Sylvie Cèbe : apprendre à comprendre, au cours elementaire aussi 

Café septembre

Des outils pour apprendre à casser les fatalités


Faut-il épurer le texte au maximum pour développer l'intelligence des enfants ? L'inférence aux propos de l'auteur de Rue Du Monde, la veille à la même tribune, est explicite... Certes, concède Sylvie Cèbe, mais à condition de développer les compétences des élèves, en leur apprenant à comprendre...

Parce que le texte est un mécanisme paresseux, comme l'écrit Umberto Ecco, et qu'il requiert que quelqu'un l'aide à fonctionner, il faut donc que l'enseignant l'aide à apprendre à le faire (et que la recherche aide les enseignants !!). C'est le sens des outils "Lector & Lectrix", et aujourd'hui "Lectorino et Lectorinette" destiné aux élèves du cours élémentaire, que l'universitaire clermontoise vient présenter aux enseignants de l'université d'automne. En précisant plusieurs fois que les droits d'auteur sont versés à une ONG...


Fabriquer les outils, est-ce bien le rôle des chercheurs, se demande-t-elle à haute voix ?

C'est le parti qu'elle a décidé de suivre, avec son complice R. Goigoux et quelques autres : "Les enseignants ne peuvent pas tout faire. Les chercheurs doivent faire une transposition des savoirs de la recherche en savoirs pour l'action. Pour celà, ils doivent comprendre les pratiques habituelles des enseignants, et créer des outils maniables, compatibles avec leurs conceptions. Elle décrit les conditions de cette "conception continuée dans l'usage" des manuels : comprendre les savoirs issus de la recherche, observer les pratiques et les difficultés des élèves, concevoir un premier prototype, la mettre dans les mains des enseignants, observer ce qu'ils en font réellement pour le mettre à leur main, et modifier en conséquence l'outil, recommencer..."


Quel cadre pour apprendre à comprendre ?

Si la plupart des élèves parviennent à décoder, peu sont capables d'un compréhension fine, et il ne suffit pas de poser des questions pour qu'ils comprennent, "d'autant plus qu'on ne leur a pas enseigné, et que plus on travaille avec des élèves en difficulté, plus on leur pose des questions "littérales", et non "inférentielles", sans construire préalablement des représentations mentales, sans leur donner le droit de répondre des choses "qui ne sont pas dans le texte". Si le questionnaire peut être, dans certains contextes, une aide à la compréhension, la plupart des élèves pensent au contraire qu'ils servent à vérifier la compréhension.

Pour comprendre, un élève doit avoir plusieurs compétences simultanéments requises : décodage, connaissances encyclopédiques, capacités à produire des inférences, à lire entre les lignes, à tisser des cohérences entre les éléments, à raisonner, à réguler, à contrôler son attention... "Avant le méta, organiser la cognition et la construction des procédures : apprendre à faire, puis apprendre à réussir avant d'apprendre à comprendre comment ils ont fait pour comprendre..." résume-t-elle


Quelles propositions d'activités pour les élèves ?

Le nouvel outil reprend les fondamentaux présents dans Lector & Lectrix, en les adaptant au cycle élémentaire : fluidifier la lecture à haute voix, accroitre le vocabulaire, reformuler, traduire, expliciter les états mentaux des personnages, faire fabriquer le film, faire raconter individuellement avec ses propres mots, en clarifiant "ce qu'il faut faire" de "ce qu'il faut apprendre", en mesurant les progrès.

Passées les déclarations de principe, Sylvie Cèbe entre dans le détail des activités. La salle est suspendue, malgré le flux fourni...


Entrainer la fluidité du décodage, multiplier les occasions de lire à haute voix.

Dès le milieu du CP, les écarts de performance entre élèves sont importants. Et moins on va vite, moins on comprend, et moins on lit... "Lectorino et Lectorinette" propose donc une liste de tâches pour faire lire à voix haute, dans différents contextes.


