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Le Billet de Gilles Fumey 

 

Pour ne pas prendre part à un débat sur la rénovation de l’école qui s’enlise, cette première chronique de 2013 est consacrée aux Touaregs, ces géographes du Sahara dans l’âme et la civilisation qui sont intégrés à une guerre qui prend des dimensions internationales inédites. Les voici sortis de leurs rôles de « gentils organisateurs » pour groupes de touristes occidentaux à qui ils fournissaient l’exotisme des photos sous la tente et des dattes au lait de chamelle.

 

Source : E. Bernus, Touaregs nigériens. Unité culturelle et diversité régionale d'un peuple pasteur. Pierre Bonte, L'Homme, 1983. Reproduite sur http://ennedi.free.fr/touareg.htm

 

Ces « seigneurs du désert » qui furent actifs depuis le Nord du Sahara dans la capture d’esclaves noirs et ils ont investi les dunes et les regs du Sud, aux confins d’un Sahel leur fournissant quelques rares végétaux pour nourrir leurs troupeaux. La découpe politique coloniale les a intégrés à un Etat « africain » dont ils n’ont jamais vraiment accepté la tutelle. Se sentant méprisés par ces Noirs qui le leur rendent bien, ces Blancs au chèche bleu indigo ont été actifs lors de la sécession du Mali en 2011-2012 en isolant du sud Mali la région nord à vocation autonomiste, l’Azawad.

Comment ? En s’alliant avec deux groupes : d’abord, de nouveaux combattants armés venant du Maghreb, l’ancien Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), djihadistes algériens  expulsés par l’armée d’Alger, qui a reçu l’estampille Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), et surtout  un Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao). Le premier a ses bases à Tombouctou où il fait régner la terreur, le second fait trembler la population à Gao. Enfin, une part importante des Touaregs s’est rangée sous la coupe d’un islamiste, Ansar Dine (« Défenseurs de la religion »), en décembre 2011 et s’est installée dans la ville de Kidal. Une part importante de cette population militante s’est regroupée en un mouvement « nationaliste » (Mouvement national pour la libération de l’Azawad – MNLA) avait fait alliance avec les groupes radicaux islamistes.

Toutes ces factions se sont donc liguées pour un coup d’Etat militaire le 22 mars 2012 contre l’ancien président Amadou Toumani à Bamako. Une capitale trop excentrée qui n’a pas pu empêcher la sécession du Nord. De fait, l’armée malienne n’a pas fait le poids face à des combattants suréquipés et déterminés. Mais l’unité islamiste n’a pas duré, le terrorisme a vite dessillé le regard d’une majorité de Touaregs ayant eu l’impression d’avoir conclu un marché de dupes.

Divisés, les Touaregs ont proposé leurs services à l’armée française qui va bénéficier de leur science du désert : connaissance du terrain, déplacements dans les replis du relief passablement accidenté, embuscades, champs d’attaque et de repli que les technologies satellitaires ne peuvent pas offrir à des soldats impréparés à la guerre du désert. L’occasion pour ces nomades de revendiquer une plus grande liberté sur leur ancien territoire. La guerre est une opportunité politique unique de convaincre le pouvoir de Bamako de mettre un peu d’eau dans sa bière de mil… et de reconnaître la spécificité du peuple touareg. Rien n’est gagné, mais on peut penser à ce stade de la guerre que si la France craignant l’enlisement dans les dunes a recours à leurs services, les Touaregs du MLNA ont de bonnes chances de négocier une forme d’autonomie et obtenir de chasser les radicaux islamistes auxquels ils s’opposent en tous points.

Voici comment des peuples sans histoire, comme eussent dit les ethnologues au siècle dernier, saisissent le vent qui souffle sur le désert pour retrouver leur identité.



Gilles Fumey est professeur de géographie culturelle à l’université Paris-IV (master Alimentation et IUFM). Il est rédacteur en chef de la revue La Géographie. Animateur des Cafés géographiques jusqu’en 2010, il a ouvert avec B. Gruet et P. Rekacewicz un blog sur la géographie dans l’actualité : www.geographica.net/


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Par jeanpierremeyniac , le mardi 22 janvier 2013.

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