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Penser la place des parents à l'Ecole 


« Parents acteurs de la scolarité de leurs enfants », une formation de formateurs a eu lieu récemment au centre Alain Savary de l'Ifé (Institut français de l'éducation) à Lyon. Comprendre les enjeux de l'école pour des parents qui en sont justement très éloignés est une problématique centrale dans ces milieux dits « difficiles ». La semaine de réflexion a permis de croiser les points de vue de chercheurs, partager des expériences et commencer de construire de l'ingénierie de formation.

Le cadre de travail de la petite équipe du centre Alain Savary est « d'explorer, agréger, comprendre, diffuser, accompagner, évaluer » les connaissances dans les domaines de l'éducation prioritaire et de la professionnalité enseignante. Pour faire réussir l'Ecole, pour renforcer l'efficience, il faut agir à plusieurs échelles et articuler les différents niveaux d'actions : aider les cadres à piloter, les formateurs à former et les enseignants à faire apprendre.
La question des parents est devenue une réelle problématique professionnelle, une question d'éthique outillée : comment faire accéder plus d'enfants de milieu populaire à la culture commune.

Dominique Glasman, chercheur émérite de l'université de Savoie, fin connaisseur de toutes les questions d'éducation prioritaire depuis de nombreuses années a procédé à « une mise en bouche ou un tour de chauffe », comme il dit, en réalité un tour de la question qui pose clairement les problèmes.
Déchiffrer la prescription institutionnelle d'être des parents acteurs de la scolarité de leurs enfants : entre ceux qui ont toutes les stratégies et moyens pour agir et ceux qui sont très éloignés de l'école, quels sont les parents qu'on veut viser ? Ceux des milieux populaires, qui n'osent pas trop venir à l'école, ne montrent rien. Ces attitudes sont souvent chargées de sens négatif, sont-ils ou non des parents acteurs ? « Etre acteur, c'est être concerné et agir au jour le jour. Les parents de milieux populaires se sentent concernés mais sont dépourvus de moyens d'agir », précise Dominique Glasman.

Quel est le sens de cette injonction d'être des parents acteurs ?
Les acteurs de l'institution sont convaincus que donner un rôle aux parents va être utile à leurs enfants. « Il y a certes une corrélation entre les deux, les choses vont ensemble, mais pas de relation de cause à effet directe ».
Quand les parents soutiennent, encouragent leurs enfants à être différents d'eux, ils leur donnent l'autorisation d'apprendre. Glasman donne avec émotion l'exemple d'une mère issue de l'immigration qui dit : ma fille est au CP, je la prends sur les genoux pour la faire lire, moi je ne sais pas lire... « C'est un geste terriblement banal mais porteur de sens et de soutien pour cet enfant ». Il fait référence à la notion de « triple autorisation » de Jean-Yves Rochex.
Les parents de milieux populaires sont majoritairement très concernés par l'école. On accepte maintenant de se placer dans ce cas de figure ; ce sont les travaux de recherches et les expériences de terrain qui font ce constat.
Pour eux, l'Ecole est une administration donc si on obéit à ses règles, si on vient à l'école tous les jours, à l'heure, si on dit bonjour à la maitresse, on écoute bien, on est propre,   ça doit « marcher ».
Il y a une grande diversité des parents, « ce n'est pas un groupe indifférencié, loin de là... Entre les ouvriers qualifiés, avec un travail stable, preque de classe moyenne et des parents récemment arrivés en France, avec ou sans papiers, ne maitrisant pas la langue, sans perspective de travail... l'écart est grand. Ils sont présents dans le travail, le suivi des enfants et parfois, sont très ardemment impliqués ». Glasman renvoie aux travaux de Séverine Kakpo et son livre sur les devoirs à la maison.
Comment aider les parents à être acteurs ? Les principes d'action sont de l'ordre de l'éthique et du professionnel. Il faut ne pas juger, faire un effort de décentration, se décaler de son propre point de vue, comprendre que les autres en ont un autre, sans se départir de sa position institutionnelle.
Glasman évoque la notion de la parité d'estime : on occupe des positions différentes mais on est tous citoyens. Il faut les aider à comprendre le système scolaire, l'orientation des élèves, ils sont mal outillés pour savoir ce qu'ils peuvent utilement faire.
Il va falloir construire des ressources, utiliser des détours. Cela permet à des parents démunis socialement d'acquérir petit à petit une confiance, une légitimité, pour exprimer des revendications ou proposer des projets. On les dote d'une capacité à faire du « faisable », des petites choses.
« Ne pas accréditer l'idée qu'il y a un reversement de la charge de responsabilité. Certes c'est précieux qu'ils aident leurs enfants mais la responsabilité de la réussite revient à l'institution scolaire. C'est cela que les parents auxquels on s'adresse demandent à l'Ecole.
« La plupart des enseignants veulent faire leur boulot, sont bienveillants,souhaitent que leurs élèves réussissent. On fait ce qu'on peut comme parent ou comme enseignant, comme on est. Changer un moment de point de vue, cette décentration permet de percevoir des façons d'agir moins « non-pertinentes ».