Développer le lexique

"Lorsque les enseignants indentifient comme une source importante des difficultés de compréhension le manque de lexique, ils ont raison. Mais l'école peut faire bouger les écarts". Pour enseigner le vocabulaire, on peut organiser des situations d'apprentissages spécifique, comme le propose Jean-Claude Denizot dans "Vocabulaire au Quotidien" (SCEREN-CRDP Dijon). Mais il faut aussi enseigner les mots en situation de lecture, "au passage", sans réduire la complexité des textes au niveau supposé des élèves, mais sans faire non plus de chaque situation de lecture un moment de "traduction simultanée" qui va à la fois submerger les élèves et les priver du plaisir de la fluidité de l'oral...

S'il faut l'organiser dans des moments spécifiques, pas question de "penser que c'est l'appel au dictionnaire qui va expliquer mieux qu'un instit"... Pour que ces activités aient de l'efficacité à moyen et long terme, il faut organiser des retours réguliers, des révisions qui vont permettre d'atteindre le nombre de rencontres nécessaires pour mettre le mot en mémoire. "Faites feu de tout bois" : enseigner, c'est à la fois expliquer et faire découvrir, soit par la morphologie soit par le contexte, mais aussi faire réutiliser, mémoriser, évaluer la compréhension et le transfert éventuel... Mais parce que "voir n'est pas savoir", Sylvie Cèbe demande d'organiser aussi les conditions de mise en mémoire, notamment en entrainant à "mettre dans sa tête", en masquant le modèle avant la copie, en faisant obstacle au traitement perceptif, en organisant des jeux qui vont donner des points à la classe à chaque fois qu'un élève va réutiliser à bon escient un mot appris...


Traduire, expliciter les états mentaux des personnages

"Pour comprendre "ce que le texte ne dit pas" sans tomber dans la pure invention, il faut examiner ce que le texte impose, ce que le texte autorise, et ce qu'il interdit". Au-delà du "vrai" et du "faux", il faut raisonner avec les élèves sur le possible et l'impossible, le certain, le vraisemblable ou l'invraisemblable, notamment grâce aux "cartons de confiance" qui permettent à chacun de proposer publiquement une hypothèse sans en être complétement sûr. Cela passe par des reformulations successives, des confrontations publiques entre les différents points de vue, en revenant au texte comme juge de paix, en acceptant de ne pas tout comprendre et en revenant en arrière si nécessaire, pour comprendre enfin ce qu'on n'avait pas été sûr de comprendre...

Mais ce qui est difficile, c'est de ne pas seulement de chercher à comprendre ce qui arrive aux personnages, mais aussi de se mettre à leur place, "dans leur tête", surtout pour ceux qu'on n'aime pas trop, pour comprendre leurs buts, leurs mobiles d'agir, leurs émotions. "C'est d'autant plus important que c'est très différents selon les familles, dont certaines peuvent donner plus ou moins de place à se genre de pratiques sociales" précise l'ancienne instit des Quartiers Nord de Marseille. La "théorie de l'esprit" permet d'accéder progressivement à la finesse des différences entre "triste" et "malheureux", de comprendre les raisonnements et les connaissances des personnages, et de comprendre que ce que sait le lecteur peut être différent de ce que savent les personnages.


Apprendre à raconter

Pour finir, Sylvie Cèbe insiste pour recommander que l'enseignant organise des situations qui amènent les élèves à être régulièrement confrontés à la nécessité de raconter à leur tour l'histoire toute entière : "pour aller au bout de l'exigence avec les élèves, pour donner un but intégrateur au travail, pour permettre de faire le tri, pour faire le lien entre compréhension et mémorisation, pour donner sens aux situations de productions de texte, mais aussi pour mieux comprendre ce qu'ils ont réellement compris..."


Ca pourrait durer des heures, mais tout a une fin. Francs sourires aux lèvres, regards complices échangés, discrets "merci" complices à l'oratrice pour avoir fait surgir avec tant de réalisme les détails des classes... Quand la recherche parle avec tant de précision au métier, ca donne manifestement envie d'essayer. "Bon, là, sérieux, faut qu'on en reparle"...



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Par MBrun , le dimanche 28 octobre 2012.

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