Mémoires communes 

 Par François Jarraud

 

Du camp de réfugié espagnol au camp de rétention en passant par le camp de concentration, Rivesaltes symbolise la démarche de Mick Miel. Rencontré au Forum des enseignants innovants de Roubaix, Mick Miel y représentait l'équipe pluridisciplinaire et internationale du projet "Mémoires communes". Ce projet associe  Français, Histoire/Géographie, Castillan et Catalan en classe de 3ème. Il évoque la mémoire commune entre la Catalogne Sud et la Catalogne Nord (l’Espagne et la France) et est réalisé  en partenariat avec la classe de 4ta francès du IES Narcis Xifra de Girona (Espagne). Mick Miel répond à nos questions.


« Mémoires communes » repose sur un atelier d'écriture. Comment organisez vous cela dans le collège ?


L'atelier d'écriture sur l'exil mené avec le cddp de Perpignan a été en effet un moment important de notre projet. Mais, celui-ci s'est inscrit dès le début dans une perspective plus large : celle d'un projet transdisciplinaire.(Lettres, Histoire, Catalan et Castillan) qui devait se matérialiser dans des productions (nouvelles, film et théâtre).


La première question que nous nous sommes posée était comment faire pour que les fils d'une matière à l'autre puissent former un tissu cohérent et significatif pour les élèves. C'était le 70 anniversaire de la défaite de la République espagnole, la Retirada. Il y avait tout particulièrement cette question de la mémoire et de l'Histoire. Nous vivons en Catalogne nord. Ici de nombreuses familles se souviennent de cette période, les grands ou arrières grands parents, les grandes tantes, bref, il y a toujours quelqu'un qui en a vécu ou qui sait un petit bout précieux sur lequel s'appuyer. C'est une mémoire orale qui a aussi ses documents : des photos, des lettres, des objets. Même si ce n'était pas le cas pour tous les élèves, le territoire est traversé par du patrimonial (les camps, les lieux de mémoire, les lieux d'exil, des musées qui ont tendance à devenir aussi des passages touristiques...). Il est donc difficile d'ignorer. L'histoire, elle, au collège en particulier dit peu de choses concrètes là-dessus soit par manque de temps (le programme !) soit, par « pudeur » (ce ne fut pas très glorieux d'accueillir les républicains vaincus dans des « camps de concentration »... c'était le nom officiel).


  C'était donc un parcours de ces mémoires, de ces histoires à une Histoire et réciproquement que nous avons tenté de faire avec nos élèves. Et cette Histoire à construire, à la fois personnelle et collective, devait forcément prendre une forme littéraire, puis filmique, une forme fictionnelle donc, parce ce que cela « parle mieux » et elle devait se matérialiser dans des histoires, des voix, des personnages qui, quoique inventés, étaient « vrais » et investis par les élèves.


Nous avons voulu, mes collègues et moi, offrir un cadre et y inscrire une démarche d'investigation et de recherche; c'est à dire proposer des situations dans lesquelles des questions trouveraient des réponses. J'utilise cette forme « impersonnelle » pour dire que les élèves devaient chercher et trouver le plus possible par eux-mêmes, dans eux-mêmes. L'atelier d'écriture, tout comme le film, ne sont donc que des espaces, des moyens d'objectivation, des vérificateurs « d'efficacité » de cette démarche d'ensemble si vous voulez, bien que je n'aime pas trop ce terme. Mais sans eux, il n'y a rien !


Pour être plus concret et parler d'organisation matérielle, l'atelier d'écriture n'a concerné qu'une seule classe de troisième. La première phase de notre travail a été une phase de documentation. Chacun s'est plongé dans les textes, les documents, les films, les enquêtes aussi auprès de ceux qui pouvaient témoigner. Ensuite chacun a proposé un scénario, un cadre fictionnel dans lequel il devait injecter des éléments de la réalité historique et inscrire les questions, les réponses, les émotions, les sentiments sur tout ce qu'il avait trouvé, ses thèmes personnels en fait. Ces 25 scénarii ont été regroupés sur trois groupes en fonction des ressemblances : cela a donné trois nouvelles, chacune ayant une identité bien  définie : « La déchirure », une histoire d'amour qui finit très mal, inspirée en partie par le roman"L’ombre du vent" Carlo Ruiz Zafon; « Femmes au combat », un journal de résistance des femmes où je sens l'influence de "Voix endormies" Luce Chacon et de « Land and Freedom » de Ken Loach; enfin, « La trahison », une enquête existentielle à la façon « Des soldats de Salamine » de Javier Cercas que curieusement personne n'avait lu...). L'une de ces nouvelle va être publiée par le Cddp des Pyrénnées Orientales dans un livre qui regroupera tout le travail d'écriture sur l'exil du département en trois langues français, espagnol, catalan.


