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Le billet de Gilles Fumey : À quoi servent les cartes numériques ? 

L’Expresso a diffusé le 26 juin 2014 un lien sur un site offrant de voir comment se répartissent dans l’espace et selon la temporalité d’une journée, les connexions sur Twitter lors du réveil.

 

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Evidemment, ce document (appelons-le « carte animée ») est fascinant car les agrégations de données sur le comportement humain n’ont jamais existé avant le numérique. Mais cette carte fascine surtout les générations qui ont connu la bonne vieille carte statique. Pour les plus jeunes, je suis déjà plus dubitatif…

On voit donc comment les populations se réveillent et que leur réveil n’est pas corrélé, du moins dans l’hémisphère Nord, au lever du soleil. Dans l’hémisphère Sud où la part des gens connectés à Twitter est moins forte, où l’électricité n’est pas toujours disponible, on voit moins de choses. En revanche, dans les pays riches du Nord, le lever du jour ne coïncide pas toujours, loin s’en faut avec le tweet annonçant le réveil. Impact, sans doute, de ceux qui travaillent en décalé ?

A vrai dire, une fois les éclairs et les paillettes dans nos mirettes, cette carte ne nous dit pas grand-chose d’exploitable. Et il est permis d’en douter encore plus en classe. Pourquoi ? Justement parce que l’effet cinétique disperse l’attention, empêche de localiser les points, les mettre en rapport avec les autres. A moins d’arrêter le mouvement pour faire des photographies du monde toutes les deux secondes. Et encore !

D’autres cartes circulent sur le web sur les déplacements de population, sur l’éclairage nocturne, etc. Elles apportent toutes des informations qui ont leur sens, mais encore ? Elles posent la question de savoir si les jeunes générations habituées à ce genre de documents sauraient lire des phénomènes que nous ne lirions pas ? De ce fait, on serait en plein dans la co-construction d’un savoir à l’école qui prend tout son sens, mais à condition qu’un savoir critique soit assimilé au bout de l’expérience. On dira que là est la place de l’enseignant. Certes, mais l’enseignant a-t-il lui-même les ressources pour évaluer quelles causalités seraient à l’origine des phénomènes inscrits sur la carte ?

La cartographie  numérique est fascinante car elle remet en cause nos manières de lire le monde, d’en rendre compte par des technologies combinées et par les SIG développant des approches multifactorielles. Mais en est-elle plus riche pour autant ? Et les élèves sont-ils à l’école pour avoir des informations fines et croisées ou des bases pour eux-mêmes se débrouiller ensuite. A quoi servirait cette carte à un élève qui ne sait pas où les pays riches et les pays en développement ? Qui ne connaîtrait que superficiellement la carte du pavage des Etats ? Qui ne saurait nommer l’Inde, la Turquie ou le Pérou ?

On dira que tout ceci est implicite, va de soi, que justement, c’est ce qui poussera les élèves à chercher à nommer les pays où les phénomènes les intriguent… En est-on si sûr ?

Le fond de l’affaire serait, enfin, de savoir à quoi sert cette belle information selon laquelle on se fait plus « cui-cui » (tweet) dans les pays du Nord que dans les pays du Sud. La belle affaire ! Faut-il débaucher autant de technologies pour un si piètre résultat ?

Il faut se poser ces questions sans tabou. On assumera d’être l’empêcheur de tourner en rond lorsqu’on connaît tant d’établissements où les équipements sont sous-utilisés et où l’usage des nouvelles technologies n’est jamais réellement discuté. Le Café pédagogique est là pour témoigner que ce n’est pas la panacée et que, faute d’un discours rigoureux, d’une réflexion didactique suffisante, les cartes animées n’apportent rien qui vaille. Ou pas grand-chose en l’état?


Gilles Fumey est professeur de géographie culturelle à l’université Paris-Sorbonne. Animateur des Cafés géo jusqu’en 2011, il est aujourd’hui chroniqueur hebdomadaire au magazine « La Vie », rubrique carto « L’œil du géographe ». Il publie cet automne avec C. Grataloup et P. Boucheron, L’Atlas global (Les Arènes).



Sur le site du Café

Par jeanpierremeyniac , le dimanche 29 juin 2014.

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