Roland Goigoux : "S'emparer de l'aide pour travailler les difficultés les plus fréquentes" 

Reuter ICEM
On s'en souvient, Roland Goigoux avait été un des acteurs de la polémique sur la lecture, à l'époque De Robien.
Depuis la rentrée, il a tenu plusieurs conférences au cours desquelles il a tenu une position assez singulière : en effet, s'il partage l'idée que le contexte politique est peu propice à l'engagement et à la confiance, il appelle les enseignants des écoles à s'emparer de l'aide individualisée pour revisiter le quotidien de l'Ecole...
Nous avons pu visionner un enregistrement d'une de ses conférences, et proposons aux lecteurs du Café notre interprétation de ses propos.

Un monde enseignant fragilisé
RGIntroduisant ses propos face à une salle qu'il sent inquiète, R. Goigoux retient plusieurs conséquence de la mise en place du 24+2 qui peuvent contribuer à démobiliser les enseignants :
- un nombre de jours de classe très concentré, qui risque de surcharger la semaine, même si l'horaire annuel français reste dans la moyenne européenne,
- aucune concertation n'a été organisée, ni avec les enseignants, ni avec les collectivités,
- la communication médiatique ministérielle, depuis plusieurs années, ressasse des propos catastrophistes sur l'état de l'Ecole, sans jamais noter ses réussites, en noircissant le tableau (15% d'illettrisme pour 4% avérés par la JAPD ; 1/3 des élèves seulement maîtriseraient les compétences attendues, alors que ce sont en réalité ceux qui maîtrisent les "compétences remarquables". On doit selon lui parler de 15% d'élèves en grandes difficultés : "on entend partout que les performances de la France baissent, alors que les différences entre 2000 et 2006 sont insignifiantes"

Une responsabilité individuelle ?
Il insiste sur le fait que le piège pourrait "se retourner contre le métier", si le discours public se mettait à renvoyer la responsabilité des difficultés scolaires sur le dos de chaque enseignant, avec des injonctions du type : "vous serez jugés à vos résultats, à la qualité de ce que sauront les élèves, et devrez "rendre des comptes" pour ceux qui n'apprendront pas".  Pour lui, on risque de développer la "souffrance au travail" des enseignants, mis devant un pari impossible : faire face seul aux difficultés des élèves, en portant toute le misère du monde sur leurs épaules, et en ayant de plus en plus de mal à entrer en dialogue avec les familles....

Quels possibles laissent les nouveaux programmes ?
Tentant de trouver les voies pour l'action, il se livre alors à une lecture commentée des programmes, notamment lorsqu'ils insistent sur la nécessité de présenter un enseignement "structuré et explicite". "Quel enseignant ne partagerait pas ces principes ?"
Continuant l'exercice, il lit :"Le véritable moteur de la motivation est dans l'estime de soi que donne les apprentissage et les tâches scolaires réussis" dit ce préambule. Il est d'accord : la motivation ne se décrète pas en préalable, mais ce construit dans la rencontre des savoirs. Il acquièsce aussi lorsque les programmes insistent sur l'articulation nécessaire entre l'automatisation des savoirs et procédures de base, y compris par des entraînements, et les situations de découvertes, de problèmes à résoudre. Les enseignants savent qu'ils doivent varier les méthodes pour lier les deux approches.  Dans les deux cas, l'aide de l'enseignant est décisive. "Ceux qui pensent que les élèves apprennent seuls, à leur rythme, n'ont sans doute jamais vu une classe de près".

Il devient plus distant face à l'aide individuelle : il ne faut pas se tromper de métier, "l'enseignant n'est pas un rééducateur".
Cependant, il invite ceux qui l'écoutent à prendre au sérieux le résultat des évaluations, qui montrent dès le CP la relation nette entre les résultats scolaires et la catégorie sociale des enfants. "L'Ecole ne parvient pas à réduire les inégalités, bien qu'on les ait parfaitement identifiées".
Pour cette raison, il pense nécessaire de voir dans le détail comment mieux décortiquer les difficultés des élèves, pour en faire quelque chose.


