Programmes du primaire : premières synthèses
Les
IEN (et leurs conseillers pédagogiques !) ont du faire des prouesses :
faire rentrer dans des formulaires électroniques le mariage de la carpe
et du lapin. Entre les pamphlets furieux des équipes qui dénoncent un
simulacre de concertation, et l’exercice appliqué des écoles qui ont
fait le devoir ligne après ligne ; entre ceux qui y trouvent le moyen
d’exprimer tout leur ras-le-bol devant les incertitudes du métier, et
ceux que rassurent la perspective de progressions annuelles, toute la
diversité du métier est à rentrer dans les petites cases… Synthèse des programmes : un résumé
édifiant des tensions du métier. Ce qui frappe à la première
lecture des comptes-rendus d’école comme des synthèses d’inspecteurs,
c’est la part infime de ceux qui sont satisfaits. Indéniablement, le
projet de programmes attire les mécontentements. Mais en y regardant de
plus près, pas forcément pour les mêmes raisons.
-
Il y a ceux (nombreux) qui s’insurgent contre la disparition de
l’esprit des programmes de 2002, contre la réintroduction massive d’une
conception de l’apprentissage réduite au rabâchage et à la docilité.
Comme si leur logique avait progressivement irrigué le corps (malgré de
nombreuses questions ou incompréhensions, dont celle sur l’ORL fut
emblématique), diffusant l’idée que malgré leur complexité, leurs
difficultés à mettre en œuvre, leur exigence, c’était vers cette
ambition que se situait la mission du service public. « Bonne nouvelle
» penseront ceux qui, des années durant, ont parfois senti des
assemblées dubitatives lorsqu’ils présentaient les cycles, les
documents d’accompagnement des programmes ou les livrets d’évaluation. -
Et il y a ceux, nombreux également, qui s’embarrassent moins de
philosophie éducative, mais renvoient un jugement sévère : « infaisable
». Il leur importe moins de savoir s’il faut ou non apprendre
des listes de mots à la maternelle. Ils répondent « impossible ». Peu
leur importe le contenu de l’histoire des arts ou des sciences, il
écrivent « je n’aurai pas le temps, si on m’enlève des heures ». Et
renvoient souvent en creux l’idée que pour eux, la polyvalence a des
limites. D’ailleurs, la partie des questionnaires qui concernent les
autres domaines que français et maths restent souvent vides. Question
de temps, sans doute, mais aussi indice de choix. Evidemment,
on ne saurait discerner deux blocs d’enseignants opposés dans cette
photographie caricaturale : chacun incarne un compromis entre ces deux
positions, entre un idéal professionnel et un quotidien difficile à
assumer.
L'Ecole
maternelle Les
réponses des écoles maternelles sont représentatives de ce tiraillement
du corps enseignant des écoles. Si les contributions dénoncent très
majoritairement la « primarisation » de la maternelle (dont le
rattachement affirmé de la Grande Section au CP), le risque des
apprentissages trop précoces qui vont faire mécaniquement grossir les
bataillons d’élèves « en difficulté » en phonologie, en écriture, en
langage, le lecteur ne peut qu’être frappé par quelques ambiguïtés
sémantiques révélatrices des tensions actuelles subies par les
enseignantes de maternelle. L’exemple du « jeu » est significatif : on
déplore son absence dans le projet de programme, craignant que les
séances d’apprentissages « trop strictes » ne « dégoûtent » les enfants
de l’Ecole. Mais d’autres insistent sur l’exigence de l’entrée dans le
« culturel » à construire, la construction du langage d’évocation ou de
l’entrée dans la production qui disparaissent, rappellent la nécessité
de construire progressivement « rapport au savoir » de l’élève, source
de tant de malentendus entre l’élève et la maîtresse… On sent donc, à
travers tous ces témoignages, la persistance de conceptions différentes
chez les enseignantes de maternelle, entre une logique «
d’épanouissement » et une logique de « travail scolaire » qui aide
l’enfant à devenir élève. Sans doute un bel enjeu pour la formation
continue, s’il en reste… Nombre de contributions s’étonnent
également de plusieurs absents de taille, et s’inquiètent donc de leur
disparition programmée : la scolarisation des touts-petits, la « vivre
ensemble »
L’Ecole
élémentaire Là
encore, franche
opposition au texte proposé. Une école résume son opinion
en découpant une définition dans le dictionnaire : Simpliste adj.
et n. Qui simplifie à l’excès les choses, qui ne voit pas ou ne se
représente pas le réel dans sa complexité. Pensées simplistes… Beaucoup de contributions
reprennent une idée simple (et pas simpliste…) : pourquoi ne procède-t-on pas
d’abord à une évaluation sérieuse de l’existant avant de
bousculer à nouveau les programmes ? Pourquoi revient-on à cette
conception de « l’élève-entonnoir » alors que les évaluations
internationales disent au contraire que les élèves français n’ont que
peu de capacité d’initiative, de confiance en soi et d’imagination ?