Le centre Alain Savary (http://centre-alain-savary.ens-lyon.fr/CAS) travaille en partenariat serré avec des associations qui agissent sur le terrain et sont venues présenter leurs expériences et faire état de leurs recherches.
Toute la semaine, se sont succédés différentes associations .
- ATD (Agir Tous pour la Dignité)-Quart monde mène un travail remarquable pour aller vers les parents qui vivent dans la grande pauvreté. L'association a présenté un projet réalisé à Rennes, des recherches menées avec Pierre Périer, sociologue, professeur en sciences de l'éducation à Rennes 2 et la plateforme sur l'école rédigée en 2012 : « Construire ensemble l'école de la réussite de tous » (http://www.atd-quartmonde.fr/Une-plateforme-citoyenne.html)

Le GFEN (Groupe français d'Education nouvelle), en la personne de Sylvie Chevillard a apporté une contribution sur « le rapport au savoir des parents de milieux populaires » avec des éclairages sociologiques, psychologiques, anthropologiques et socio-linguistiques.

L'αnlci (agence nationale de lutte contre l'illettrisme) a fait état des actions en direction des parents, qu'elle mène un peu partout en France, appelées AEF « Les actions éducatives familiales ». L'une d'entre elles, à Château-Chinon dans la Nièvre, a fait l'objet d'une recherche-action présentée à la journée nationale sur l'illettrisme qui a eu lieu en janvier à l'Ifé.

Vincent Massart-Laluc, IUFM de Lyon, université Lyon 1, a partagé son expérience intitulée « Savoirs et coopération ». Un ouvrage sera bientôt publié chez Chronique sociale, co-édité avec ATD Quart monde, issu d'une recherche action 2009-2011 : « Vers l'école de la réussite de tous : des pratiques pédagogiques s'appuyant sur les élèves dont on n'attend rien ».

En articulant différents temps, apports théoriques, travaux de groupes, comptes rendus d'expériences, état de la recherche, cette formation a mis toutes ces choses en sens et fait des liens entre les savoirs. La formation a également travaillé avec la diversité des métiers et des individus qui formaient le groupe. Les discussions qui se sont instaurées ont permis d'identifier les questions vives, commencer de penser ensemble, dégager des dilemmes de métier, problématiser les questions singulières pour qu'elles deviennent des questionnements collectifs. La richesse vient de l'hétérogénéité.
Terminer la formation avec de nouvelles questions est un signe que des lignes ont bougé, sur la trans-formation des stagiaires.
Les comptes-rendus de cette formation seront accessibles sur le site de la formation de formateurs de l'IFE :

http://ife.ens-lyon.fr/formation-formateurs



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Par MBrun , le jeudi 21 février 2013.

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