loin les locataires, même indélicats … Considérons de façon expérimentale le territoire non plus seulement comme un espace physique, mais aussi comme un être vivant autour de notions choisies de ressources, besoin et limites Le travail de construction commence par un test personnalisé cherchant à clarifier les notions choisies de d’abord par rapport à soi. On cherche ensuite en s’appuyant sur des documents (présentant l’approche physique, puis économique..) à faire repérer les notions au niveau d’un espace territorial. Toute une démarche de transposition se met en place chez l’élève (limites a valeur de contraintes) par l’analyse de documents sur l’environnement, la population, les axes et la réalisation d’une carte de synthèse récapitulant les données. L’incertitude est de mise : pour le professeur qui s’interroge sur la réussite de l’opération, et pour l’élève qui cherche à remplir sa tâche, droits à l’erreur compris. Non seulement les élèves retiennent les principaux repères géographiques, mais retrouvent les notions envisagées.


A défaut de pouvoir toujours recadrer les situations, la plastique de notre matière- Il conviendrait d’employer davantage cette terminologie, précisant ainsi le caractère modulable ouvrant d’autres perspectives que celle de discipline d’essence plus stricte- nous permet des développements ou des préfaces conceptuelles. Privilégier les objectifs disciplinaires programmés en faisant semblant de ne pas voir l’ensemble des ressources qu’ils soumettent indirectement à l’étude ne permet qu’un adressage essentiellement scolaire des consciences. Seuls les puristes qui cherchent à former des historiens ou des géographes peuvent s’en satisfaire, en daignant oublier que l’histoire-géographie est la seule science sociale au collège. Et qu’elle est la seule matière qui croise la littérature, l’économie, la démographie, la sociologie,…L’Histoire est une lyre dont on ne joue souvent que d’une seule corde, comme s’il y avait un centre (l’évènement, l’évolution politique..) et des périphéries (la vie quotidienne, l’évolution de la pensée, des sciences, …). Ne peut-on pas amener un développement concernant le fonctionnement de la mémoire d’un point de vue scientifique après un exercice sur « la mémoire du Front populaire » (niveau 1ère) ? Une leçon sur l’Humanisme recadrée dans une perspective du rapport au savoir jusqu’à nos jours est-elle insensée? Serait-ce faire violence à l’Histoire que de traiter la Révolution Française (niveau 2de) en se donnant une problématique de règles: comment un peuple s’en est donné, les a appliqué, et a su jouer avec. Il y a bien des raisons de croire que cette approche qui propose de nouvelles perspectives soulève quelques sourcils charbonneux, suggérant que cette pratique s’éloigne de l’orthodoxie du champ disciplinaire. Mais c’est une façon de chercher à réhabiliter l’aspect désirable du savoir. Tout dépendra ici de la tactique. « Admettons que certains en riraient car fidèles à leur religion, d’autres seraient assurément pris et se convertiraient » (Erasme, à propos de la traduction de la Bible en langue vulgaire).



Installer de nouvelles formes de relations au savoir

L’enveloppement stratégique consisterait ensuite à axer davantage notre travail sur la teneur en valeur ajoutée du dit travail (ici la capacité à sa réutilisation du savoir) plutôt que sur la matière première (les savoirs enseignés) qui peine aujourd’hui à trouver preneur. Il s’agit de transformer notre infortune en avantage, c'est-à-dire privilégier l’investissement dans le capital humain sur la primauté actuelle donnée à l’investissement dans l’acquisition des savoirs âpres. En même temps on ne rogne pas sur les savoirs fondamentaux d’autant plus essentiels que le capital humain est un facteur d’importance croissante de l’efficacité dans une économie fondée sur la connaissance, et aussi – souci plus récent – dans la lutte contre la pauvreté.

Soyons subversifs en quittant la vision encore monolithique du rapport au savoir qui n’est jamais qu’un simple rapport cognitif - disciplinaire doublé d’un rapport social de la discipline subie, induite par la vision propre en amont des parents ou en aval par les enseignants, et qui les conduit à une conceptualisation de plus en plus fonctionnelle, sclérosée, et compartimentée des savoirs enseignés. Il faut miser sur un enseignement actif. Cela peut surprendre l’enseignant, passeur sabre au clair de l'histoire de l'humanité, mais le savoir n’est pas un « capital ». Il n'a jamais été  « purement gratuit ». Relier les savoirs à la réflexion, au même titre qu’à l'action et au travail est au cœur de l'existence individuelle et collective. C’est le sens des situations-problèmes d’apprendre aux élèves à réinvestir le savoir au lieu de le compiler jusqu’à le perdre. Elles constituent surtout des situations -obstacle dont l’élève ne peut être vainqueur qu’en mobilisant tous ses acquis sous forme de ressources qualifiées habituellement de savoirs, savoir-faire et savoir – être. Penser en terme de problème à résoudre, être capable d’avancer des solutions, tisse des liens entre les savoirs scolaires et les pratiques sociales. La stratégie consiste en la valorisation et la mobilisation des ressources humaines, la fertilisation des réussites et des innovations, l'optimisation de l'emploi des capacités décelées. Un exemple de mise en pratique :