Le côté le plus original de notre travail à mon sens a été l'utilisation du site « Projectibles ». C'est un site interactif (Spip), dans la partie privée tout un travail d'écriture, d'échange a été réalisé en dehors du temps habituel de la classe. L'écrivaine et animatrice du cddp, madame Claude Fagès, est venue trois fois (6 heures au collège) et a suivi l'avancement de l'écriture sur le site. Chaque groupe avait également un tuteur, un enseignant, qui a suivi aussi régulièrement les élèves. Ce qui fait qu'en définitive, tout le monde a fait quelque chose, est partie prenante du projet.


Et pour les films et le théâtre ?


A mi-mars, nous avions terminé l'essentiel des nouvelles. Nous avons utilisé l'une d'elles, « La déchirure » comme synopsis pour notre film, mais nous y avons aussi intégré des fragments d'autres  nouvelles. On y injecte également en ce moment d'autres matériaux travaillés durant l'année, des poèmes de Machado en Espagnol, des documents vu en Histoire (Photographies, morceaux de films documentaires), des chansons en Catalan. C'est là qu'est intervenu directement notre cinéaste Thierry Bourdy de l'association « l'Oeil écoute » avec l'atelier de pratique artistique vidéo-cinéma. Nous en sommes donc à l'écriture filmique et au travail de préparation pour le tournage prévu en mai (les rôles, les costumes, les accessoires, les repérages,...). Le tout encore en utilisant le site. Le film sera présenté à Perpignan fin mai et en juin à toutes les classes ayant participé au projet Ecrire l'exil.

Un petit regret, nous n'avons pu intégrer la pièce théâtrale en Catalan. Mais, il y aura une production autonome : une émission théâtrale uniquement audio à la façon TSF.


Comment cela s'articule t il avec les cours ?


Cela n'a pas posé de problèmes particuliers. D'emblée le projet a été pensé comme transdisciplinaire : chacun y a mis ce qu'il pouvait y mettre de sa matière. Pour le français, je fais exactement ce que mon programme me prescrit : les formes narratives complexes, l'écriture de soi, les différents discours, la fiction et l'histoire, l'éducation et la culture de l'image et toute la « cuisine » qu'implique l'élaboration et la mise en forme d'un texte destiné à un vrai public (orthographe, grammaire, vocabulaire...)


Quel accueil chez les enfants et les familles ?


L'ambiance de la classe est bonne parce que même si ce ne sont pas tous de gros bosseurs, ils sont motivés et partie prenante du projet à un bout ou un autre. Je pense que les familles regardent et écoutent surtout déjà les élèves. Sont-ils contents d'aller au collège, sont-ils engagés dans ce qu'ils font, en parlent-ils ? Avec ce projet évidemment c'est assez bien passé, surtout quand le gamin va questionner le grand père sur son histoire... Le reste, la question du fameux « niveau scolaire », vient après... Mais, c'est vrai, c'est toujours une question bizarre d'équilibre entre le « culturel » et le « scolaire » !


De quels soutiens bénéficiez vous ?


Sur l'établissement nous sommes suivis par notre direction et, plus largement, par la responsable des projets culturels de l'IA, Madame Alix Bourrat, qui a défendu l'atelier cinéma et reconnaît apparemment notre démarche. Le reste de l'institution ignore superbement ce genre de projet. J'ai parfois l'impression que cela la dérange...

Nous travaillons aussi avec le Cddp de Perpignan qui a monté le projet écrire l'exil qui concerne donc 40 établissements scolaires du Primaire (Cm1/Cm2) à la terminale.