Peut-on dire que les programmes de 2002 ont été enseignés alors qu’on
sait que ce qu’ils demandent est loin d’avoir été mis complètement en
œuvre dans les classes, faute d’accompagnement ? La non-publication du
document d’accompagnement « ORL » par De Robien est souvent citée comme
exemple de situation où on a laissé les enseignants se débrouiller sans
accompagnement. Cette idée de cadre précis est cependant
souvent réclamée : quelle que soit l’opinion évoquée sur les
programmes, l’idée de « progressions » officielles annexées au projet
de programme est souvent jugée positivement. Sans doute un indice que
les enseignants se sentent trop seuls quand il faut mettre en œuvre le
« comment faire » de la prescription, surtout chez les débutants. Nombre
d’écoles s’amusent à dénoncer la «
pensée magique » consistant à fixer l’objectif d’écriture
de dictée sans erreur à la fin du cycle II, à penser que la maîtrise
des relations grapho-phoniques soient possible au début du CP, à tenir
pour acquis que tous les élèves de CE1 puissent comprendre la
différence entre « nature » et « fonction » grammaticale, à pouvoir
pratiquer une « démarche d’investigation » sans avoir eu le temps de la
mettre en œuvre en classe… On insiste sur le décalage entre les
objectifs annoncés dans le Préambule et le contenu des programmes :
s’ils sont mis en œuvre, ces programmes creuseront l’écart entre les
élèves qui sont culturellement proches de l’Ecole et ceux qui en sont
socialement loin, sur qui on va mettre une pression plus forte :
l’exemple de la division ou de la conjugaison est souvent cité en
exemple.
On insiste beaucoup sur le côté « passif-récepteur »
de l’élève idéal des programmes, alors qu’on pense que l’apprentissage
ne peut se réduire aux situations de « bachotage ». Si la nécessité
d’exercices systématiques et d’apprentissage régulier de procédure de
base (calcul) est considéré en soi comme indispensable, nombre d’écoles
insistent sur le fait que l’équilibre entre calcul et
situations-problèmes était présent dans les programmes de 2002… Des matières « secondaires » ? Les compétences «
transversales » jugées disparues, la place de plusieurs domaines
d’apprentissage est jugée remise en cause, du fait des horaires
impossibles du fait du passage au 24+2. Mais les témoignages des écoles
(ou le non-renseignement de ces items dans les enquêtes) en disent long
sur les contraintes matérielles et humaines : manque de matériel,
d’équipements pour l’EPS, les TICE, les langues, les sciences… On
invoque souvent, là encore, un besoin de descendre plus près du réél,
en sortant des généralités incantatoires pour demander des contenus
réalistes, des progressions, des volumes horaires identifiés
précisément. Les « règles de civilité », dont on écrit souvent
qu’elles doivent avant tout être construites à la maison avant d’être
du ressort de l’Ecole » et la « morale » sont la cible de nombre de
témoignages négatifs : « on n’apprend pas la morale à coups de maximes,
ça se saurait… » s’insurge une équipe qui précise combien ces
préoccupations sont centrales dans son fonctionnement, mais
nécessairement intégrées au fonctionnement globale de la pédagogie. L’aide Faisant le lien entre le
projet de programme et la mise ne œuvre du 24+2, certaines réponses
d’école s’inquiètent également de la manière dont «l’aide »
individuelle est renvoyée en dehors de la classe, le soir ou pendant
les vacances risquant de stigmatiser plus que de résoudre les
difficultés. Ils déplorent l’absence de référence aux ressources des
RASED (et la publication de la circulaire de rentrée, qui n’en dit pas
un mot, ne devrait pas les rassurer…)
Conclure ? C’est un fait, les
nombreuses contributions ou synthèses que nous avons analysées
s’opposent au projet de programmes présenté par Xavier Darcos. Mais
redisons-le : pas
forcément au nom des mêmes arguments.
On
aurait donc sans doute tort de conclure par une simple exhortation au
retour des programmes de 2002, au nom du fait qu’ils fassent une bonne
synthèse de ce qu’on sait sur les apprentissages et sur le poids du
social dans la réussite scolaire.
![recrutement enseignants des écoles](../PublishingImages/recrutementEns1d.jpg) http://media.education.gouv.fr/file/56/68/9/2_25689.pdf
Parce que le corps enseignant
n’est ni homogène dans ses valeurs, ni dans sa formation
(la DEP rappelle (ci-dessus) que plus de la moitié des enseignants
recrutés dans les années 70 a embrassé le métier sans concours ni
formation initiale…), il est indéniable que les objectifs des
programmes de 2002 ont posé problème, au sens strict du terme, aux
enseignants. Il ne sert à rien de dire qu’ils soient bons : il faut
dire s’ils ont été mise en œuvre, avec quels moyens, quels
accompagnements, quelles formations.
C’est pour nous
l’enseignement essentiel
des questionnaires que nous avons pu dépouiller : mettre en œuvre des programmes
demande du temps, du soutien, de l’aide, du travail collectif. Pour
qu’ils deviennent un outil efficace au service de la réussite des
élèves, les Programmes de l’Ecole doivent pouvoir articuler l’ambition
de la République pour ses enfants, et la confiance qu’elle met dans ses
enseignants pour y parvenir. Deux attributs dont rien ne dit
pour l’instant que soit doté le projet de programme 2008. Mais nous ne
demandons qu’à être contredits par les faits et les décisions à venir…
Par COFFEEASSO\ppicard3 , le .
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