A la Une : Former contre les discriminations 

Par Florence Aulanier 


Professeur de SES, Florence Aulanier décrit l'impact d'une formation à la lutte contre les discriminations menée avec la Ligue de l'enseignement en classe de première.


En Picardie, les professeurs ont la chance de disposer d’un catalogue d’offres éducatives, financé par le Conseil Régional. Grâce à ce dispositif, mes élèves ont pu suivre une formation de trois jours sur la formation des stéréotypes et la lutte contre les discriminations, organisée par la Ligue de l’enseignement de l’Oise.


Il y a deux ans, j’avais déjà invité la Ligue dans l’établissement, et leur action m’avait beaucoup plu. Cette année, j’ai décidé  de perfectionner le système en finissant les trois jours de formation par un test, qui, selon les résultats, délivrerait aux élèves le diplôme de Lycéen Ressource anti-discrimination, avec ou sans mention. En effet, la première fois, la seule participation à la formation permettait d’obtenir le diplôme, qui, je l’ai su par la suite par mes anciens élèves, est un véritable plus sur le cv des élèves.


Cette action s’inscrit bien entendu dans le programme d’ECJS de première ( droits et devoirs du citoyen), mais permet également d’aborder de nombreux points du programme de 1°SES. Ainsi nous traitons la question de la socialisation différenciée (formation des stéréotypes), de ses conséquences sur l’image de la femme et de l’homme, de la culture (inné et acquis, normes et valeurs), du contrôle social (sanctions positives et négatives, violence symbolique), de la stratification sociale ( hexis corporelle et habitus des différents groupes sociaux )ainsi que du rôle des pouvoirs publics et des associations ( faire appel à la Halde, aux forces de police et à la justice, ne pas rester isolé. ).


La formation étant très dynamique, et fondée sur la participation active des élèves ( jeux de rôles, théâtre-forum, débats, écriture de saynètes), ils ne prennent pas de notes pendant ces 12 heures de formation, mais reçoivent des documents et des polycopiés, reprenant les notions à retenir. Le dernier jour, ils sont évalués sur ces notions, et doivent également faire preuve de sens critique, en analysant des offres d’emploi pour voir si elles sont discriminantes, et en expliquant comment ils réagiraient s’ils étaient témoin d’une situation de discrimination ( thème abordé en théâtre forum). La note de l’examen compte également dans la moyenne de ses.


J’ai constaté que les élèves étaient beaucoup plus enthousiastes et motivés à l’idée d’obtenir un diplôme suite à une évaluation. Ils l’ont d’ailleurs rebaptisé eux-mêmes le  «  LRAD » Certains élèves, peu scolaires, à la limite du décrochage, ont brillamment réussi le test,  alors que souvent ils font à peine les DS «  classiques ». Par contre, il est à noter que les notions vues pendant la formation mais non inscrites dans les documents remis n’ont pas été bien retenues : seuls 12 élèves sur 32 ont retenu qu’un suicide de jeune sur deux pouvait s’expliquer par une difficulté à assumer une orientation homosexuelle. Les autres ont confondu les chiffres ou les ont mal interprétés ( «  un jeune homosexuel sur deux se suicide »). Il convient donc, à l’avenir, d’améliorer encore les documents distribués.


A la fin de chaque journée, le dispositif était évalué par les élèves eux-mêmes, qui souvent ont avoué «  s’être attendus à quelque chose d’ennuyeux » , « avoir été agréablement surpris »et «  avoir aimé débattre avec les autres, découvrir les gens de la classe autrement ». Ils ont également aimé travailler avec une intervenante extérieure , animatrice de la Ligue de l’enseignement, et ont été nombreux à dire «  qu’ils se sentaient vraiment formés à la lutte contre les discriminations ». Je pense que les mises en situation de la formation jouent beaucoup dans ce sentiment : les seuls discours atteignent rarement leur cible, car ils ressemblent trop à des cours classiques, et peuvent ressembler à des « leçons de morale », ce qui ne touche pas les élèves discriminants, et n’apprend rien de concret aux autres.


Les élèves qui ont reçu cette formation participent également à la réalisation d’une comédie musicale sur les droits de la Femme, « le retour d’Olympe », qui réunit quatre publics ( CE1, 4ème, Lycéens et retraités).   L’idée est  de jouer des situations de discrimination envers les femmes, écrites par les élèves après des recherches au CDI, en donnant à chaque fois l’explication SES en chansons, chantée soit par une chanteuse lyrique, soit par les élèves. Ils participent aussi à un concours, «  les Olympes de la Parole » sur la parité hommes-femmes en politique. Certains participent aussi à un projet pédagogique que j’ai lancé cette année, un «  Point Zen », qui leur permet d’apprendre à gérer le stress scolaire et non scolaire, par des exercices liés à la respiration, à la voix et à diverses techniques. Ces techniques sont aussi utiles lorsqu’il faut garder son calme face à une situation révoltante de discrimination. 12 élèves de seconde participent au projet comédie musicale + point Zen, dans le cadre de l’accompagnement personnalisé. Les vibrations qu’ils émettent lors des séances de cours sur la voix et le souffle seront le bruit magique qui fera revenir Olympe de Gouge  parmi les vivants.


On a donc ainsi un ensemble d’actions cohérentes autour d’une même thématique, avec des économies d’échelle ( certaines recherches servent à plusieurs actions), qui permettent aussi de bien fixer les connaissances. J’ai remarqué que les élèves qui avaient écrit la chanson sur le 20% de différentiel salarial entre les hommes et les femmes sont aussi ceux qui ont le mieux réussi la question du test sur les manifestations concrètes du sexisme.


Cela permet de repêcher des élèves «  décrocheurs », qui se mettent à travailler car l’enjeu leur apparaît plus clairement. Mais on voit aussi d’excellents élèves, timides en classe, se mettre à oser parler en public. Enfin, sur le thème sensible de la discrimination, on a pu avoir des débats très intéressants ( « Ai-je été discriminée en tant qu’Arabe ou en tant que jeune ? » «  Puis-je dire que je suis juive sans faire pitié ? »  «  Nait-on homosexuel ? » «  les préjugés sont-ils les mêmes dans toutes les classes sociales ? »?). On observe aussi de nouvelles interactions dans la classe, un meilleur esprit de classe. Je dois également dire que 32 élèves sur 34 ont accepté de venir suivre la formation alors que l’après-midi était banalisé. Ils étaient les seuls lycéens dans l’établissement !


Les inconvénients sont le bruit pour les classes voisines ( il faut déplacer les chaises, se parler, bouger…),un pied foulé pour moi à force  d’arpenter les couloirs et les escaliers pour mener à la fois la formation, le point Zen, la préparation du concours  et mes autres cours,  et l’éveil de l’esprit citoyen, qui peut déplaire : les élèves ont décidé de mener une action commune contre une grande surface, qui les oblige à déposer leurs sacs à l’entrée uniquement parce qu’ils sont jeunes ! L’assimilation Jeunes = voleurs potentiels est en effet anormale, et doit pousser à l’indignation.


Florence Aulanier


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Les SES sur un air d'opéra

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Par fjarraud , le mercredi 16 février 2011.

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