Evaluation de classe de seconde : le citoyen athénien / Euripide (-480/-406), Les Suppliantes

Thésée -  « Notre ville n’est pas au pouvoir d’un seul homme. Elle est libre, son peuple la gouverne. Rien pour l’Etat n’est plus dangereux qu’un tyran. D’abord avec lui les lois ne sont pas les mêmes pour tous. Quand au contraire, les lois sont publiées, le pauvre devant la justice vaut autant que le riche. (...) Nul privilège à la fortune : car le pauvre et le riche ont des droits égaux dans le pays. La liberté existe où, lors des assemblées, (...) qui désire parler peut le faire. Peut on imaginer plus belle égalité ? »

L’envoyé de Thèbes- « La ville d’où je viens obéit à un seul et non à la multitude. Il  n’y a pas d’orateur qui la flatte et l’entraîne en tout sens pour son propre intérêt. (...) D’ailleurs, comment la masse, incapable d’un raisonnement droit, pourrait-elle conduire la cité dans le droit chemin ? Un pauvre laboureur, même instruit, n’aura pas le loisir de s’occuper des affaires publiques. »


Questions proposées au départ (source internet)

1. Présentez le texte

2. Chacun des 2 personnages est favorable à un régime politique différent.  Nommez les et montrez le à l’aide d’expressions du texte.

3. Relevez les éléments qui caractérisent la démocratie athénienne et expliquez les avec vos connaissances.

4. Relevez les critiques formulées contre la démocratie et expliquez les avec vos connaissances

5. En partant de vos réponses précédentes et à l’aide de vos connaissances, rédigez une petite synthèse où vous définirez la démocratie athénienne, puis vous montrerez toutes ses limites.


Questions par situation-problème d’intégration

1. Présentez la situation-problème en vous aidant de vos connaissances

2. Imaginez en réutilisant ses connaissances la suite des répliques du dialogue où chacun essaye de convaincre l’autre jusqu’à un accord commun.


Soit ensuite la grille critériée suivante (indicative) qui permet de recueillir des vraies informations fines sur la performance de l’élève mais aussi ses atouts et limites  dont la prise en compte donne lieu, ensuite, à des objectifs de remédiation. Communiquée à l’élève sur sa feuille de route, celui-ci s’applique peu à peu à la remplir au cours de l’année.


Items de compétence (histoire, géographie) : collège et lycée / Barème indicatif :

Mobilisation des savoirs :

1 Connaissances : niveau des acquis /4

2 Profondeur : utilisation des mots-clés /2

3 Transfert : réutilisation des savoirs /3

Mobilisation des capacités :

4 Pertinence : adéquation par rapport à ce qui est demandé /1

5 Cohérence : organisation de la production, raisonnement /2

6 Précision : clarté, concision, maîtrise de la langue /3

Mobilisation des attitudes :