Evaluer, mais surtout agir...
RGS'éloignant de la prescription ambiante, il prend parti : "Pour dégager les priorités, inutile de faire remplir des tableaux d'évaluation à vingt critères". Il concède volontiers que l'institution demande parfois trop de documents à remplir, ou des évaluations urgentes alors qu'on vient de commencer à travailler de nouveaux contenus. Il rassure la salle et l'invite à avoir confiance dans ses capacités à observer comment les élèves se comportent dans les situations ordinaires. "Essayons d'abord de mettre en place des situations d'enseignement avant d'essayer d'évaluer". Pour lui, c'est lorsqu'on essaie d'apprendre quelque chose à un élève (et pas forcément quand on l'évalue) qu'on comprend comment il peut progresser, ou ce qui fait qu'il n'y arrive pas.
Mais derrière le constat, c'est l'attitude de l'enseignant qui peut faire la différence, s'il parvient à faire passer un message clair à l'élève : "tu as des difficultés, ce n'est pas grave, on va s'en occuper, et tu vas progresser". Pour lui, mettre en place des aides n'est pas forcément  stigmatisant, ni pour les enfants ni pour leurs familles, si on arrive à identifier la difficulté qui est en jeu.  Il a constaté que devant le petit groupe, la fonction de l'enseignant n'est pas tout à fait la même que quand il a toute la classe à gérer.  Contrairement au ministre, il n'invite pas à faire des "remédiations immédiates", le soir, pour un problème mal résolu dans la journée. "Les difficultés dont je parle, ce sont les difficultés récurrentes, habituelles, fréquentes"... Encore faut-il, dit-il, que les aides aient une durée conséquente (6 à 8 semaines) pour permettre aux élèves de mesurer les progrès de leurs efforts.


Individualiser ?
Devant la salle, Roland Goigoux prend ses distances avec la prescription de l'individualisation : "Je ne considère pas, comme on le considère parfois dans les certains PPRE, qu'il faille "individualiser", à partir d'un bilan diagnostic, des remédiations terme-à-terme. Cette vision médicale me semble sans rapport avec ce qu'on peut faire à l'Ecole. Ne rêvons pas de "sur-mesure", ce n'est pas le métier d'un enseignant. Mais postulons que les élèves qui ont des difficultés se ressemblent, dans leurs inquiétudes, émotions, contraintes cognitives. Sauf si on parle de ceux qui dysfonctionnent, et qui relève donc d'aides "spécialisées", par le RASED ou par des structures de prise en charge extérieures à l'Ecole."

Sept directions pour "une aide ordinaire, pour des difficultés ordinaires"
Pour qu'une intervention collective soit possible, en classe ou dans le petit groupe, il invite les enseignants à chercher une "focale moyenne", sur la part la plus stable, la plus prévisible des difficultés. Pour illustrer les modalités possibles, il propose sept familles qu'il structure par un verbe d'action :

1. Exercer : donner un temps supplémentaire pour automatiser, s'entraîner, apprendre les tables de multiplication ou faire des lectures à haute voix, aider à mettre de la fluidité, à automatiser des procédures de décodage (même si ça n'est pas suffisant pour les aider à apprendre à comprendre)


2. Réviser : mot tabou, mais pourtant... faire le point, revenir sur ce qu'on a fait, préparer une évaluation qui va avoir lieu, en précisant ce sur quoi va porter l'évaluation, c'est aider les élèves à comprendre qu'on va vérifier de ce qui a été effectivement enseigné... Il provoque un peu la salle : " Et pourquoi ne pas présenter le temps de soutien comme un plus où "on va avoir la chance de pouvoir rester avec le maître pour savoir ce qu'il va y avoir dans le contrôle". Il y met une valeur éthique, quand le maître montre qu'il ne renonce pas à avoir de l'ambition pour celui qui est en difficulte. "Ça pèse dans leur image de l'Ecole... Tous les enseignants le savent : le bouche à oreille et la dynamique collective autour de l'Ecole est souvent un paramètre important dans l'image qu'ont les parents de ce qu'on y fait"...


Bachotage ? Evidemment, tout excès serait nuisible. Mais il avoue une petite idée derrière la tête : "peut-être que cela pourrait nous aider, en tant qu'enseignant, à mieux savoir "ce qui est important" dans ce qu'on enseigne, à ne pas courir plusieurs lièvres à la fois dans nos séances collectives, à trouver les moyens de ne pas développer les malentendus sur ce qu'on apprend, ou ce qu'il faut pour réussir...?" Ainsi, lorsqu'on demande aux élèves de "chercher dans sa tête", que leur demande-on exactement ? D'aller se souvenir de procédures enseignées en classe ? Pas toujours...  On voit dans les classes des élèves qui font des malentendus sur le sens de l'activité. Ils jouent aux devinettes quand le maître fait de la grammaire....


3. Soutenir : creusant le filon de la clarté cognitive, il invite les enseignants à reprendre ce qu'on a fait dans les activités ordinaires, avec beaucoup plus d'explicitations sur "avant, pendant, après", en aidant à réaliser, en mettant des mots sur l'activité de l'exercice (comment on va s'y prendre ? où sont les outils qui peuvent t'aider ?...).

