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Le billet de Gilles Fumey : Les géographes et les réformes 

Les promesses de réforme « de fond » à partir de 2012 pour l’école arrivent dans les boutiques politiques du PS et de l’UMP. Echapperons-nous un jour à cet éternel retour ?  « Evaluation » de dysfonctionnements, solutions sorties de placards à idées, des pages Forum & débats de la presse, des recherches « pédagogiques » et mise en forme par des conseillers pour l’éducation discrets ou moins discrets, style Bruno Julliard qui s’est acheté une image lors de manifestations lycéennes dans le passé. Discussion sur les programmes – qui ne sont pas encore écrits – puis, enclenchement d’une machine qui se termine par le vote au Parlement avec à nouveau échecs liés à l’inapplication ou à l’absurdité des idées mises en jeu. Deux ans avant la présidentielle, quatre idées sont ressassées avec insistance.

La lutte contre l’échec scolaire. PS et UMP se battent à ce propos sur l’âge de la scolarité obligatoire, la semaine des cinq jours, la réduction des vacances d’été, la fameuse transition entre le collège et le lycée, avec participation croisée des enseignants du primaire au collège et l’inverse. Dans cette boîte, on trouve aussi le fameux socle commun de connaissances avec un renouvellement des programmes (la géographie va-t-elle s’emparer du réchauffement climatique comme il y eut la tectonique des plaques il y a trente ans ?), le droit à la scolarité jusqu’à 18 ans au lieu de 16 aujourd’hui. On voit aussi des « contrats » de « responsabilisation » signé entre parents, enfants et enseignants, des examens de passage en sixième... Tout un fatras de mesures qui évitent la seule question qui gêne : pourquoi l’école et le collège d’aujourd’hui ne parviennent plus à apprendre à lire et écrire à ceux qu’on leur confie, alors que Jules Ferry y était arrivé ? Question horriblement gênante… qu’aucune des propositions signées plus haut ne peut régler. Pour nous géographes, comment contribuer à régler cette question ? 


Les missions des enseignants. L’image dégradée que l’opinion a des enseignants (absentéisme, grèves, vacances) et que les jeunes ont d’un métier qu’ils embrassent, pour beaucoup, par défaut (salaires médiocres) enthousiasme le PS qui ouvre un « chantier ». Sous les coups de pioche du chantier surgissent le tutorat, l’accueil des élèves (sic), la refonte des IUFM, l’enseignement de plusieurs disciplines, et même le chiffrage d’économies réalisées (196 millions d’euros) par le non-remplacement d’un enseignant sur deux, un chiffre qui laisse songeur au moment où l’on apprend que l’administration centrale ne sait toujours pas compter ses effectifs. Les géographes ont du souci à se faire. A l’instar de ce qui s’est passé à l’IEP, un jour, un stakhanoviste des économies sortira de sa marmite un bouillon de « culture générale » et notre discipline aura disparu. L’échéance pourrait être plus proche qu’on ne le pense. On sait que des géographes pensent que la géographie scolaire est un « fardeau ». Belle occasion, diront les bureaucrates.

Le fonctionnement des établissements. La mode est à l’autonomie, les facs ont ouvert le bal et voici que, telles des Belles au bois dormant, elles vont s’activer toutes affaires cessantes à ce qu’un Etat central tatillon aurait freiné ou bloqué des années durant. La réponse est, pourtant, de l’ordre de l’humain : qui sont les chefs d’établissement ? Jusqu’où peuvent-ils être autonomes ? Avec quelle équipe si on leur impose un incessant ballet de professeurs qu’ils n’auraient pas choisis ? Serait-il tabou d’évaluer ce que les lycées sous contrat d’association avec l’Etat ont apporté à un système public fatigué? Y a-t-il une corrélation entre les « bons résultats » des académies bretonnes et la part de l’enseignement privé dans l’offre scolaire ? Tabou, tabou…

Rétablir l’égalité des chances. Les Français aiment leur trilogie inscrite au fronton de la République depuis 1792. Comme la gastronomie qu’ils inscrivent au patrimoine immatériel, au moment où l’industrie agroalimentaire n’a jamais été aussi forte. Le peu glorieux bilan des ZEP devrait inciter à la prudence sur ce point lorsqu’on connaît l’injuste corrélation entre le niveau social et le niveau scolaire. Alors que l’école a été inventée dans les Temps modernes justement pour sortir certains enfants d’un milieu social jugé « corrupteur », l’école d’aujourd’hui est surtout une machine à exclure et elle renforce les ségrégations. L’inégalité scolaire reste bien la fille des inégalités spatiales pour des raisons que l’on connaît. Il y a plutôt lieu de repenser les contenus du fatras qui s’est accumulé, décennie après décennie, dans le savoir minimum des jeunes. Et la géographie a sa part d’erreurs qu’il serait facile de lister.


De ce quarteron d’idées vagues et généreuses, il ne sortira que des emplâtres sur les jambes de bois d’un système perdu dans la gestion et la bureaucratie et qui a oublié que l’enseignement est une affaire d’hommes et de femmes. Quelles sont les ressources humaines aptes à relever le défi ? Qui veut s’y coller et comment voir ce chantier qui est un vrai défi à l’entendement ? Que veulent construire les générations qui arrivent pour remplacer les baby boomers sur le départ ? Redoutables questions…

Gilles Fumey, créateur des Cafés de géographie, enseigne la géographie à l'IUFM de Paris et la géographie culturelle de l'alimentation à l’université de Paris IV-Sorbonne.



Sur le site du Café
Par jeanpierremeyniac , le samedi 20 novembre 2010.

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