7 Autonomie : prise d’initiative,  choix réalisés /2

8 Originalité : apports d’éléments personnels, réflexions, remarques /3


Le barème utilisé met l’accent sur les attentes classiques de la discipline : savoirs et capacités d’organisation (critères 1, 2, 4, 5,6). Mais le sujet posé en termes de situations-problèmes et la distribution des critères permettent de recueillir des informations pertinentes sur les capacités de l’élève (critère 3 notamment), de solliciter des ressources de l’être qui dépassent l’application disciplinaire (3,7,8). Cette grille d’évaluation devient grille de lecture afin surtout de rectifier, indices à l’appui, ensuite, les objectifs. On peut se dire qu’agir par situations-problèmes revient à hausser le niveau des exigences des apprentissages. En réalité elles proposent d’autres rampes de lancement permettant à l’élève en difficulté dans la matière de montre d’autres ressources que la grille de notation prend en compte. Francis Tilman (« les compétences à l’école secondaire », 2008) reconnaît que « Les élèves peuvent se motiver lorsqu’ils perçoivent le pouvoir de compréhension et éventuellement d’action que leur donne la maîtrise d’un certain savoir » mais surtout si en le faisant, ils gardent  voire améliorent leurs notes…Le danger serait de bannir complètement l’histoire-récit par l’utilisation systématique de situations problèmes. Jacqueline Beckers (« Compétences et identités professionnelles », 2008) invite à la nécessaire mesure. « Dans une approche qui serait essentiellement centrée sur la résolution de problèmes, où les savoirs seraient recherchés au service de ces situations, le risque est réel de construire de ceux-ci une représentation éclatée et en mosaïque qui ne favorisera pas leur mobilisation future ». C’est d’autant plus regrettable concernant l’enseignement de l’histoire. Même si la mémorisation des évènements dans une approche plus linéaire n’épouse pas non plus une forme plus continue. Il ne peut donc y avoir de changement d’un ancien concept (l’histoire-récit) par un autre (les situations-problèmes) mais plutôt compétition entre des concepts alternatifs qui peuvent être activés selon leur utilité du moment. Le progrès se pose donc en terme évolutionnaires davantage que d’éviction.



Organiser un tout autre jeu

« Le combat cessa faute de combattant » (Corneille). L’enveloppement stratégique consisterait enfin  à  subjuguer l’adversaire pour qu’il n’ai plus de raison de combattre (l’Ecole est encore une contrainte, sauf à réhabiliter Ivan Illich). Ce qui revient à dédramatiser non pas l’histoire, mais son enseignement qui ne demande qu’erreurs de date, de lieu, de personnages, d’évènements pour ensuite libérer la capacité d’action.

Agir dans l’incertitude est la première option dans ce sens. Notre enseignement amène l’élève à des stratégies du pauvre, son espace de réalisation est faible. Démarrer des séances d’apprentissage sans savoir exactement ce que l’élève en fera, c’est le propre des situations didactiques qui proposent la résolution de tâches « ouvertes » en lieu et place de tâches fermées, fragmentées, standardisées, courtes, relativement faciles, privilégiant l’écrit, le caractère individuel qui constituent hélas l’unique représentation disciplinaire. Accompagner l’élève dans sa démarche de questionnement et de créativité, ce n’est pas le mettre en difficulté, mais face à lui-même. « Pour ne pas se perdre dans l'ingénierie, il reste à élaborer du  métier d'enseignant des représentations communes de plus en plus fines, réalistes et explicites, à traquer ses non-dits, à mettre plus méthodiquement en évidence les urgences et les incertitudes de l'action pédagogique, sa part de bricolage, de solitude, d'improvisation, de déraison, de marchandage, de pouvoir aussi bien que de didactique et de connaissances rationnelles » (Perrenoud, « l’évaluation des élèves », 1997). L’Histoire, elle n’a pas de fond. Tout comme l’histoire de la personne elle a en commun de se construire avec des arrêts, des rebonds, des régressions. Au lieu de réduire donc le mouvement historique, il nous faut réduire le paradoxe d’enseigner par objectifs évaluables des évènements qui se sont produits le plus souvent sans aucun plan d’ensemble, de façon improvisée, en abordant une autre approche que la permissivité de la didactique autorise et que pour autant la tradition de l’enseignement rejette ou contourne : la confiance dans l’élève. L’incertitude de la tâche amène l’erreur. Mais ce qui se conçoit en sport comme un aléa, un élément du jeu, est généralement considéré de façon négative en classe et à ce titre se doit d’être sanctionnée. De plus, le caractère relatif de l’erreur est souvent effacé par le caractère absolu du jugement qui l’accompagne. La correction de l’erreur qui relève d’une pédagogie du même nom,  indique que l’élève a surmonté ses difficultés en construisant une réponse nouvelle.

Reste que cette pédagogie qui libère le travail scolaire en libèrera aussi d’autres stratégies comme s’accaparer les tâches qui se raccordent le plus aux tâches déjà connues. Les stratégies d’élèves sont des moyens d’expression, elles contribuent aussi à la bonne gestion de la classe. Sans elles la vie du groupe serait réduite à la stricte application de consignes formelles, donnant lieu à des rituels, des routines plus qu’à des actions efficaces. Les déceler et en parler ouvertement constituent une façon d’un point de vue stratégique de « battre » l’adversaire sur son propre terrain et ainsi et surtout de dédramatiser le rapport avec l’élève. Dans le même ordre d’idées, il n’est pas risqué d’expliquer à l’occasion la stratégie que soi-même on emploie, en quelque sorte mettre à nu le « cours du cours » : la recherche de situations obstacles, des effets de congruence et de saillance par exemple.