Il incite à "mettre le haut parleur de la pensée", en verbalisant les opérations intellectuelles (en quelque sorte, en faisant faire lentement et à voix haute ce que les élèves vont savoir ensuite faire seul et automatiquement). Il prend un exemple en Grande Section, en demandant qu'on aide explicitement les élèves à faire le lien entre la segmentation orale et écrite, une compétence critique : 30% des élèves ont du mal à découper [Ivamontédanslebato] en mots [Il/va/monter/dans/le/bateau]. "Pour aider les élèves en difficulté, l'activité de transcription de la chaîne orale doit se dérouler "sous leurs yeux", par exemple par le biais de la dictée à l'enseignant".


4. Préparer : C'est une différentiation en amont, pour permettre aux plus faibles de mieux tirer parti de la leçon du lendemain. C'est ce que les enseignantes de maternelle font par la lecture à haute voix. Plutôt que dire "ils ne font pas attention, donc ils ne comprennent pas", il demande à ses auditeurs de retourner l'idée :  "ils ne comprennent pas, donc ils ne font plus attention"... Il propose donc que les enseignantes prennent les élèves en petit groupe pour leur dire, avant la lecture, ce qui va se passer dans l'histoire... Et le lendemain, "ils feront plus attention" parce qu'ils comprendront mieux, grâce aux points de repères qu'ils auront...



5. Revenir en arrière : et quand ils ne savent pas faire, parce qu'ils arrivent dans la classe sans avoir complètement acquis ce qu'ils devraient savoir, même si "ça aurait du être acquis avant" ? Il demande des temps pour reprendre des habilités de base, comme la copie qui peut rapidement handicaper un élève qui a besoin de regarder plus de vingt fois une phrase pour la copier... Il pense nécessaire de revenir explicitement sur la manière de faire, pour les aider à copier plus efficacement. "Mais on pourrait dire la même chose avec des élèves de CE2 qui n'ont pas toujours pas bien compris le fonctionnement décimal de la numération : pourquoi ne pas s'autoriser à reprendre un travail en profondeur qui leur permette de régler des problèmes qui risquent de les poursuivre pendant des années ?"



6. Compenser : les enseignants constatent que certains élèves ont du mal à comprendre certains textes, à avoir les bonnes stratégies, quand pour la plupart, ca va de soi. Mais R. Goigoux refuse de naturaliser ces compétences. Par exemple, en lecture, tout le monde sait que certains élèves se contentent de stratégies de surface (ne pas lire le texte, mais prendre des indices épars en faisant des confusions sur ce qu'il faut faire pour répondre aux questions...). "Or, ces compétences requises ont-elles toutes été enseignées ? Il faut leur apprendre ce que les autres ont appris hors l'Ecole : enseigner dans le détail le traitement de la compréhension des textes écrits, apprendre les différentes stratégies possibles pour répondre à des questions..."



7. Faire autrement ?

RGBien sûr, l'orateur sait que les six points qu'il a présentés ne sont pas magiques. Il sait qu'on peut envisager des changements plus profonds de stratégie pédagogiques, ou  changer d'interlocuteur lorsqu'on pense que la relation pédagogique est bloquée. "Mais j'insiste sur les marges de manoeuvre possibles autour de tous les moments "ordinaires" de la vie de classe". Bien sûr, il sait aussi que les pistes qu'il propose demandent aux enseignants une grande expertise professionnelle, pour débusquer les malentendus, décoder les origines des erreurs, anticiper les difficultés que les élèves vont rencontrer dans la situation à venir. "La formation, l'accompagnement des équipes doit évidemment être renforcée".


Mais c'est avec un plaidoyer pour la réhabilitation du rôle du maître qu'il termine son propos : "il est faux de dire que moins on enseigne, plus ils apprennent. Les phases de "découverte" sont nécessaires, mais à leur juste place. Osons la guidance, l'explicitation, un rôle du maître accru".

Il veut renvoyer chaque niveau de l'Ecole à sa responsabilité : de la maternelle au collège, il n'y pas de "maillon faible", mais une succession de moments où il est nécessaire d'agir, avec l'ambition d'y "pouvoir quelque chose", sans se leurrer. "Ni impotents, ni omnipotents, les enseignants sont des professionnels qui ne doivent pas reléguer à l'extérieur leur pouvoir d'agir ensemble, en croisant les regards et les compétences entre les différents métiers disponibles, mais en se fixant une ambition pour ceux qui ont le plus besoin de l'Ecole".

Malgré tout, la salle applaudit, longuement. Sans doute parce qu'au-delà de sa mauvaise humeur initiale, elle sait que l'orateur du jour a de l'ambition pour le métier.





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Par ppicard3 , le .

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