Le mensuel Imprimer  |  Télécharger nous suivre sur Twitter nous suivre sur Facebook

Le Billet de Gilles Fumey : Plaidoyer pour une cosmopolitique 

Le travail de Christian Grataloup sur les échelles de compréhension du monde s’est appuyé sur la « mondialisation » et son cortège d’interrogations. Nous changeons d’époque, en effet, sans bien nous en rendre compte. Les découpages spatiaux restent ou se multiplient sans que nous puissions toujours trouver la bonne échelle à la question que nous nous posons. Lors du Forum du Millénaire à New York, en mai 2000, le ministre brésilien de l’Education, Cristóvão Buarque, a été questionné sur l’internationalisation de l’Amazonie, perçue depuis les années 1990, comme une réserve de biosphère d’échelle mondiale. Mais une réserve qui, à la différence de l’Antarctique, est intégrée dans le territoire brésilien. Le ministre a fait une réponse devenue l’un des morceaux d’anthologie, depuis sa parution dans Globo (octobre 2000)

En tant qu’humaniste, conscient du risque de dégradation du milieu ambiant dont souffre l’Amazonie, je peux imaginer que l’Amazonie soit internationalisée, comme du reste tout ce qui a de l’importance pour toute l’humanité. Si, au nom d’une éthique humaniste, nous devions internationaliser l’Amazonie, alors nous devrions internationaliser les réserves de pétrole du monde entier.

Le pétrole est aussi important pour le bien-être de l’humanité que l’Amazonie l’est pour notre avenir. Et malgré cela, les maîtres des réserves de pétrole se sentent le droit d’augmenter ou de diminuer l’extraction de pétrole, comme d’augmenter ou non son prix.

De la même manière, on devrait internationaliser le capital financier des pays riches. Si l’Amazonie est une réserve pour tous les hommes, elle ne peut être brûlée par la volonté de son propriétaire, ou d’un pays. Brûler l’Amazonie, c’est aussi grave que le chômage provoqué par les décisions arbitraires des spéculateurs de l’économie globale. Nous ne pouvons pas laisser les réserves financières brûler des pays entiers pour le bon plaisir de la spéculation.

Avant l’Amazonie, j’aimerai assister à l’internationalisation de tous les grands musées du monde. Le Louvre ne doit pas appartenir à la seule France. Chaque musée du monde est le gardien des plus belles oeuvres produites par le génie humain. On ne peut pas laisser ce patrimoine culturel, au même titre que le patrimoine naturel de l’Amazonie, être manipulé et détruit selon la fantaisie d’un seul propriétaire ou d’un seul pays. Il y a quelque temps, un millionnaire japonais a décidé d’enterrer avec lui le tableau d’un grand maître. Avant que cela n’arrive, il faudrait internationaliser ce tableau. (La suite ici geographica.net/)

 

Ce texte n’a pas pris une ride parce que la question hante chaque être humain : qu’est-ce qui est là et à qui cela appartient-il ? Pourquoi tant de diversité ? N’y a-t-il pas moyen de corriger les inégalités nées des frontières par des accords internationaux et des relectures de notre espace mondial qui ne se passent pas par la force et la violence ? La prise de conscience environnementale et écologique a permis de comprendre combien la forêt tropicale était essentielle pour notre futur. Or, soumise à des défrichements intempestifs pour étendre les surfaces agricoles destinées à approvisionner en viande les Etats-Unis déjà sur-nourris, l’Amazonie pourrait être un premier exemple de « déterritorialisation » des ressources par une transformation en « bien commun de l’humanité ».

Les programmes de géographie pourraient inciter les élèves à réfléchir sur ces questions. Mais en allant plus loin que le ministre brésilien qui répond par une forme de pirouette. Internationaliser l’Amazonie, mais aussi les richesses pétrolières, le Louvre et tous les grands musées du monde, les villes, certaines populations, les enfants à qui on doit l’éducation et, pourquoi pas, les personnes âgées à qui on doit protection et respect, tout cela est bluffant, mais sauver l’Amazonie est peut-être plus « vital », plus urgent que le Louvre. Le pétrole est l’énergie de base avec laquelle notre monde tourne, mais les solutions alternatives existent, selon les régions du monde. Les élèves pourraient réfléchir à la distribution de ces ressources du sous-sol dans ces régions de la péninsule arabique où l’énergie solaire est déjà très abondante, ce que cela implique.

Plus fondamentalement, se posent les questions des destructions sociales et environnementales. Mais comme on peut se le demander, qu’est-ce qui est spécifique ? Qu’est-ce qui est universel ? Pourrait-on imaginer ce que l’anthropologue Michelle Therrien appelle une « cosmopolitique » ? Sur quelles bases la fonder ?

Il est urgent d’aider les élèves à percevoir les futurs cadres géographiques dans lesquels ils vont évoluer. Car notre « être au monde » change à toute vitesse.

_____________________


Gilles Fumey est professeur de géographie culturelle à l’université Paris-IV (master Alimentation et IUFM). Il est rédacteur en chef de la revue La Géographie. Animateur des Cafés géographiques jusqu’en 2010, il a ouvert avec B. Gruet et P. Rekacewicz un blog sur la géographie dans l’actualité : www.geographica.net/

Sur le site du Café

Par jeanpierremeyniac , le mardi 19 février 2013.

Partenaires

Nos annonces