Dernier point, en déployant en classe les situations-problèmes, l’apprentissage se fait en classe. Le travail de résolution n’amène pas de trace écrite nourrie. L’élève est appelé à bien travailler en classe, et à moins apprendre à la maison que comprendre. Les élèves et les parents qu’il faut éclairer s’en trouvent un peu désorientés. « Monsieur, qu’est ce qu’il faut apprendre ? » On ne s’étonne pas que l’essentiel du travail demandé à l’élève à la maison, dans certaines matières comme les mathématiques, comme encore pour les langues vivantes ne consiste qu’à refaire des exercices. Mais pour l’histoire-géographie, noblesse du savoir oblige sûrement, tout le travail d’apprentissage, de compréhension des savoirs inhérent à une transmission la moins contextualisée possible pour ne pas en réduire la limite, et de maîtrise de savoir-faire purement scolaires est à la charge de l’élève. A lui de faire sa propre synthèse entre le la domestication du temps, l’appréhension de l’espace chronophage et l’intégration des bons sentiments via l’éducation civique. Cette contrainte antagoniste a son pesant de plus en plus insupportable surtout auprès des élèves chez qui on n’aurait déjà  pas réussi à attiser l’appétence pour le savoir. Renvoyer de surcroît la majeure partie de l’apprentissage à la sphère privée, c’est escompter qu’il y a quelqu’un à la maison le soir pour aide aux devoirs. L’objectif de réussite pour tous ne peut pas fonder sur ces bases de plus en plus erronées. Cette façon de faire entretient la reproduction sociale tout en décourageant l’assimilation réelle. Il y a certes un risque de faire ainsi « l’école à l’école », mais pas de façon temporaire ou aléatoire. « C’est transformer avant l’âge des élèves en employés modèles qui oublient tout en dehors des heures de présence dans l’entreprise » dit Perrenoud (« Métier d’élève et sens du travail scolaire, 1994). « C’est nier le besoin de solitude, de distance, de liberté » pour apprendre. Mais, il le dit aussi, ce n’est pas en exigeant des devoirs à la maison que l’on préviendra les inégalités. Par contre c’est ainsi que l’on accentue les tensions, comme la pression sur la note le fait déjà.



Impair et passe…

S’épuiser à la servitude d’un enseignement linéaire cherchant à restituer d’abord la séduction des savoirs en se mettant au niveau de la masse enseignée par tous les moyens, pour si possible créer la motivation si fluctuante, et pouvoir ensuite enchaîner d’autres espérances, nous amène à réfléchir à d’autres routes plus tortueuses mais qui n’en seraient cependant que plus directes. En plus de l’hommage rendu à notre Histoire nourricière qui ne désemplit pas d’exemples d’application depuis Démétrios, la notion de stratégie ne vampirise pas la transmission des savoirs mais l’oriente sous un nouveau soleil, d’Austerlitz, en lui donnant une autre représentativité. Déjà, le développement des notions de pédagogie active, de projet, la construction des équipes, l’apparition de nouvelles séquences pédagogiques (module, TPE, itinéraire de découverte, heure de vie classe...) sont autant de nouvelles exigences ou, pour certaines plus anciennes qui envisagent d’autres fronts. Il n’y a pas de traîtrise à greffer à nos modes actuels de diffusion des connaissances des emprunts venus d’autres répertoires pour creuser des pistes afin d’améliorer l’efficacité de notre action. La démarche d’utilisation des situations-problèmes qu’engage la perception stratégique n’est pas totalement défigurée au regard d’une quête de sens ouvrant un labyrinthe dont la transmission conventionnelle et linéaire des savoirs ne peut aujourd’hui constituer le fil d’Ariane. Ne les condamnons pas trop vite au chevet des apprentissages comme si l’école se découvrait tout à coup rationaliste ou matérialiste. C’est à un enseignement au final sociologisé et dédramatisé de l’histoire-géographie et de façon plus générale à une pédagogie émancipatrice que nous convie sans prétention le concept d’enveloppement stratégique ramené aux contraintes du terrain scolaire.

Gérard NAUDY est professeur à la Cité scolaire internationale de Lyon et formateur.



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Par jeanpierremeyniac , le dimanche 15 mars 2009.

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