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A la Une : Un film sur l'éducation civique : Les Héritiers 

Est-il encore possible aujourd’hui dans l’école de la République de conduire les plus ‘faibles’ sur les chemins de l’excellence ? Comment convaincre des élèves démotivés de participer collectivement au Concours national de la résistance et de la déportation ?  Par quels biais amener une classe ‘multiconfessionnelle’ à appréhender l’histoire de la Shoah ? Marie-Castille Mention-Schaar, coscénariste, coproductrice et réalisatrice, est tenue de poser ses interrogations fondamentales dans « Les Héritiers », film inspiré de l’expérience vécue par une enseignante au lycée Léon Blum de Créteil. Malgré certains excès de mise en scène et une tonalité frisant parfois le mélodrame, la cinéaste parvient à l’essentiel. Sa chronique, étalée sur l’année scolaire d’une classe de seconde affrontant les difficultés de la mise en œuvre du dit concours, restitue la démarche pédagogique d’une professeure d’histoire, convaincue du pouvoir émancipateur de l’enseignement. « Les Héritiers » met, en effet, en lumière le parcours de vérité d’adolescents, découvrant les vertus du respect mutuel et du partage, à travers une expérience inédite de la transmission, une expérience fondatrice qui a changé leur vie.

 

Jeunes d’aujourd’hui dans l’école de la République

 

La première séquence, dérangeante, donne le la. Dans l’immense couloir du lycée, deux femmes (une mère et sa fille) portant le voile discutent avec la CPE. Cette dernière, bientôt rejointe par le proviseur qui l’approuve, refuse de remettre l’attestation de réussite au bac à la lycéenne, à cause de sa tenue non conforme au principe de laïcité, d’autant que la jeune fille s’est pliée à la loi en ôtant son foulard pendant toute la durée de sa scolarité. Le ton monte, les unes crient, les autres restent sur leur position et le groupe se disloque sans autre solution que le recours à la maison des examens d’Arcueil pour l’obtention du précieux document. Le plan suivant, brièvement envahi par le drapeau tricolore claquant au vent, nous fait découvrir l’enceinte du lycée Léon Blum de Créteil, ses abords et sa cour, ses murs rectilignes, ses grandes baies vitrées et ses bâtiments imposants qui accueillent des élèves d’origines et de confessions multiples. Des enfants de toutes les couleurs au sein de l’Ecole de la République. Au-delà des éclats de voix, des bourrades et des bousculades, caractéristiques du climat des cours de récréation, la caméra nous fait pénétrer dans les salles de classe et la cinéaste refuse les visions ‘à l’eau de rose’ : le décalage entre des jeunes bruyants, distraits, ‘déconnectés’ de la culture scolaire et certains enseignants en difficulté et en mal d’autorité nous saute aux yeux.

 

Un tel contexte, Madame Guéguen, professeure d’histoire depuis longtemps dans l’établissement, le connaît, en tient compte et fait le pari de le surmonter.  Après quelque temps d’observation de sa classe de seconde ‘difficile’, elle propose aux élèves qui la composent un challenge particulièrement ardu puisqu’il s’agit de prendre part au Concours national de la déportation et de la résistance en travaillant collectivement sur le sujet de la session : ‘Les enfants et les adolescents dans le système concentrationnaire nazi’.

 

Histoire vraie, fiction documentée

 

Ahmed Dramé, acteur principal et coscénariste du film, ancien élève de cette classe ‘vedette’ en 2009, est bien placé pour témoigner de la folie de l’entreprise et de sa réussite, inespérée, en dépit du scepticisme formulé à l’époque par le chef d’établissement. Alors en terminale (avant son succès au baccalauréat et celui de la plupart des anciens élèves de la classe récompensée), passionné de cinéma, il fait le tour des productions, bien décidé à financer la réalisation du scénario qu’il vient d’écrire. La rencontre avec la productrice –et réalisatrice d’un premier long métrage en 2012 « Ma première fois »- est déterminante et signe les débuts d’un enrichissement du script, complété par des recherches et des visites dans diverses classes et établissements. Pour le tournage, après un casting mêlant jeunes non-professionnels et acteurs de métier, Ahmed se retrouve à jouer son propre rôle face à la comédienne Ariane Ascaride, formidable interprète de Mme Guéguen, professeure d’histoire et professeure principale (alias Mme Anglès dans la vraie vie). Nous suivons ainsi les aventures de la classe reconstituée et tous les obstacles rencontrés sur le chemin de la réalisation du projet, en particulier les appréhensions internes au groupe lui-même. L’enseignante souligne en effet à quel point elle a confiance en ses élèves, davantage qu’eux-mêmes ! Face au libellé du sujet, incompréhensions, désaccords et préjugés s’expriment sans retenue…

 

Pourtant se dessine progressivement, dans la tourmente, dans l’exaltation, le lent cheminement de la classe, de la compréhension à l’appropriation du thème, de la prise de conscience individuelle à la construction d’un collectif en passant par la guerre des petits groupes concurrents, des recherches documentaires à la consultation d’archives audiovisuelles. Et bientôt le système concentrationnaire nazi en général, la Shoah en particulier, deviennent des réalités à appréhender, comprendre, transmettre. Outre la fabrication du document collectif (panneaux avec textes explicatifs, photographies, témoignages, archives), les élèves ont l’idée de reproduire le visage et le nom de chaque jeune disparu dans les camps et de les associer à des ballons, puis de les lâcher dans le ciel comme autant de figures des destins brisés.

 

On l’aura compris, au terme de pareille entreprise, magistralement menée sous l’autorité quasi incontestée d’une enseignante engagée et charismatique, les élèves de la seconde du lycée Léon Blum de Créteil gagnent en 2009 le premier prix du concours, et les honneurs de la remise officielle à Paris à l’hôtel des Invalides. Il n’est pas question de mettre en doute les fondements de cette réussite au dénouement heureux ni de contester le rôle majeur de l’enseignante au service de ce voyage dans le temps, à la fois geste pédagogique, interrogation sur l’altérité, questionnement sur l’héritage et la transmission. Les spectateurs peuvent cependant regretter le sentimentalisme exagéré de certaines séquences, le surlignage inutile de la partition musicale comme autant de partis-pris ‘mélodramatiques’ menaçant de transformer une expérience exemplaire en histoire édifiante.

 

Témoignage inouï, moment de vérité

 

La musique est totalement absente d’une seule séquence, absolument bouleversante. Devant les visages attentifs et graves des jeunes silencieux, s’élève la voix de Léon Zyguel, rescapé des camps, déporté à l’adolescence, au même âge qu’eux, dans l’ignorance complète de ce que le sort lui réserve. Le vieux témoin, qui s’était déjà rendu dans l’établissement et la classe lauréate en 2009, a accepté d’y revenir pour les besoins du film et, comme le confie la réalisatrice, la scène ‘a été tournée en une seule prise’ : le jeu n’est pas de mise et le saisissement se lie dans les yeux de son auditoire adolescent. A cet instant se situe le moment de basculement de la fiction dans un autre registre : la leçon d’histoire s’incarne dans la charge émotionnelle d’un témoignage inouï, grâce à l’enseignement qui rend sa transmission intelligible, à travers « Les Héritiers », hymne enthousiaste à la pédagogie active.

 

Samra Bonvoisin

 

« Les Héritiers », film de Marie-Castille Mention-Schaar-sortie en salles le 3 décembre 2014  

 

Document pédagogique proposé par un IPR et une enseignante

http://www.ugcdistribution.fr/lesheritiers-enseignants/

 

 



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Par fjarraud , le jeudi 18 décembre 2014.

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