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Le billet de Gilles Fumey : La tête des géographes dans les nuages 

Le net est un long fleuve tranquille qui charrie ses lots d’images, de textes, de statistiques, d’avis conformes et contraires à des réalités qu’on veut tordre pour les plier à ses idées. Les professeurs qui connaissent bien cette nouvelle planète du savoir en train d’émerger dans la sphère publique ont-ils intérêt à rester à l’écart, en dédaignant ces productions qui échappent à leur critique ou doivent-ils s’en emparer pour aiguiser l’esprit des élèves à leur contact ?


La nouveauté de ces productions comme celles que diffuse le magazine Time sur http://world.time.com/timelapse/ pour la NASA qui est une grande productrice d’images comme la dernière tornade de l’Oklahoma, cette nouveauté est que les images mettent du spectacle qui interfère entre nous et l’événement ou le lieu dont on parle. On a connu cela avec le film d’Al Gore sur le réchauffement climatique, Une vérité qui dérange, et qui lui valut les critiques cinglantes de la géoclimatologue Martine Tabeaud. Mais les élèves ont un accès facile à ce genre de documents et il serait dommage de passer à côté de l’occasion et de ne pas poser notre lanterne sur ces joujoux.


En nous promenant sur le site Timelapse cité plus haut et dont l’adresse a circulé sur les réseaux sociaux ce printemps, on retient aussi cette forme d’impérialisme doux qu’est l’usage du mot « world » qui se résume, en fait, à deux villes, Shanghai et Dubaï, et pour le reste à des sites étatsuniens. Un moteur de recherche permet de pointer partout sur Google Earth l’évolution de la géographie sur une trentaine d’années. Mais l’échelle est si petite que les données perdent de l’intérêt. Tapez « Lyon, France », vous aurez le tissu urbain de 1984 à 2012, mais la qualité du rendu est telle que les données sont inutilisables ou presque. Le « world » du Times n’est pas à la hauteur des espérances


Cette approche du savoir composé de données très éparses, aux formes très différentes et qu’il est difficile de « recomposer » pour utiliser en classe, pose de nouvelles questions aux professeurs. Nous ne sommes plus à l’époque où les titres des newsmagazines hebdomadaires étaient recopiés dans les manuels pour allécher les professeurs-prescripteurs. Même si la pratique demeure… Aujourd’hui, la fracture risque de s’ouvrir béante entre les professeurs pas aussi accrochés à leurs terminaux que leurs élèves. Et sur ces terminaux, il y a bien plus que les réseaux sociaux, il s’agit de données disponibles en classe, au bout de la main des élèves, puisque la 3G dispense d’une connexion internet.


Plus pressant encore est le cloud, en train d’ouvrir une nouvelle ère qui devrait simplifier l’usage des nouvelles technologies. On pourra tirer parti de toutes les données disponibles pour tout le monde et en tout temps. Qui se soucie de prévoir des formations pour les enseignants qui risquent de se voir dépassés par les événements ? Qui prépare les premiers exercices didactiques et pédagogiques afin de baliser la formation qui devra être prête dans les années qui viennent ?


Des incantations ministérielles aux moyens qu’on pourra saupoudrer ou donner massivement aux établissements, il y a un océan à franchir. Mais on peut croire que les géographes familiers des blogs, en phase avec les élèves les plus débrouillards et désireux d’apprendre, pourront ouvrir des pistes qui rendront notre bonne vieille géographie un peu moins « bonasse » que le déplorait Yves Lacoste quand il défendit la géopolitique.

Finalement, devant le cloud qui devient la prochaine étape destinée à donner corps aux rêves de nos ministres, on en vient à souhaiter que la tête des géographes soit bien dans les nuages.



Gilles Fumey est professeur de géographie culturelle à l’université Paris-IV (master alimentation et IUFM) et rédacteur en chef de la revue « La Géographie ». Il tient chaque semaine la rubrique cartographique « L’œil du géographe » dans le magazine « La Vie ».


Sur le site du Café

Par jeanpierremeyniac , le vendredi 21 juin 2013.

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