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A la Une : Image en question, 2ème 


Image en question interroge en toute simplicité un instantané de classe pour mettre à jour les aspects invisibles et l’ingénierie pédagogique de l’école maternelle.
On entre dans la classe de Christine Lemoine, enseignante en PS, MS et GS. Elle est l’auteure de Maternailes.net, un site où elle cherche à promouvoir de réelles pratiques de cycle (ateliers échelonnés, brevets de réussite…).

Philippe Tassel est formateur TICE. Il endosse le rôle du néophyte qui cherche à comprendre les spécificités de la maternelle. Il est l’auteur de Lencrier.net.
 
 
Le tableau de carottes
PhT : Sur la photo, on voit des bottes de carottes. Que fallait-il faire ?

CL : Il fallait réaliser un «tableau de carottes» comme celui-là.

PhT : Qu'est-ce c'est ?

CL : Il s'agit d'une photographie d’un modelage que j’ai réalisé. Les enfants doivent tenter de le reproduire.
Cela leur pose pas mal de problèmes.
Par exemple, lorsqu’ils placent les carottes, ils doivent les aligner, placer les queues en haut. La verticale est la première orientation que les enfants perçoivent à travers la chute des objets. Mais là, ils travaillent dans le plan. Ils doivent prendre en compte ce que nous appelons le haut et le bas de l’ardoise. Ces mots prennent ici un sens bien différent de ce qu’ils vivent au quotidien, un sens qu’ils retrouveront dans d'autres contextes scolaires : le haut d'une feuille, de lettres voisines comme le p et le b.

PhT : Ce n’est pas très branché comme matériau. Il n’y a pas un désintérêt des enfants ?

CL : C'est tout le contraire. Les enfants d'aujourd'hui, comme ceux d'hier, sont passionnés par tout ce qui est patouillage. Pas seulement les élèves de maternelle d’ailleurs, mais aussi ceux d'élémentaire qu'on reçoit dans nos classes quand un collègue est absent...

PhT : Est-ce que chaque enfant pose, au fur et à mesure, ses réalisations sur un modèle individuel ?

CL : Non, dans ce cas, il y aurait peu de problèmes à résoudre.
Le modèle est affiché à l'atelier. Les enfants ne peuvent pas le déplacer. Au cours de la fabrication, ils comparent ce qu'ils produisent avec l'image de référence. Qu'est-ce qui est différent ? Pourquoi ? Comment modifier ?
Il y a des petits, bien sûr, qui suivent leurs pulsions motrices sans se soucier de la consigne. Le bilan les aidera à dépasser ce cap.
Je profite de ta question pour m’arrêter sur cette entrée dans l’activité.
Reproduire un modèle imposé m’a longtemps semblé une pratique presque «honteuse» : pas de place pour l’expression personnelle, une pratique tellement normative... Est-ce que je peux proposer cela à mes élèves ? Avec le temps, il m’a semblé que oui : il ne s’agit pas de développer la créativité mais de relever un défi mathématique à la hauteur des enfants. En cherchant à s’approcher de ce modèle, ils expérimentent :
-                l’orientation et l’extrémité d’un segment (certains piquent le triangle au milieu de la carotte),
-                la quantité de matière (le colombin roulé est parfois trop petit par rapport à la queue),
-                l’angle du triangle par lequel on pique la carotte (certains placent les triangles par le côté).

PhT : Pendant que les élèves reproduisent le tableau de carottes que fais-tu?

CL : Rien à cet atelier. Il s'agit d'une activité autonome.

PhT : Mais s’ils se trompent comment peuvent-ils s'améliorer ?

CL : Ce qui m'importe, ce n'est pas qu'ils reproduisent un tableau de carottes mais qu'ils résolvent les problèmes à leur portée.
L'exploration autonome de cet atelier par les enfants me permet de savoir ce dont ils sont capables et ce dont ils ont besoin pour progresser. C'est très variable en maternelle.
Lors du bilan nous allons commenter les différentes réalisations. Cette photographie a d'ailleurs été prise à ce moment-là. Ce moment de réflexion, d'échanges, de mise à distance va leur permettre de s'améliorer. On quitte le plaisir de faire pour s'engager dans le langage et la pensée. Si je leur avais tenu la main pour qu'il réussisse le tableau de carottes, je n'aurais pas pu mettre en œuvre cette étape qui est pourtant au cœur de l’activité. J’essaie d’accueillir les erreurs de mes élèves comme un temps précieux de l'apprentissage, un appui pour progresser.

PhT : Pourquoi présenter ces productions lors du bilan?

CL : Je choisis généralement trois réalisations, une réussie et deux qui illustrent les difficultés les plus fréquemment rencontrées.
Je demande aux enfants de me dire ce qu'ils voient. Ils commencent généralement par évoquer ce qui est bien ou pas bien. Je les arrête immédiatement : « Ce n'est pas ce que je te demande. Que vois-tu sur la table ? ». On ne pose pas de jugement de valeur, on décrit ce que l'on peut observer :
« Ici, elles sont rangées la tête en bas. »
« Là, elles sont couchées. »
« Là, elles sont toutes petites... »
Bien souvent, la description contient en germe les concepts de l'activité (orientation, taille...)
Puis je leur demande ce qu'il fallait faire et comment aider les copains, j’énonce quand il le faut les mots qui leur échappent.

PhT : Est-ce que les élèves refont l'activité après le bilan ?

CL : Oui, je veille notamment à ce que les enfants qui ont rencontré des difficultés y retournent. Je les accompagne parfois à l'ouverture de l'atelier.
Et bien souvent, les progrès sont là et ils sont très fiers de leurs réussites.

PhT : Pourquoi refaire une activité déjà faite ? Ce n’est pas lassant ?

CL : Ça pourrait être lassant s'il s’agissait juste de reproduire ce qu'on a déjà fait. Ce n'est pas le cas ici, car si l'atelier reste identique, l'entrée dans l'activité est bien différente.

Certains petits, lors de leur premier passage, ne se sont pas encore approprié la consigne. Ils ont été emporté par le plaisir de faire, de découvrir le matériel, de patouiller avec un copain....
Après un premier passage, des profils d'élèves se dessinent : ceux qui ne comprennent pas la consigne et les autres. Si je m'arrête à cette étape, j'ai juste effectué un classement d'enfants.
Le bilan les fait entrer dans un autre monde, celui de l'école, d’un horizon pensé. Après avoir assouvi le plaisir moteur et social, construit du sens lors du bilan, les enfants s'engagent de façon différente dans l'activité. Ils ne font pas la même chose, ils se sont appropriés la consigne, ont perçu les défis, approché les concepts et bien souvent, réalisent un travail d’un niveau bien supérieur.

Certains s'inscrivent aussi à nouveau alors qu'ils ont déjà réussi l'activité : ils engrangent le plaisir de bien faire et développent leur estime d'eux-mêmes en tant qu'élèves. Ce n'est pas du temps perdu.

PhT : À quelle section s'adresse cette activité ?

CL : La photographie a été prise dans une classe de petite et moyenne sections. Mais cet atelier peut aussi, en étant complexifié, s'adresser aux grandes sections.

PhT : Tous les enfants réussissent cet atelier ?

CL : Tous les enfants ne parviennent pas à reproduire le tableau, mais chacun a fait un pas dans l’activité que nous notons sur un brevet. Le niveau évolue au fil des participations.
 

Sur le site du Café :
Image en question n°1, le jeu de la pêche


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Par lucieromanegillet , le mercredi 19 décembre 2012.

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