Il y a également des contacts intéressants avec l'association Cinémaginaire qui va décentraliser en mai son festival Exil sur notre ville, à Ille sur Têt.


A travers ce projet vous faites revivre un pan de l'histoire espagnole et française. Pourquoi cet intérêt ?


Déjà c'est en partie dans nos programmes de 3ème, la Résistance, la lutte contre les totalitarismes, le devoir de mémoire, les droits de l'homme et du citoyen. Qui ne connait pas l'histoire est condamnée à la revivre dit-on. C'est là une des missions de l'école républicaine d'instruire et d'éduquer. Et puis, là c'est plutôt moral, il y a eu aussi une formidable injustice contre tout un peuple, des gens qui ont traversé le siècle en luttant, contre Franco en Espagne, contre les armées hitlériennes en France dans la résistance et sur les différents champs de bataille en Europe et ailleurs. On ne peut pas vraiment dire que la reconnaissance a été au rendez-vous ! Ça peut permettre, aux élèves comme à nous, de regarder autour ...


Il y a aussi des questions toujours importantes qui concernent la démocratie, comme celles du contrôle policier, de l'identification et de l'enfermement de populations jugée dangereuses commencée sous la république et continuée sous le régime de Pétain. Par exemple, peu de personnes savent que le Camp de Rivesaltes , le petit Drancy du sud  de la France comme le nomme Serge Klarsfeld, n'a pratiquement jamais été « vide » depuis les réfugiés espagnol de 1939. Il y a eu les juifs, les gitans, les harkis, un peu avant les condamnés partisans de l’indépendance de l’Algérie, puis des autres colonies, plus récemment, les sans-papiers, jusqu'à être l’un de plus importants centres de rétention en France des immigrés clandestins. Ce sont toujours des questions d'actualités, des questions politiques.


Quelles perspectives pour 2009-2010 ?


Les élèves qui ont participé à cette aventure vont partir du collège. C'est toujours un peu triste, mais c'est notre boulot dans la chaine éducative. Ils partiront avec une grande expérience au moins. Pour l'année à venir, nous avons des projets avec le cddp sur le patrimoine et l'environnement. Le projet d'atelier d'écriture mené avec eux intègre un projet plus vaste qui consiste à garder mémoire et trace de tout ce qui touche à la Retirada concernant les scolaires. Ce qui fait que les textes produits, les documents utilisés, les archives locales va constituer une base de données départementale sur le sujet qui sera consultable à volonté (site sur le cddp) par tous. Le titre « Mémoires communes » peut aussi encore servir. L'année passée, avec notre travail sur la Vénus d'Ille (Théâtre et film en catalan), cette dimension était déjà bien présente. Il y a tant de choses en commun qu'il faudrait explorer ensemble de part et d'autre de la frontière.


Il faut aussi qu'on fasse un bilan de tout cela. Comment faire pour structurer différemment le temps scolaire pour qu'il s'adapte à ce genre de projet ? Comment travailler ensemble avec plus d'efficacité ?


Je pense également qu'il y a une question essentielle pour tous ceux qui, comme nous, travaillent sur des  projets : c'est l'évaluation, la notation, le salaire des élèves ! Le thermomètre au collège, c'est le brevet. Or celui-ci ne prend pas et ne peut prendre en considération ce type d'activités. Il valide des contenus de savoir fragmentés, des petits bouts additionnés. Or nous travaillons plutôt sur des processus d'acquisition des connaissance, des gestes assimilés en fait, matérialisés dans des productions (film, nouvelle, théâtre). Ce qui crée parfois des situations embarrassantes quand certains veulent rendre visibles les « bonnes classes » à partir de ce seul critère du brevet des collèges. C'est d'autant plus incohérent que les programmes sont bien plus ambitieux ! Il faudrait que l'administration aie là un peu de courage et « ouvre un peu » la combinatoire. Mais là, c'est une autre histoire...


Mick Miel



http://www.ecrinet.net/projectibles/rubrique.php3?id_rubrique=230

Sur le site du Café
Par fjarraud , le mercredi 15 avril 2009.

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